Une réalité invisible - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

Mort

Éthique

« La mort n'est-elle qu'une affaire professionnelle ? » Tel était le thème du 5e colloque organisé, à Paris le 16 octobre dernier, par le Comité national d'éthique du funéraire (Cnef).

paradoxalement, alors que la mort « extraordinaire » (qu'elle soit le produit de guerres, de pandémies, de génocides ou d'attentats) n'a jamais été aussi présente pour nous, notamment via les médias, la mort « ordinaire » semble avoir déserté le champ social. Dans les pays occidentaux, sept personnes sur dix décèdent à l'hôpital ou en institution, dans une certaine discrétion. Dès lors, la question de savoir si la mort n'est désormais qu'une affaire dédiée aux professionnels, soignants et personnels funéraires, se pose avec une réelle acuité, d'autant qu'elle revêt maints enjeux éthiques et sociétaux.

Aveuglement

« Nous constatons la permanence du rejet social de la mort, laquelle reste un sujet lourd, sinon tabou, et nous assistons, dans le même temps, à un renouveau de la mort. Les hommes ont un contentieux irréductible avec cette réalité de la vie. Nous savons tous que nous allons mourir mais nous sommes nombreux à vivre comme si la mort ne concernait que les autres », explique le Dr Michel Hanus, président du Cnef et de la Société de thanatologie.

Besoin d'écoute

Jusqu'à un passé récent, les rites funéraires qui avaient lieu au moment d'un décès venaient « donner corps » à la mort. Leur rôle et leur sens étaient triples : honorer le défunt, soulager les endeuillés et ressouder la communauté. Ainsi, il y a à peine quelques décennies, alors que seulement 10 % de la population était pratiquante, environ quatre personnes sur cinq passaient par un lieu de culte au moment des funérailles. Ce pourcentage est tombé à 50 % dans les grandes villes.

Cependant, d'autres pratiques se mettent en place, en particulier du fait de l'augmentation du nombre de crémations et de la prise en compte de l'accompagnement des familles, notamment lors de la mort d'enfants. Désormais, davantage de personnes en deuil ressentent le besoin de pouvoir en parler à l'extérieur de leur famille où chacun essaie de protéger l'autre et où il devient difficile de se livrer autant qu'on le voudrait.

En deuil, pas malade

« Mais à qui parler ? », interroge Michel Hanus. « Les médecins généralistes, souvent encore médecins de famille, essaient pour le plus grand nombre de trouver un peu de temps pour écouter. Mais ils ne sont pas habitués à écouter sans rien dire et sans rien faire. Ils font de leur mieux en fonction de leur expérience mais ont souvent tendance à vouloir prescrire des médicaments qui sont loin d'être toujours nécessaires, le deuil n'étant pas une maladie. »

Groupes de soutien

Aussi un mouvement de bénévolat a-t-il commencé à se mettre en place au cours des années 1990, d'abord à partir des associations de soins palliatifs puis des différentes associations comme Vivre son deuil. Les bénévoles sont formés à l'écoute et à l'accueil des personnes en deuil. Des professionnels animent des groupes de soutien, en particulier pour les enfants et les endeuillés après le suicide d'un proche.

Mais comme ont pu en témoigner plusieurs infirmières à l'occasion de ce colloque : « Il n'est pas rare que les familles se tournent vers nous pour les prendre en charge et nous sommes souvent démunies devant leur détresse. »

TÉMOIN

Patricia Morice « Choisir le lieu de sa fin de vie »

« Dans mon quotidien, la confrontation avec la mort est permanente. Mais elle s'inscrit naturellement dans le continuum de la vie, observe Patricia Morice, cadre de santé à la maison médicale Jeanne-Garnier, unité de soins palliatifs parisienne, où elle a, entre autres missions, la responsabilité de la chambre mortuaire. Cependant, une des questions éthiques que je me pose très souvent est de savoir si aujourd'hui nous laissons encore le choix aux personnes de mourir là où elles en ont envie - même s'il existe des situations où la prise en charge en établissement de soins est incontournable. Je pense qu'il faut d'abord qu'on apprenne à créer du lien entre les établissements, les professionnels libéraux, l'entourage familial et social pour ne pas s'approprier l'autre, ou supposer de ses volontés, afin de permettre à ceux qui le désirent de mourir à leur domicile. Tout comme chacun doit pouvoir choisir sa vie, il est nécessaire de laisser chacun choisir le lieu de sa fin de vie. Cette question touche autant au respect de la dignité qu'au principe d'autonomie. »