« Davantage de compétences, de responsabilités... » - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

Interview

Actualités

Profession

LMD, réforme de l'hôpital, coordination entre soignants, ordre infirmier, gériatrie, psychiatrie... Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a fait le point avec nous sur ces dossiers.

Vous aviez annoncé la mise en place de la licence en soins infirmiers avec la promotion qui fera sa rentrée en septembre 2009. Le rapport de l'Igas et de l'IGAENR (1) recommande une licence professionnelle. Qu'allez-vous décider ?

Ce rapport n'est pas une feuille de route, mais une expertise qui doit nourrir la concertation avec les professionnels. Par ailleurs, je n'ai aucune idée préconçue sur la nature de la licence qui sera délivrée aux infirmières. Mais mon objectif est clair : je souhaite que la formation des infirmières qui commencent leurs études en 2009 soit reconnue au niveau licence.

Cette formation de base, bien évidemment, conservera un caractère professionnalisant, vivement encouragé par les organisations professionnelles libérales et de l'hôpital, comme cela me l'a été demandé par les infirmières.

Licence professionnelle, donc ?

Ma priorité, c'est avant tout que cette licence permette la poursuite vers le master et le doctorat et qu'elle prenne toute sa place dans le cadre d'une refonte beaucoup plus globale (2). C'est la raison pour laquelle je vais travailler avec les infirmiers et les infirmières pour créer une filière universitaire complète qui ira jusqu'au doctorat.

La licence portera en elle la reconnaissance de la qualification à bac + 3 des infirmières...

Ce qui est le cas !

Pour les infirmières hospitalières, cette reconnaissance s'accompagnera-t-elle d'une revalorisation salariale ?

La revalorisation salariale des infirmières sera abordée une fois que nous aurons travaillé sur « l'universitarisation » de la formation et le contenu des métiers. Cependant, l'obtention de la licence ne conduit pas à être intégralement versé en catégorie A de la fonction publique. Ces sujets relèvent d'un processus de dialogue social que je mènerai en temps utile et qui nous amènera notamment à aborder le sujet des contreparties (regard appuyé de la ministre)... Par exemple, vous savez que l'âge du départ à la retraite n'est pas identique pour les catégories A et B. Je ne préjugerai donc pas des évolutions qui seront discutées avec les organisations syndicales représentatives dans ce domaine.

Comme vous le dites, changement de catégorie et revalorisation de salaire sont deux choses différentes. Et la seconde n'est pas conditionnée à la première...

La discussion sur la revalorisation salariale peut être extraite des notions de catégories et de niveau de qualification. Je suis tout à fait sur la ligne du président de la République dans son discours à Bletterans (3). Le déficit de l'hôpital n'est pas une fatalité, et si des marges d'efficience sont gagnées, il est normal que ce soit les agents qui en profitent. Je reprends complètement à mon compte les déclarations du Président sur l'intéressement.

L'enquête européenne Presst-Next (lire p. 12) lancée en 2002 a cherché à comprendre les raisons qui poussent de nombreux professionnels paramédicaux à quitter prématurément leur emploi à l'hôpital...

Oui, cette enquête est importante, même si je constate que certaines de ses hypothèses ne sont pas confirmées. Elle souligne par exemple que le faible salaire des infirmières impliquerait que les infirmières ne resteraient que douze ans (4) en exercice avant de se détourner de leur métier. Or, les données de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) montrent des durées de cotisation qui ne correspondent absolument pas à ces statistiques. On arrive à une durée moyenne de cotisation de 31 ans chez les infirmiers diplômés d'État. Ce chiffre est même en augmentation - puisque dans le rapport Berland de 2004, la durée était de 28 ans ! Donc l'image d'une désaffection pour le métier d'infirmière est battue en brèche par ces chiffres.

Mais on ne peut pas nier un problème d'attractivité !

Pour l'attractivité, bien sûr, les conditions salariales sont importantes, mais la reconnaissance universitaire des études d'infirmiers va permettre d'aller au-delà dans la valorisation de la profession. Vraiment, cette « universitarisation professionnalisante » - et je tiens à tous les termes - ouvre des perspectives : enrichissement du métier, des compétences, davantage de tâches, de responsabilités dans le cadre du partage des tâches entre les professionnels de santé, création de passerelles avec les autres professions de santé, ouverture à d'autres carrières, avec des spécialisations via les pratiques avancées, etc. C'est un facteur d'attractivité important.

