Dans la ville, quand le soin rencontre l'errance - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

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Horizons

À Saint-Étienne, au sein d'une équipe de rue, deux infirmières de l'association Rimbaud, spécialisée dans l'accueil et les soins aux personnes toxicomanes, amorcent le dialogue avec un public situé en marge de la société.

Place de l'Hôtel-de-Ville. C'est au coeur même de Saint-Étienne (Loire) que l'association Rimbaud a son quartier général. Dans ses locaux, toxicomanes, SDF et routards peuvent se doucher, utiliser un lave-linge, prendre une boisson mais aussi et surtout bénéficier d'une écoute attentive et bienveillante. Avant éventuellement d'entamer une démarche de soins ou d'aide sociale plus avancée avec l'équipe pluridisciplinaire qui y travaille...

Oui, mais voilà : tout le monde n'est pas en mesure de pousser seul la porte de l'association. C'est pourquoi, à la demande de la municipalité, depuis novembre 2005, une équipe, baptisée « Rue Rimbaud », va directement à la rencontre des SDF. Plusieurs fois par semaine, un binôme composé d'une infirmière et d'un éducateur social sort parcourir à pied les rues de l'hypercentre et des alentours de la gare.

Prise de contact

Leur premier travail consiste à repérer qui aborder... ou ne pas aborder ! « Comme le Samu social du 115 était là avant nous, ils nous ont introduits dans la rue, expliquent les deux infirmières, Isabelle Hervouet et Angélique Jerinte. Dans certains cas, il nous arrive encore de travailler en "doublon" avec eux ».

« Nos infirmières, commente Jo-Marie Collard, directeur de Rimbaud, doivent savoir aller à la rencontre de ce public fragile. Mais elles sentent aussi quand l'ambiance n'y est pas, quand il faut se contenter de dire bonjour de loin... Lorsque nous accueillons des toxicomanes dans nos locaux, l'institution est protectrice, le cadre est relativement contenant. Dans la rue, c'est du contact beaucoup plus direct ! La violence y est davantage présente. Il peut s'y produire des situations difficiles à vivre pour des soignants. C'est pourquoi, toutes les trois semaines, une analyse de la pratique professionnelle est organisée avec un psychosociologue. »

Alcool, drogues, médicaments...

« À l'origine, se souvient Jo-Marie Collard, le centre proposait uniquement un accompagnement social des toxicomanes. Puis une mission de soins nous a été confiée. Nous l'entendons aussi bien au sens de "soins de santé" (cure en anglais) qu'au sens de "prendre soin" (care). Au centre, c'est l'équipe pluridisciplinaire, avec ses différentes composantes (éducative, sociale, médicale et psychologique), qui est soignante ».

Majoritairement, les « marginaux » sont des hommes, âgés de 25 à 35 ans. « Ils ne sont pas forcément sans logement, précise Isabelle Hervouet. Leur caractéristique commune est de vivre de manière désocialisée : beaucoup font la manche et boivent de l'alcool, afin de supporter leur vie quotidienne. Une partie d'entre eux consomment divers médicaments, dont des psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs). Certains touchent aussi à la drogue : cannabis, héroïne ou cocaïne. »

« Eviter la catastrophe »

« Dans la rue, on pratique d'abord un travail de démarrage du dialogue, explique Angélique Jerinte. Il faut souvent sécuriser les gens. Fatalement, à un moment donné, surviendra une demande de soins, à des degrés divers. On essaye d'abord de minimiser au maximum leur prise de risques. Par exemple, si quelqu'un s'injecte du Subutex, je ne l'en empêche pas. J'accepte d'en parler avec lui, de prendre en compte sa réalité, sa pratique... Et si un toxicomane revient régulièrement avec des abcès, je lui demande de me montrer ses points d'injection. Je lui explique qu'il y a des veines à ne pas utiliser, au niveau des seins, des verges... Et qu'il faut en garder une en état pour que le personnel médical puisse intervenir en cas d'urgence. »

« Notre premier but, approuve Isabelle Hervouet, c'est d'éviter la catastrophe ! Pour cela, il faut parvenir à leur faire changer leurs habitudes, leur rituel. Les abcès à répétition se produisent par exemple si le toxicomane se fait des injections en utilisant de l'eau du robinet... Parfois, il faut détailler chacun de leurs gestes pour voir ce qui pose problème ». L'association insiste sur le principe « un shoot, une seringue ; une paille, un snif » pour lutter contre la propagation du sida et de l'hépatite C.

