Des patients aux populations - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

drass et ddass

Enquête

Veille sanitaire, suivi de l'offre de soin, inspection, prévention... les infirmières des directions des affaires sanitaires et sociales ne soignent plus, mais elles donnent corps aux politiques de santé publique.

À la sortie des Ifsi, à l'hôpital ou chez les libérales, partout ou presque la question suscite froncements de sourcils et moues perplexes. Lorsqu'on leur pose la question « Mais au fait, que fait réellement une infirmière travaillant en Ddass ou en Drass ? », les soignants bredouillent les mots « santé publique », « services de l'État », « mise en oeuvre des plans nationaux de type plan Cancer... Vous voyez ? » Non, pas vraiment ! Et finalement, à écouter les premières concernées - celles qui ont choisi d'exercer en Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) et en Drass (Direction régionale des affaires sanitaires et sociales), cette perplexité est plutôt logique : elles-mêmes ont généralement découvert le métier « par le plus grand des hasards » ! Un goût certain pour la santé publique - souvent conçue comme la possibilité de faire de la prévention - l'envie d'évoluer, le désir de ne plus être soumise aux gardes de nuit et de week-end, ou une simple allergie au latex... et les voilà débarquées en terra quasi incognita !

Quatre grands axes

Car d'abord... qu'est-ce qu'une Ddass ? Selon le Code de la santé publique, les directeurs de Ddass, sous l'autorité du préfet, sont responsables de la mise en oeuvre, dans les départements, des politiques sanitaires, médico-sociales et sociales... les Drass oeuvrant dans le même sens à l'échelon régional. Services déconcentrés de l'État, les Ddass doivent donner corps aux politiques d'intégration, d'insertion, de solidarité et de développement social, organiser des actions de promotion et de prévention en matière de santé publique, de protection sanitaire de l'environnement, de contrôle des règles d'hygiène, et exercer un contrôle des établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux.

Vaste programme ! Mais plutôt obscur. Édith Chapitreau, infirmière à la Ddass des Hauts-de-Seine et présidente de l'Afisp (Association française des infirmiers de santé publique) précise : « Pour résumer, nous avons au sein des pôles santé des Ddass-Drass quatre grands domaines d'intervention : la veille et la sécurité sanitaire, l'accompagnement des politiques de santé publique, le suivi de l'offre de soins médicale et médico-sociale, et une fonction transversale d'inspection des établissements de santé et médico-sociaux. Le tout en collaboration, pour l'essentiel, avec les médecins inspecteurs de santé publique et les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales. »

Cruelle pénurie

Quelque 150 infirmières ont sauté le pas et sont actuellement en poste dans les Ddass et Drass de France. Issues en majorité du milieu hospitalier, elles ont été recrutées par détachement - avec possibilité de demander leur rattachement au corps interministériel de l'État. Quelques autres ont le statut de contractuelles. À leurs côtés, le plus souvent, des médecins inspecteurs de santé publique : 300 à 320 praticiens en Ddass-Drass, indique Brigitte Lacroix, présidente du SMISP (Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique) en poste à la Drass de Lorraine. Au total, moins de 500 professionnels de santé pour 91 départements et 22 régions... « soit un manque cruel de personnel ! », tempête Brigitte Lacroix. Résultat : des réalités variées sur le terrain.

Chacun ses priorités

D'un endroit à l'autre, le travail ne peut être exactement le même : les Ddass et les Drass chargées d'accompagner la mise en oeuvre des politiques publiques nationales les déclinent en tenant compte des priorités départementales et régionales. Par ailleurs, si l'on est en poste en Drass, « on est surtout dans la planification, tandis qu'en Ddass on est plus dans la mise en oeuvre, le suivi-terrain des politiques et actions de santé », précise Jacques Vieuxbled, ancien infirmier de la Ddass du Morbihan.

La variété des situations découle aussi du manque de personnel. Certaines directions ne disposent d'aucune infirmière, ou d'aucun médecin, souvent faute de candidats. Si l'Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur sont plutôt bien pourvues, il est des lieux où l'on peine à recruter. Après des mois de vacance de poste, la Ddass de Gironde vient juste de trouver une infirmière et ne dispose que de trois médecins pour cinq postes. En juin 2007, « sept Drass et dix-neuf Ddass ne disposaient d'aucune infirmière ! » relève Édith Chapitreau.