L'analyse des données françaises de l'enquête Presst-Next vient d'être publiée. L'aspect salarial ne vient pas en premier lieu dans les motifs d'insatisfaction. En premier vient la frustration de ne pas pouvoir délivrer des soins de qualité et le sentiment que les conditions de travail détériorent la relation soignant- soigné. Cette enquête apporte de nombreuses pistes de réflexion. Instaurerez-vous des programmes s'inspirant de ces recommandations ?

Les questions de santé au travail sont du ressort de Xavier Bertrand et du ministère en charge du Travail. Un certain nombre de discussions vont être lancées avec les partenaires sociaux, visant à réformer la médecine du travail. Nous souffrons d'un manque d'attractivité de la médecine du travail et nous avons beau augmenter le quota d'internes, un certain nombre de postes disponibles ne sont pas pourvus. Là aussi, je crois qu'il faut arriver à une notion plus évolutive des carrières. Il faut entamer une réflexion sur l'ouverture de passerelles permettant à des médecins généralistes ou spécialistes d'acquérir la spécialité de médecine du travail. C'est évidemment indispensable.

Le deuxième élément, c'est que le médecin ne peut pas exercer seul. Il faut qu'il soit à la tête d'une équipe pluridisciplinaire, où il pourra piloter des professionnels tels que des infirmiers ou des infirmières, qui se verraient déléguer certaines tâches.

Dans l'article 17 du projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires » se pose le principe de la généralisation des coopérations entre professionnels de santé...

J'ai voulu un changement de paradigme dans les délégations et partages de compétences, comme cela a été le cas pour le renouvellement de la vaccination grippale sans prescription médicale. Je souhaite que les coopérations se mettent en oeuvre à partir du terrain, entre des professionnels de santé volontaires qui y trouvent un intérêt pour mieux prendre en charge leurs patients. Elles devront bien sûr s'exercer dans le champ des connaissances, des expériences et des compétences des professionnels concernés.

Ce sont les professionnels qui pourront faire valider des protocoles de coopération dans le cadre des agences régionales de santé (ARS). D'abord parce que ce processus de volontariat fonctionne. À quoi sert une délégation de compétences qui n'est pas utilisée, qui n'est pas voulue par les professionnels et qui n'est pas exercée ? La coopération, c'est comme dans un mariage : on n'est pas tout seul dans cet exercice. Et bien entendu ces protocoles seront validés sur un avis médical, celui de la Haute Autorité de santé.

Par ailleurs, j'ai missionné quatre professionnels de santé pour qu'ils réfléchissent à ce thème - quatre professionnels paramédicaux, car je ne souhaite pas que les professionnels médicaux pensent à la place des paramédicaux. Leurs propositions pourront alimenter les concertations sur la formation (5), les masters paraissant le niveau privilégié pour former les infirmiers à ces nouvelles missions.

Je veux dire, parce que cela aussi a beaucoup inquiété les professionnels infirmiers et infirmières, qu'en aucun cas la question de la délégation des compétences n'affaiblira la hiérarchie des normes. Le décret de compétence reste un décret en Conseil d'État.

L'ordre sera-t-il pour vous un interlocuteur incontournable ?

Évidemment. L'ordre infirmier est une instance qui a pour objet d'établir les règles de déontologie, de veiller à l'observance de ces règles de déontologie et d'assurer la défense et la promotion d'une profession. Il est aussi un interlocuteur privilégié de la ministre. C'est ce qui définit un ordre. Pour ma part, je recevrai ses représentants, au même titre que les autres ordres : les pharmaciens, les médecins, etc. Chaque fois que j'y serai invitée et pour tout dossier important concernant les infirmiers, je demanderai à rencontrer l'ordre des infirmiers.

On constate une certaine désaffection des infirmières, surtout des jeunes pour le secteur de la gériatrie. Vous avez proposé de créer un métier de coordonnateur de soins qui sera aidé par des assistants de gérontologie. Cela supposera certainement des formations complémentaires. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces nouveaux modes d'exercice ?

