Vers une licence professionnelle ? - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

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Un rapport officiel sur la réforme des études paramédicales se prononce clairement pour une licence professionnelle en soins infirmiers. Ces conclusions ont soulevé la colère au sein de la profession.

Douche froide pour les organisations infirmières. Commandé en septembre 2007, le rapport sur l'intégration des filières paramédicales au dispositif européen LMD (licence-master-doctorat) a été rendu public (1) mardi 7 octobre avec plus de huit mois de retard.

Intitulé Évaluation de l'impact du dispositif LMD sur les formations et le statut des professions paramédicales, ce rapport émanant de l'Igas et l'Igaenr (2), qui compte 146 pages, se prononce clairement en faveur d'une licence professionnelle pour les infirmières, ce qui va à l'encontre du souhait de la plupart des organisations professionnelles.

« Maîtrise des flux »

Pour les auteurs, la licence professionnelle présente « trois avantages majeurs » : elle permet de « conserver le contenu et la finalité professionnels de la formation », elle permet « l'insertion progressive des personnes issues de la formation professionnelle (aides-soignantes) », enfin, « l'organisation pédagogique » de la licence professionnelle est compatible avec la volonté du ministère de la Santé de « s'assurer de la maîtrise des flux d'étudiants souhaitant intégrer une filière d'études paramédicales ».

Le principe de l'universitarisation de la formation fait toujours débat. S'il était retenu, préconise le rapport, il faudrait en tout état de cause se garder d'une « formation élitiste ou trop abstraite » qui risquerait de nuire à la promotion professionnelle interne. « Il est vital pour l'hôpital que les nouveaux cursus de formation ne constituent pas une entrave à l'accès des aides-soignants à la profession d'infirmière », expliquent les auteurs.

«Actuellement, affirment-ils, la moitié environ des élèves en soins infirmiers ont un bac professionnel ou sont des aides-soignantes admises au titre de la formation professionnelle.» « Archi-faux, rétorque le Cefiec. Il y a effectivement quelques bacs pro, mais ils sont loin de représenter la majorité. Quant aux étudiants admis en Ifsi au titre de la promotion professionnelle, ils sont soumis à un quota de 20 % des effectifs totaux, rappelle Christian Camou.

Si les membres de la mission jugent « souhaitable en elle-même » l'émergence d'une « filière complète d'études » infirmières, ils y apportent de sérieuses limites : ainsi l'admission en master ne devrait-elle concerner « qu'un nombre limité de personnes » afin d'éviter toute « fuite en avant ». Le grade de docteur, quant à lui, serait « d'accès très restreint ».

Réforme sur cinq ans

La réforme devra s'appliquer en priorité aux professions d'infirmière et de sage-femme et s'étaler dans le temps, sur cinq ans environ, estiment les auteurs. Pour les infirmières, le calendrier proposé débute en septembre 2009 avec la rénovation de la première année d'études en Ifsi en coopération avec l'université, et s'achève en septembre 2011 avec la mise en place de la licence professionnelle en soins infirmiers. Rien de précis en revanche concernant les masters.

Coût élevé

Le rapport privilégie un système de « conventionnement entre universités et organismes de formation » et suggère de faire coexister dans un premier temps le DE et la nouvelle licence professionnelle.

Le coût de la réforme s'annonce élevé. Pour tenter de le limiter, les auteurs suggèrent que seules les infirmières diplômées à partir de 1995 puissent bénéficier d'une reconnaissance en licence.

L'impact financier lié à l'éventuel passage de ces personnels en catégorie A est évalué à un surcoût cumulé sur cinq ans de 2,6 milliards d'euros rien que pour la fonction publique hospitalière et le secteur participant au service public hospitalier.

1- Le rapport est téléchargeable sur le site Internet du ministère de la Santé.

2- Igas : Inspection générale des affaires sociales. Igaenr : Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche. L'Inspection générale des finances et deux conseillers généraux de santé faisaient également partie de la mission.

Livia Lainé, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers

Comment la Fnesi a-t-elle accueilli ce rapport, pour lequel elle a été auditionnée ?

Ce n'est pas du tout ce qu'on a demandé. La licence professionnelle, on n'en veut pas ! Ce que nous voulons, c'est une vraie licence générale qui puisse déboucher sur un master puis sur un doctorat.

Le rapport préconise la coexistence du diplôme d'État infirmier avec la licence professionnelle. Qu'en pensez-vous ?

Il ne faut pas maintenir un double diplôme, c'est incohérent. Il faut au contraire créer un diplôme unique qui serait une licence universitaire d'exercice qui obéisse à une double tutelle, des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur.

Et la volonté de limiter le nombre de masters pour éviter toute « fuite en avant » ?

Les étudiants en rigolent. Il n'a jamais été question que tout le monde fasse un master, mais de la possibilité, dans une vie, sur quarante ans de carrière, d'évoluer vers autre chose. Ce rapport est basé sur les plus grandes peurs de la profession, mais elles sont infondées.

Christian Camou, président du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec)

Ce rapport vous met en colère...

Très ! La licence professionnelle va à l'encontre du référentiel de formation en cours d'élaboration, puisque la licence pro prévoit, la dernière année, un stage de douze à seize semaines alors que nous sommes à vingt-deux semaines de stage.

L'argument selon lequel la licence générale éloignerait les infirmières de la pratique ne vous semble pas convaincant ?

Il n'y a pas de contradiction ! Les textes qui régissent la licence générale prévoient d'adapter les études au secteur de la santé et l'une des préoccupations de l'université aujourd'hui, c'est de professionnaliser davantage les formations. Le seul argument valable contre la licence générale, c'est le problème de la sélection. La licence générale ne prévoit pas de sélection, or on est obligé d'en introduire une puisque le ministère veut maîtriser les flux.

Que comptez-vous faire ?

Ça se présente mal, mais on ne va pas rester inertes. Nous ne sommes pas des va-t-en guerre, mais il va falloir se manifester par des moyens plus fermes qui font actuellement l'objet de débats au sein du Cefiec.

Anne Perraut Soliveres (1), cadre supérieur infirmier de nuit à la retraite

À contre-courant des organisations infirmières, vous ne souhaitez pas une universitarisation de la formation...

Qu'elle soit professionnelle ou générale, je pense que c'est un dangereux virage d'exiger une licence et que ça répond essentiellement à un désir de revalorisation salariale. On mélange tout, le statut et le contenu. Ce n'est pas la licence qui redonnera de la crédibilité aux infirmières.

Quels dangers présente la licence selon vous ?

Dans les pays où la formation infirmière est universitaire, les professionnels s'éloignent du soin. L'université sélectionne les gens qui savent le mieux théoriser, intellectualiser. Cela va nous priver d'une grande partie des gens que nous recrutons aujourd'hui et qui sont pourtant d'excellents soignants.

N'existe-t-il pas de bon soignant capable également de conceptualiser ?

La plupart des infirmières, après quelques années, en sont tout à fait capables. Encore faut-il qu'elles en aient envie. Or, beaucoup détestent les « intellos ». Surtout, avant de prétendre réfléchir sur les pratiques, je crois qu'il faut d'abord sentir les choses sur le terrain. Discourir sur le bien du patient, c'est une bonne chose. Mais si on n'est pas foutu de rester à côté quand il a mal ou quand il dégueule, ça ne sert à rien. Je ne suis pas contre l'existence d'une licence, mais pas couplée à l'apprentissage du métier. Elle pourrait s'adresser à des personnes qui ont déjà une expérience professionnelle.

1- Docteur en sciences de l'éducation, Anne Perraut Soliveres est également rédactrice en chef de la revue Pratiques.