Sigles trompeurs

Se remémorant leur prise de poste, certaines de ses collègues sourient : « On est déconcertées, toujours ! » Audrey (1) se souvient : fatiguée du milieu hospitalier, elle a vu - dans L'Infirmière magazine ! - une annonce pour un poste en Ddass dans le centre de la France. S'est dit qu'elle pouvait aller voir... « Au départ, je ne comprenais rien ! D'autant que l'infirmière que je devais remplacer était déjà partie, ainsi que le médecin ! On me parlait FIV, je comprenais fécondation in vitro quand c'était Fonds interministériel à la ville ! J'étais submergée de réunions, de sigles inconnus, de thématiques de santé publique... sans savoir ce que ça pouvait bien vouloir dire concrètement. »

Deux ans plus tard, elle est toujours là. Et heureuse de l'être ! « Sauvée », explique-t-elle, par son expérience antérieure - à l'hôpital mais aussi en libéral, auprès d'associations de maintien à domicile et au Samu social. Et par l'accueil qu'elle a reçu : « J'étais seule comme soignante, mais le responsable du pôle santé et les principaux cadres m'ont pris sous leur aile, m'accompagnant aux réunions, décodant pour moi le langage administratif ; un médecin du département voisin venait dès qu'il pouvait ; et mes collègues des départements limitrophes me guidaient ! »

Autre difficulté : il n'existe aucune circulaire de mission relative au travail infirmier en Ddass et Drass. Pas plus d'ailleurs que d'existence officielle du métier d'infirmière de santé publique. « Nous disposons tout juste, souligne Claudine Edel, en poste à la Drass d'Alsace, d'une circulaire réglementant notre avancement statutaire... et nous sommes citées comme "personnes ressources" ou "collaborateurs" dans les circulaires de mission des médecins inspecteurs. » Mais sur le fond... « notre activité relève des seules dispositions relatives à l'exercice de la profession d'infirmier. Des textes qui ne réglementent que les actes de soins », renchérit Édith Chapitreau. Résultat : les missions des infirmières de Ddass et Drass sont parfois difficilement identifiables... « et il n'existe pas deux fiches de poste identiques ! », note-t-elle.

Oui, expliquent les soignantes de Ddass-Drass, au vu de ces conditions les choses peuvent être dures ! Mais très vite, elles peuvent aussi être passionnantes ! D'ailleurs, « même si l'on choisit ces postes parce que l'on a envie d'une certaine qualité de vie, on ne peut pas tenir si l'on n'a pas aussi un goût prononcé pour les enjeux de santé publique ! D'autant que les salaires ne sont pas mirobolants », souligne Hélène Grandguillot, en poste à la Ddass de Dordogne. Pas de circulaire de mission ? Des notions de santé publique parfois lointaines, encore aujourd'hui peu abordées en Ifsi ? Peu importe ! Les soignantes se sont formées - souvent sur leur temps personnel - beaucoup en passant un DU de santé publique. Et ont « râlé » ! tant et si bien que l'EHESP de Rennes vient de créer une formation d'adaptation à l'emploi pour les infirmières de Ddass-Drass, qui a débuté en octobre dernier.... « En attendant plus ! », précise Édith Chapitreau.

Toujours infirmière !

Se former, accepter d'être déconcertée... « Infirmière en Ddass-Drass, c'est une reconversion professionnelle ! » explique Christelle Galita, en poste à la Ddass de l'Essonne. Ce n'est pas devenir une « administrative » : « Il est essentiel de rester infirmière - c'est comme cela que l'on peut apporter quelque chose. » Simplement, on ne travaille plus auprès des patients mais « auprès de la population ». Un challenge. Qui implique, souligne Isabelle Bourdeau, en poste à la CIRE Ile-de-France après avoir travaillé à la Ddass de Seine-Saint-Denis - « que l'on ait fait le deuil de la relation patient-infirmière, que l'on accepte de ne plus être dans le soin » à proprement parler.

