« L'équipe facilite tout » - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

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Étude Presst-Next à l'appui, Madeleine Estryn-Béhar souligne l'importance des conditions de travail et du collectif dans la motivation des infirmières.

Responsable pour la France de l'enquête presst-next sur la santé et la satisfaction au travail des soignants européens, Madeleine Estryn-Béhar, médecin du travail, vient de publier (1) une analyse des données recueillies au cours de cette étude réalisée dans dix pays entre 2002 et 2006. Entretien.

Roselyne Bachelot réfute l'idée selon laquelle les infirmières se détourneraient précocement de leur métier (lire p. 8)...

C'est pourtant le constat qui a poussé la Commission européenne à financer l'étude : d'après les chiffres de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) sur une année donnée, 11,5 % des infirmiers de France ont cessé d'être fonctionnaires hospitaliers entre 30 et 44 ans, et 18,7 % entre 45 et 54 ans. Au total, 35,2 % sont partis avant 55 ans.

Pour quelles raisons partent-ils ?

Souvent par épuisement émotionnel. Ils sont fiers de leur métier, et les mots qu'ils emploient dans les questions ouvertes sont les mots de l'amour : « J'adore », « je suis passionné », mais « je préfère partir que de faire mon métier sans professionnalisme, en ne comprenant rien à la détresse des gens que je soigne ».

Sur quoi peut-on agir ?

Les conditions de travail sont au coeur de l'envie d'abandonner. Plus que le salaire. Nous avons élaboré un score autour de la satisfaction du soutien psychologique, de la satisfaction de la qualité des soins, de l'utilisation des compétences, le fait de ne pas avoir d'informations trop tard, de ne pas recevoir d'ordres contradictoires, de pouvoir discuter de son travail régulièrement. Nous l'avons intitulé « score de qualité du travail d'équipe ». Quand ce score est élevé, il y a six fois moins d'intentions d'abandonner que lorsqu'il est faible. Donc, tout ce qui peut être fait pour souder les collectifs de travail est bénéfique.

Des mesures comme l'intéressement ou la prime au mérite sont-elles de nature à encourager ce travail d'équipe ?

La compétitivité ne facilite pas la solidarité, l'entraide, la réponse au questionnement des autres. Or le travail d'équipe, entre infirmiers d'une part et avec les autres professionnels de santé d'autre part, facilite tous les aspects du travail infirmier et accroît la qualité des soins en améliorant le partage des informations, en réduisant la crainte de l'erreur et la survenue d'événements indésirables, etc. Mais le travail d'équipe ne se décrète pas. Il faut un lieu et un temps pour cela.

Y a-t-il un problème de sous- effectifs dans les hôpitaux ?

Ce n'est pas le seul facteur à prendre en compte. Les infirmiers peuvent voir jusqu'à 40 % de leur journée coupée par des interruptions (liées le plus souvent à la recherche d'informations et de matériel). Le manque de concertation à la prise de poste et le manque de suivi des mêmes patients par une même équipe font perdre un temps considérable. Un temps également perdu pour l'accompagnement du malade, puisqu'aller trois fois deux minutes auprès d'un patient, ce n'est pas pareil que rester six minutes continues. Sans parler du respect des règles d'hygiène : si une infirmière entre 60 à 70 fois par jour dans une chambre, comment peut-elle se laver les mains 120 ou 140 fois ? Il y a une contradiction entre des choses édictées et les moyens à disposition.

1- Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe, EHESP, 30 euros. Retrouvez l'intégralité de l'entretien sur http://www.espaceinfirmier.com