Un regard clair sur le dopage ordinaire - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

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Horizons

Abordant les conduites dopantes sous l'angle de la prévention et du soin, des antennes médicales régionales, comme celle des Pays de la Loire, répondent à ce phénomène qui ne touche pas que les sportifs professionnels.

Sujet voué à l'éternel retour, le dopage se rappelle à l'actualité en suivant des pics et des creux. On suit souvent sa trace en bas de page des journaux pendant les compétitions sportives, pour le retrouver à la une et dans les faits divers une fois les épreuves terminées... Entre les vagues de ce cycle médiatique, les études et appels à la vigilance rédigés par des médecins trouvent un certain écho. En mars 2008, une étude (1) de l'Observatoire régional de santé d'Ile-de-France, menée d'après le Baromètre santé de l'Inpes, rappelait et confirmait certains travaux mettant en évidence une association entre la pratique intense d'une activité sportive chez des jeunes de 12 à 25 ans et des conduites à risque, comme la consommation de produits addictifs. En juin dernier, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) s'alarmait de pratiques médicales « dangereuses » quant à l'usage des corticoïdes, notamment sur de très jeunes sportifs.

Prévenir plutôt que lutter

Depuis 1999, des antennes médicales spécialisées et indépendantes du milieu sportif ont essaimé dans toutes les régions du pays. Elles étaient initialement nommées « antennes médicales de lutte contre le dopage », un intitulé qui avait soulevé des réticences, se souvient Stéphane Prétagut, psychiatre et responsable de l'antenne des Pays de la Loire. « Notre axe de travail a toujours été le sanitaire. Comme les autres, nous sommes d'ailleurs au sein d'une structure hospitalière. Nous ne sommes pas dans la répression mais dans le soin. C'est pour cette raison que nous parlons de conduites dopantes plus que de dopage, de prévention plus que de lutte... C'est essentiel pour les sportifs ! Si on leur parle de lutte, ils ne viendront pas. »

Depuis 2006, on parle d'« antennes médicales de prévention et de prise en charge des conduites dopantes ». Car ce phénomène de société s'étend bien au-delà du sport. « En parlant des conduites dopantes en général et non plus seulement du dopage lié à une performance sportive, on s'intéresse également aux personnes qui ont recours à des produits qui ne figurent pas sur la liste des substances et procédés interdits, détaille Bertrand Guérineau, psychologue de l'antenne nantaise. La consommation quotidienne de vitamine C ou de café, des produits anodins à première vue, peut tout à fait mener à une addiction. Notre approche consiste à interroger la performance (sportive, artistique, professionnelle...) davantage que les produits. »

Vulnérabilité

S'intéresser au dopage uniquement par le biais des produits reviendrait à oublier que chaque personne est plus ou moins vulnérable. « Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte, explique Stéphane Prétagut. Des éléments individuels et des éléments liés au contexte, comme le type de sport pratiqué, l'emploi du temps, le milieu familial... Quand on reçoit un sportif, on étudie sa capacité de ressource dans une situation donnée. Pour moi, les plus vulnérables sont les adolescents, déjà confrontés à une fragilité identitaire. »

Installée dans un petit bureau du service d'addictologie du CHU de Nantes, l'antenne des Pays de la Loire a d'abord pour mission d'accueillir les sportifs (amateurs comme de haut niveau), qu'ils aient recouru à des produits dopants ou pas. En revanche, tous ceux qui ont été contrôlés positifs doivent être reçus au moins une fois par le médecin, qui délivre une attestation avec laquelle le sportif peut solliciter une nouvelle licence. Mais les consultations sont nettement moins nombreuses que les contrôles positifs. (2) « Toutes les fédérations sportives ne jouent pas le jeu et certaines redonnent une licence sans l'attestation ! », regrette Stéphane Prétagut.