Le plan Alzheimer, je le rappelle, est l'une des trois priorités du président de la République avec le cancer et les soins palliatifs. Ces métiers relèvent du secrétariat d'État à la Solidarité et donc de Valérie Létard. Elle envisage de développer des actions de formation continue pour les professionnels en poste, de même qu'un plan d'attractivité des professions en gériatrie et gérontologie pour les jeunes scolarisés au lycée et au collège.

Le plan Alzheimer prévoit la création de nouvelles formes d'exercice. Pour moi, la formation qualifiante de coordonnateur est une opportunité tout à fait remarquable pour une infirmière, une opportunité de carrière. Sur la base des expérimentations de ce que l'on appelle en anglais les case managers, une formation de coordonnateur va être créée.

L'objectif est de 1 000 coordonnateurs formés à l'horizon 2012. Des expérimentations très intéressantes ont déjà commencé. Certaines infirmières qui exercent dans des conditions difficiles à l'hôpital pourraient ainsi trouver un autre mode d'exercice. Les métiers qui prennent en charge le vieillissement, les structures dédiées aux personnes âgées ne doivent plus être considérés comme des sous-professions. Il est très choquant que certains puissent penser que l'on déclasse un hôpital lorsque l'on restructure un service en service de gériatrie. Cela montre à quel point notre société se dévoie. J'emploie le terme avec responsabilité.

Quand on examine le fonctionnement des soins palliatifs, on voit qu'il n'y a pas la même lassitude, de la part des soignants, à travailler dans ce secteur qui est pourtant un secteur très lourd mais où il y a une organisation, un soutien qui a été mis en place...

Cela illustre ce que je viens de dire sur l'image des personnes âgées dans notre société et sur la discipline gériatrique qui est injustement dévalorisée. Par ailleurs, les soignants qui travaillent en soins palliatifs bénéficient effectivement de groupes de parole et de soutien. Ces partages d'expérience doivent être développés en gériatrie et en gérontologie.

Le diplôme d'infirmier en secteur psychiatrique a été supprimé en 1992. Le système du tutorat mis en place par M. Douste-Blazy en 2006 n'est pas à la hauteur. Les jeunes infirmiers de psychiatrie se plaignent d'être insuffisamment formés. Ne pourrait-on pas envisager une spécialisation en psychiatrie sur le modèle des puéricultrices, des Iade ou des Ibode ?

J'ai demandé une évaluation très précise sur cette question du tutorat. J'en attends les résultats. Je ne dispose actuellement que d'une analyse partielle, ne comprenant pas toutes les régions. J'ai besoin de plus d'éléments pour dresser le bilan, mais il ne sera pas aussi négatif que ce que vous sous-entendez. Cette évaluation fait aussi partie de l'évaluation plus générale du plan Psychiatrie et santé mentale 2005-2008 qui sera menée au cours du premier semestre 2009.

Je n'ai aucun a priori pour ou contre la réintroduction d'une spécialité d'infirmière en psychiatrie. Cela fait justement partie de la mission que j'ai confiée à Édouard Couty, le président du Haut Conseil des professions paramédicales, le 7 juillet dernier. Le rapport me sera remis à la fin de l'année. J'agirai au vu des conclusions et des propositions de cette commission, où siège d'ailleurs un cadre infirmier en tant que personnalité qualifiée.

NB : Cet entretien a été relu et amendé par le ministère de la Santé.

1- Igas : Inspection générale des affaires sociales. IGAENR : Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche. Rendu public en octobre 2008, le rapport s'intitule Évaluation de l'impact du dispositif LMD sur les formations et le statut des professions paramédicales.

2- « Les infirmiers pourront, dans les mêmes conditions que les autres étudiants, avoir accès aux masters professionnels et masters de recherche, ainsi qu'au doctorat », a insisté la ministre en visite au Salon infirmier de Paris, le 6 novembre (cf. « Roselyne Bachelot visite le Salon infirmier », espaceinfirmier.com, 13 novembre 2008).

3- Le 18 septembre, Nicolas Sarkozy a visité une maison médicale pluridisciplinaire dans le Jura.

4- Ce chiffre de 12 ans n'apparaît pas dans l'enquête Presst-Next (lire p. 12).

5- La phase de concertation a commencé le 18 novembre.