Faut-il chercher à tout prédire ? - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

Exposition

Éthique

Des tests génétiques aux défis de l'imagerie médicale, une exposition, à la Cité des sciences et de l'industrie de Paris, met en lumière les troublants enjeux de la médecine prédictive.

Aujourd'hui, quelque 1 000 tests génétiques sont disponibles dans le monde. Entre 2001 et 2007, le nombre de ces tests a triplé. Et, actuellement, 100 à 150 gènes sont testés en routine. En France, près de 70 % des anomalies congénitales du foetus ont été dépistées, contre 16 % il y a seulement vingt-cinq ans. « Médecine prédictive : l'explosion »... l'exposition visible jusqu'en février prochain à la Cité des sciences de Paris n'a pas volé son nom !

Etat des lieux factuel

L'initiative donne à voir mais surtout à penser. « Au-delà des applications strictement médicales et de l'émergence progressive d'une médecine personnalisée, l'explosion du marché des tests pose un certain nombre de questions d'ordre psychologique, éthique et social », déclarent les organisateurs. Ils se sont donnés pour mission de dresser un état des lieux factuel, objectif et rigoureux du sujet, et d'offrir ainsi l'occasion « aux experts, aux scientifiques mais aussi au public de s'exprimer librement ».

Réflexion partagée

Quatre thématiques charpentent cette exposition, résolument pédagogique : « La médecine prédictive, pour quoi faire ? » ; « Les tests génétiques : un marché en plein essor » ; « Une diversité de marqueurs et de techniques d'imagerie » et « Quel avenir pour la médecine prédictive et les tests ADN ? » En outre, les visiteurs pourront partager, grâce à une webcam et un micro, leurs commentaires et réflexions avec les visiteurs suivants.

Carte blanche a été donnée à de nombreux scientifiques et experts. Retenons celle de Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique et celle de Anne Cambon-Thomsen, directrice de recherche au CNRS, responsable de l'unité Inserm « Génome et santé publique », qui éclairent les enjeux auxquels nous confronte la médecine prédictive.

Avenir radieux ?

« Il existe toujours une tentation pour la société de prédire l'avenir, souligne Didier Sicard, et la médecine s'engouffre dans cette prédiction en pensant que plus on prédira un risque, moins il aura de chances de survenir. Le marché biotechnologique se nourrit d'une recherche prometteuse offrant un avenir radieux à l'être humain, mais finit par oublier la personne qui est l'objet de cette prédiction. L'humain est fait d'incertitudes et le futur restera fait d'incertitudes, et c'est en mettant la médecine prédictive à sa place, en l'interrogeant de façon permanente, que peut-être une certaine lucidité de l'humain pourra continuer à surgir. »

Loi de bioéthique en vue

Et Anne Cambon-Thomsen d'interroger : « Il y a dans notre société une soif de recherche d'informations sur soi... c'est vrai aussi par rapport à l'information génétique. Si les tests sont largement utilisés, il est toujours conseillé d'aller voir son médecin. J'aimerais beaucoup que, dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique [en 2009], le débat ait lieu sur la meilleure façon de contrôler l'utilisation d'une information génétique de ce type. » D'ores et déjà, chacun peut tester... ses connaissances sur le sujet grâce à un quiz en ligne(2).

1- À Paris, métro Porte de la Villette. Du mardi au samedi de 10 heures à 18 heures, le dimanche jusqu'à 19 heures. Jusqu'au 8 février 2009.

2- http://www.cite-sciences.fr (rubrique Expositions puis Science actualité).

TÉMOIN

Marie Leyreloup : « Attention aux dérives scientistes ! »

« Je n'ai pas d'a priori sur l'utilisation de tests génétiques. On ne doit pas se priver de nouvelles applications médicales dues aux progrès scientifiques, estime Marie Leyreloup, cadre de santé à l'EPS Esquirol (94) et présidente de l'association Serpsy (Soin, étude et recherche en psychiatrie) (1). Même si je note que les travaux sur les neurosciences et la génétique se font au détriment d'autres types de recherches et qu'ils sont très largement soutenus par les firmes pharmaceutiques, dont l'objectif est davantage financier que philanthropique... Une autre chose qui me gêne, dans le domaine de la psychiatrie, c'est le fait que les neurosciences, qui n'en sont pourtant qu'à leurs balbutiements, soient déjà perçues comme une sorte de remède miracle, capable de guérir tous les maux de la société, alors que le facteur génétique n'est qu'un élément parmi d'autres dans l'expression d'une pathologie psychiatrique. Dans ce contexte, je pense qu'il faut rester vigilant et poser la question de l'encadrement de ces thérapies, au risque, sinon, de voir surgir ou resurgir des dérives scientistes. »

1- Sur Internet : http://www.serpsy.org.