Autre pan de l'activité : un suivi médical des sportifs de haut niveau (comprenant des entretiens psychologiques). Obligatoire depuis 2006, réalisé au sein des services de médecine du sport, il concerne principalement les filières de préparation au haut niveau comme les classes de sport-études ou les pôles Espoir. « Nous essayons, au cours de ces évaluations, de repérer leur vulnérabilité psychologique, explique le psychiatre qui y assure la consultation de psychopathologie. Rencontrent-ils une anxiété liée à la recherche de la performance, ont-ils des moments dépressifs après la consommation d'un produit ? »

La vie d'un jeune sportif n'est pas un long fleuve tranquille. « Les élèves en sport-études sont en internat pour être plus disponibles aux entraînements, ne rentrent pas le week-end pour participer aux compétitions... Tout ça n'est pas anodin pour des adolescents dont les plus jeunes ont 14 ans », souligne Anne Guitton, infirmière scolaire et animatrice conférencière pour le compte de l'antenne (lire l'encadré ci-dessus).

Parole libre

Pour ceux qui paraissent les plus vulnérables, un suivi est proposé à l'antenne. Environ 200 jeunes acceptent chaque année. Au départ, leur motivation est bien d'améliorer leur performance. Le psychologue va les aider à mieux « gérer leur stress ». Mais « passé le premier contact, observe Stéphane Prétagut, ils sont plutôt demandeurs de cet espace qui est l'un des rares lieux où ils peuvent retrouver une parole libre. L'échange, habituellement étalé sur quatre ou cinq séances, leur permet de redonner du sens à leur investissement sportif et à leur vie en dehors du sport. En général, le sport remplit leur vie... Les responsables des clubs et fédérations doivent comprendre qu'un jeune bien dans sa tête réussira mieux et que le sportif ne leur appartient pas. »

La prise de conscience progresse lentement. L'image d'un sport sain et gage de bonne santé est plus qu'écornée par les révélations de dopage, chez les champions mais aussi chez le « sportif du dimanche ». Mais elle reste la norme. Pas facile dans ce contexte de repérer le rapport entretenu par tel sportif avec sa discipline. « Certains vont trouver dans le sport des réponses à leur difficulté, analyse le responsable de l'antenne. À l'inverse, la pression exercée dans un milieu de compétition peut amener à la consommation de certains produits. »

Centre de ressources

D'où la nécessaire coopération entre professionnels de santé pour identifier ceux qui ont besoin d'aide. Les antennes médicales, pivots du système, peuvent y aider à travers leur centre de ressources et leurs outils. Celle des Pays de la Loire a notamment développé un site Internet riche, devenu le portail des antennes régionales, et mis à disposition un numéro vert assurant confidentialité et anonymat.

1- B. Chardon, C. Peuvergne, I. Grémy, « Les activités sportives et sédentaires chez les jeunes en Île-de-France : évolution entre 1997 et 2005 et facteurs associés », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 12, mars 2008.

2- En 2007 (hormis novembre et décembre, données non communiquées), 12 contrôles sur 396 se sont révélés positifs dans les Pays de la Loire. La moyenne du nombre de contrôles positifs depuis 2001 est de 20 par an (hormis 2006, données non renseignées).

témoignage

« On aide les jeunes à analyser leur comportement »

« Quand on intervient dans un collège ou un lycée, on n'est pas là pour donner une conférence sur le dopage, mais bien pour aider les jeunes à réfléchir sur leur propre comportement, explique Anne Guitton, infirmière scolaire participant, comme une trentaine d'autres animateurs (professeurs d'EPS, éducateurs sportifs, médecin, infirmière...), à un réseau d'intervenants mis en place par l'antenne médicale de prévention et de prise en charge des conduites dopantes des Pays de la Loire. Des outils ont été créés, comme le photo-langage ou des jeux de rôle, pour amener la discussion en petits groupes. Même s'ils ne touchent pas forcément des sportifs, ces échanges amènent à un questionnement sur leur conduite, leur comportement... » « C'est essentiel à cet âge, note Stéphane Prétagut. À l'adolescence, un jeune cherche sa place et, pour la trouver, il mène ses propres expériences. La pratique d'un sport peut être un moyen de mettre ses propres limites à l'épreuve. En ce sens, les infirmières scolaires sont des relais intéressants pour aborder au long cours ces questions de prise de risques. »

contact

- AMCD des Pays de la Loire

Espace Barbara, 9 bis, rue de Bouillé, 44000 Nantes

Numéro vert : 0 800 880 504

Courriel : amcd44@voila.fr

Internet : http://www.dop-sante.net

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