Diplômée d'État depuis 1995, Isabelle Hervouet rappelle que « le diplôme infirmier est majoritairement fondé sur l'apprentissage de soins techniques. Ils sont toujours le support de la relation au malade. En revanche, dans la rue, le travail est d'abord basé sur l'écoute active. On est loin de la démarche "Je te traite, je te guéris !" Il faut savoir lâcher plus de choses... ».

« L'équipe de rue, ajoute l'éducateur Xavier Didier, est là pour accompagner chaque toxicomane à son niveau. Il faut beaucoup de patience. Parfois, on voit les gens disparaître puis réapparaître plusieurs mois après. Quand ils ont besoin de nous... Parfois aussi, on voit des jeunes mourir de mort violente. »

L'équipe doit donc apprendre à se contenter de résultats « modestes », mais utiles, comme l'atteinte provisoire d'un mieux-être, assortie d'une moindre prise de risques dans les pratiques quotidiennes. « Il faut parfois faire le deuil de la guérison, précise Jo-Marie Collard. C'est un discours qui, dans l'opinion publique ou même le monde médical, ne va pas forcément de soi... »

Soigner en réseau

Sur les 250 personnes suivies et identifiées dans le cadre de l'équipe de rue, une bonne moitié fréquentent l'accueil du centre. Dans ces locaux, les infirmières soignent de nombreuses plaies, font des points de suture, des pansements...

Un parcours de soins plus poussé est mis en place à la demande. Avec l'infirmière, un médecin généraliste organise la prophylaxie des maladies infectieuses (dépistage sanguin...) et les protocoles de soins des patients contaminés. Il assure aussi le suivi des cures de substitution. Des dentistes et des ophtalmologues donnent également des consultations à Rimbaud.

« Facilitateurs »

À l'extérieur, des liens ont été créés avec la permanence d'accès aux soins de santé du CHU de Saint-Étienne ainsi qu'avec son équipe de liaison en addictologie. « Nous n'hésitons pas à faire appel à des infirmières psychiatriques, précise Angélique Jerinte. On a aussi envie que des équipes médicales nous contactent : elles doivent apprendre à faire confiance à des associations hors de l'hôpital... Car, tout seul, il est impossible de prendre en charge un toxicomane. Pour que certains d'entre eux s'en sortent, il faut vraiment apprendre à travailler en pluridisciplinarité. »

« Nous sommes avant tout des facilitateurs, conclut avec réalisme Jo-Marie Collard. Car nous disposons rarement de la carte maîtresse. Par exemple, un sevrage peut réussir grâce à des facteurs sur lesquels nous n'avons pas de prise. Parce qu'il tombe amoureux, parce qu'il veut voir grandir un enfant, parce qu'il a l'opportunité de reprendre un travail, un toxicomane parvient parfois à sortir de la drogue. »

témoignage

« Ils craignent d'être rejetés »

Les SDF se soucient-ils de leur santé ? « Oui, ils n'ont pas moins d'angoisses de mort que nous, ils ne veulent pas souffrir, assure Angélique Jerinte. Mais ils sont très inquiets à l'idée d'entrer dans un hôpital, du fait d'un passé médical parfois traumatisant. Ils ont peur d'être rejetés, parce qu'ils sentent mauvais, parce qu'ils n'ont pas de couverture sociale... Vivant à l'extérieur, ils ont du mal à demeurer à l'intérieur d'un local. Certains toxicomanes quittent les urgences sur décharge médicale, car ils ne supportent pas l'attente, n'ont pas le droit d'aller fumer, ou traversent une crise de manque... C'est pourquoi il est important de pouvoir travailler en lien avec le service d'addictologie d'un hôpital. Dans le cas d'un sevrage qui implique un vrai changement de vie, ils ont parfois l'impression que les équipes médicales ne les attendent pas vraiment... Notre rôle, à Rimbaud, est de les accompagner jusqu'à ce que leur prise en charge par l'établissement soit effective. Puis on garde le contact, en nous substituant parfois à des familles qu'ils n'ont plus.... Au préalable, on a souvent réglé divers problèmes psychologiques ou matériels. Comme celui de la garde de leurs chiens ! »

contact

- Michel Debout est le président de l'association. Rimbaud, centre de soins spécialisé pour toxicomanes de la Loire, a deux antennes : 11, place de l'Hôtel-de-Ville à Saint-Étienne (tél. : 04 77 21 31 13) et 19, rue Augagneur à Roanne (tél. : 04 77 70 11 25).