En Ddass et Drass, les interlocuteurs des infirmières, et des médecins, ne sont plus des patients mais des institutions. Multiples : un Ehpad lors d'une inspection, une association missionnée sur un projet VIH-sida, un conseil régional lors de réunions de suivi du plan régional de santé publique. Et cætera ! Pour être efficace, il faut décoder et maîtriser un nouvel environnement de travail : apprendre à monter un dossier, manier chiffres et sigles, mener une réunion !

Alors... le travail prend sens. Concrètement. « Survient une rougeole, maladie à déclaration obligatoire, je fais de la veille sanitaire : j'enquête pour voir qui est atteint, comment les personnes ont été contaminées, je rassure... recense, tente de limiter le nombre de personnes touchées en alertant soignants de terrain et collègues. Survient une infection nosocomiale, je vais voir et je la signale. En inspection avec le médecin dans un établissement de santé, étant infirmière, je suis capable de percevoir un dysfonctionnement, un abus dans l'organisation des soins », explique Laurence Langely, en poste à la Ddass de Savoie.

« Il faut une maturité »

Et si le métier comporte toujours une large part de veille et sécurité sanitaire, et de participation aux inspections, il recèle une incroyable variété d'autres actions, notamment dans les petites Ddass : du suivi de l'accès au soins pour les plus démunis à l'inspection relative à l'accès à l'IVG, en passant par la mise en place d'actions en matière de nutrition ou la vérification de la conformité des VSL (véhicules sanitaires légers) du département !

Richesse et complexité des missions. Comme le fait remarquer Cécile (1), en poste dans l'est de la France, « on ne travaille pas en Ddass-Drass à la sortie d'Ifsi. Il faut une maturité, une expérience hospitalière, voire extra-hospitalière. » Fortes de leur regard infirmier, les soignantes gagnent leur place au sein d'une administration où elle ne sont arrivées qu'assez récemment, les postes d'infirmière en Ddass-Drass étant apparus surtout à partir des années 1990. « Au sein d'équipes pluridisciplinaires, elles apportent une sensibilité, née de leur pratique du soin, unique. Et indispensable ! » souligne Michel Laforcade, directeur de la Ddass de Dordogne.

Paysage mouvant

Reste à motiver les candidat(e)s, notamment en clarifiant et en reconnaissant le champ de compétences de chacun(e), explique Jacques Raimondeau, travaillant à la DGS sur la mutualisation des compétences médicales et infirmières, avec en ligne de mire la prochaine création des Agences régionale de santé (ARS), qui absorberont les services des ARH, des Ddass, des Drass et des Urcam. Avis aux amateurs ! n

1- Leurs prénoms ont été modifiés.

témoignage

« IL FAUT FAIRE SON TROU... »

Elle a « roulé sa bosse » un peu partout : à l'hôpital, au sein d'une association oeuvrant pour l'accès au soin des plus démunis, douze ans à travers le monde pour MSF. Avant de choisir la Ddass de Dordogne. Une première fois entre 1993 et 1995, à l'occasion du lancement d'un chantier d'accès aux soins. Et, depuis 2001, de façon plus pérenne, mais toujours comme contractuelle. Et elle est ravie ! Hélène Grandguillot ne parle pas de « passion » comme lorsqu'elle était à MSF. Mais elle aime son nouveau métier. D'autant plus peut-être qu'elle l'exerce dans un « petit » département, avec certes une lourde charge de travail, mais aussi une enrichissante variété de missions. Veille sanitaire, suivi des permanences d'accès aux soins dans les hôpitaux du département, inspections, accompagnement des acteurs missionnés dans le cadre du plan régional de santé publique, que ce soit en termes de lutte contre le cancer ou les pratiques addictives, en matière de prévention VIH-Sida ou sur le programme santé-environnement. Elle veille à garder un pied sur le terrain, même si le travail administratif est essentiel : si l'on veut construire des politiques cohérentes, il faut savoir faire circuler l'information. Elle résume : « Il faut "faire son trou", aimer travailler en équipe pluridisciplinaire... Vouloir prendre un peu de hauteur, tout en restant soignante, car c'est bien ce qui fait la richesse de notre expertise. »