« Il faut sensibiliser les parents » - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

Conduites à risques

Questions à

Strangulation, drogues, alcool... Quand les adolescents ou les enfants se mettent à l'épreuve du danger, il revient aux adultes de marquer la frontière entre le normal et le pathologique.

Quelle évolution observez-vous dans les conduites à risques chez les adolescents ?

Depuis vingt ans, on a l'impression que l'adolescence commence plus tôt, même sur le plan biologique. Concernant les conduites d'initiation aux produits toxiques, on est passé des 16-18 ans aux 11-12 ans. Le binge drinking, qui consiste à absorber une énorme quantité d'alcool en une soirée, concerne aujourd'hui les collégiens. Ces consommations extrêmes entraînent violence, passage à l'acte, auto-agressivité... Sur le plan de la construction neuropsychique et cérébrale, à 12 ou 13 ans, l'alcool, comme le cannabis, a un impact important. Et les prises de risques se cantonnent rarement à un seul domaine.

Voulez-vous parler de polyconsommations ?

On parle d'usages concomitants : tabac, alcool, cannabis, médicaments... Mais attention, il ne s'agit pas d'addictions qui correspondent à une dépendance. Le binge drinking peut s'apparenter à un jeu de défi. Certaines études relèvent que 11 à 12 % des collégiens interrogés ont déjà pratiqué un jeu dangereux. Ces jeux consistent à tester sa capacité à vivre une situation qui fait peur. Cela peut aller de la simple résistance à la pression du regard à des conduites bien plus risquées, comme le jeu du TGV (traverser une voie ferrée juste avant que le train n'arrive). Cela se pratique en groupe : l'adolescent choisit de se mettre en scène, devant les autres.

Ensuite viennent les jeux de non-oxygénation, comme le jeu du foulard, de la tomate (contraction du sternum par compression) ou la strangulation : la privation d'oxygène entraîne l'évanouissement, parfois la mort cérébrale. On a déjà repéré ce genre de gestes chez des enfants de 6 à 8 ans : ils n'ont pas conscience de l'irréversibilité de la mort. Pour les adolescents, il s'agirait sans doute d'un besoin de reconnaissance à travers l'accident, le suicide...

Comment s'explique ce phénomène ?

Souvenez-vous de La Guerre des boutons... Le monde de l'enfance n'est pas idyllique. Ce qui est plus ennuyeux, c'est le rajeunissement de la population touchée. L'enjeu, c'est la recherche de l'identité des jeunes, qui ne veulent pas coller à l'image qu'ils ont de la société et de leurs parents... d'autant plus qu'ils grandissent dans une société de l'image. Alors, pour exister aux yeux des autres, ils adoptent ce qu'il y a de plus risqué. De plus, on responsabilise trop tôt ces adolescents : ils affichent une certaine maturité en surface, mais manquent d'encadrement. Le passage au collège est significatif. Que faire de sa nouvelle liberté, d'un corps qui change ? C'est à la société, et surtout aux parents, de dire non. Une trop grande liberté pousse à l'extrême.

Comment les parents peuvent-ils les aider ?

D'après une étude anglo-saxonne de 2006, seuls 3 % des enfants pratiquant ces jeux en parlent aux parents. Il manque une présence, la transmission de valeurs, des activités partagées. Il ne s'agit pas de remplir la vie de l'enfant mais de lui permettre d'avoir un projet individuel. Les parents ont peur de perdre l'amour de leur enfant et craignent d'être autoritaires. C'est alors le monde à l'envers : la distinction entre le monde de l'enfant et celui de l'adulte ne se fait plus. Et puis, il faut savoir accepter les jeunes tels qu'ils sont : un faux pas de l'adolescent, c'est comme un faux pas de son bébé, il faut l'aider à se relever.

Quelle prise en charge apporter ?

Cela dépend des situations. Avec un adolescent hospitalisé pour une phobie scolaire, on travaille sous un angle traumatique l'événement qui est arrivé. S'il existe une dépression masquée par un comportement de prise de risque, on traite la dépression tout en faisant prendre conscience du danger à l'adolescent. Les thérapies psycho- dynamiques donnent un sens à ces conduites en les inscrivant dans l'histoire familiale. Les thérapies comportementales, enfin, permettent de mieux gérer l'émotion, tandis que la prise en charge familiale aidera à repérer des symptômes d'appel.

Qu'est-ce qui vous intéresse le plus dans les conduites à risques ?

Elles posent la question du normal et du pathologique chez l'adolescent. Pour moi, un jeune silencieux, chez qui tout semble aller bien et qui ne prend pas de risques, m'inquiète autant qu'un autre. Quelle est la frontière entre la prise de risques nécessaire à un adolescent et le signe d'un malaise ? Il faut informer les adultes sur les différentes formes de jeux à risques afin qu'ils puissent apporter des réponses, sans éveiller d'opposition ou de résistance chez les adolescents. Car ce qui marche le mieux avec eux, dans cette tranche d'âge, c'est de discuter.

Grégory Michel Psychologue et psychothérapeute

Praticien au sein du service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent du CH Charles-Perrens de Bordeaux, Grégory Michel enseigne également à l'université de Bordeaux 2. Il est l'auteur de La Prise de risque à l'adolescence (Masson, 2001), mais aussi co-auteur de Personnalité et développement : du normal au pathologique (Dunod, 2006) et de Prévenir la délinquance dès la petite enfance (L'Harmattan, 2006).