Le « care » se rebiffe - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

Elizabeth Haukedahl

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Pénurie, assurance-maladie à deux vitesses, considérations purement mercantiles... le système de santé américain fait rugir Elizabeth Haukedahl et bon nombre de nurses. Mais l'espoir renaît avec Barack Obama.

Assise dans son salon, la télécommande à la main, Elizabeth zappe frénétiquement d'une chaîne à l'autre. L'espoir est si fort, mais la peur si tenace. Peut-être que la multiplication des sources lui donnera l'info avant tout le monde... Vers 22 heures, un portrait de Barack Obama apparaît sur le petit écran avec les mots « The 44th President of the United States » (le 44e président des États-Unis). L'infirmière de Chicago, jolie quinquagénaire au sourire qui semble pourtant rivé sur son visage, ne peut réprimer ses larmes. « Je n'arrivais pas à y croire ! J'étais si heureuse ! » témoigne-t-elle quelques jours plus tard.

Indépendance

Elizabeth Haukedahl a été immédiatement séduite par Barack Obama. D'abord par son plan santé : le candidat démocrate proposait une réelle réforme du système de santé qui est, pour cette registered nurse (infirmière diplômée) le problème de société majeur des États-Unis. Ensuite pour le symbole : jamais elle n'aurait cru voir un Noir candidat à la Maison Blanche. Mais Elizabeth a loupé l'entrée en fanfare de son chouchou sur la scène nationale américaine, le fameux coup d'éclat de la convention démocrate de 2004 où il avait prononcé le keynote speach, le discours inaugural - un discours clé, retransmis à la télévision en prime time. Parfaitement inconnu la veille, Obama avait déchaîné les passions en appelant à une unité à laquelle les Américains ne croyaient plus. Le buzz médiatique et politique était né.

Cependant, Elizabeth regarde très peu la télévision. Elle a découvert le démocrate peu de temps après, lorsqu'il a fait campagne pour le poste de sénateur de l'Illinois, l'État de Chicago. « Il était neuf. Il ne semblait pas lié à de grandes entreprises, comme Bush avec les compagnies pétrolières. » Et après réflexion, elle ajoute : « Même Hillary Clinton semble moins libre. Elle avait déjà des velléités politiques lorsque son mari était Président. » Mais ce qu'Elizabeth estimait être un atout constituait précisément la première critique de ses opposants : son indépendance devenait de l'inexpérience.

Réforme cruciale

Infirmière dans un hôpital public, échaudée comme beaucoup de ses concitoyens par les années Bush, elle préférait voir se présenter un homme nouveau et croire au changement qu'il prône à longueur de meetings. Un changement qui doit absolument s'attaquer en premier lieu à la question de l'assurance-maladie. Bien sûr, il faut gérer la crise financière et assainir le système bancaire, ou encore faire évoluer les droits des homosexuels. Mais la réforme de l'assurance-santé est cruciale. Et urgente. Pour Elizabeth, le système a déraillé : « Certains soins coûtent un prix tellement élevé... et différent selon l'endroit où vous le recevez ! »

Sur un banc jouxtant son hôpital du centre-ville, l'infirmière déguste le grand café qui clôt son heure de pause-déjeuner. Une bonne partie des passants porte l'uniforme classique des soignants américains, dont la couleur varie du vert pâle au rose en passant par les blouses blanches et toutes les nuances de bleu. Celui d'Elizabeth est layette. Ni trop froid, ni trop passe-partout. Un peu sage. Aussi sage que son brushing blond soigné, et ses petites lunettes fines. Mais derrière ces apparences, elle bouillonne : « Je travaille pour une compagnie "à but non lucratif"... et elle est uniquement régie par des considérations mercantiles ! »

Iniquité

L'infirmière est d'autant plus en colère que les règles ont changé depuis son entrée dans la profession. Cette Chicagoan, comme on dit ici, a terminé sa quatrième année universitaire en 1985, le diplôme d'infirmière en poche. Elle aurait pu s'arrêter à deux ans d'études comme la plupart de ses collègues, mais elle pensait un jour aller plus loin et passer un master d'infirmière praticienne, un poste à mi-chemin vers la médecine. L'infirmière praticienne peut prescrire et interpréter des résultats biologiques, et elle travaille la plupart du temps en collaboration avec des médecins. Finalement, la carrière d'Elizabeth n'a pas emprunté cette voie-là. « J'ai eu mes enfants », sourit-elle en guise d'explication. Elle débute en soins intensifs en néonatalité, puis en salle de travail en maternité, avant de s'arrêter neuf ans pour s'occuper de sa fille et de son fils.

Pendant toutes ces années, Elizabeth exerce selon la déontologie qui collait à sa vocation : soigner les patients du mieux possible. Lorsque l'heureuse maman revient dans le métier, elle tombe de haut. « J'ai voulu continuer comme avant, soulager un patient qui souffre, lui permettre de se sentir un peu mieux. Rien de bien énorme. Mais on m'a dit : "Non non, ne lui donne pas ça, il est sous Medicare ou Medicaid !" [les assurances santés les plus limitées pour les plus démunis, ndlr]. Barack Obama propose une réforme beaucoup plus équitable. Il ne va pas améliorer la couverture santé de chacun, mais au moins, tout le monde y aura droit. »

Aberrations

Pour Elizabeth, la réforme ne doit pas s'arrêter là. Elle qui travaille aujourd'hui dans une unité de radiothérapie s'insurge contre les aberrations conduites par le système de rémunération des établissements publics. « Deux hôpitaux sont en train de construire deux centres de radiothérapie à 10 miles l'un de l'autre parce que le traitement rapporte 40 000 dollars et que les compagnies d'assurances vont payer pour ce traitement-là. Alors qu'il n'y a pas assez de patients concernés ! Et, en plus, parmi ceux qui en ont besoin, certains n'ont pas d'assurance-maladie... »

Elizabeth n'est pas une militante. Mais aujourd'hui, elle estime la situation catastrophique. Alors pour elle, Barack Obama est une énorme bouffée d'espoir et elle en discute volontiers pour expliquer que les politiques passées l'ont conduite à une certaine lassitude vis-à-vis de sa profession. « Je suis frustrée et en colère contre la bureaucratie hospitalière qui pose tant de problèmes lorsqu'un patient n'a pas la bonne assurance ! Et ce qui me fatigue tous les jours, c'est l'énorme ego de certains médecins qui peuvent faire attendre un patient une heure ou plus, ne prennent pas leurs appels, sont dédaigneux... En ce moment, j'ai vraiment envie d'arrêter, d'aller travailler en plein air, dans des parcs naturels. »

Pénurie chronique

Pourtant, Elizabeth Haukedahl sait qu'elle n'est pas la plus à plaindre. Tous les midis, lorsque le temps le permet, elle descend de l'unité de radiothérapie, et prend son déjeuner sur l'un de ces bancs de la rue Fairbanks. Au soleil. Et à quelques centaines de mètres des plages du lac Michigan. Un privilège qu'elle apprécie à sa juste valeur. « Vous ne trouverez jamais les infirmières d'hospitalisation sur ces bancs, assure-t-elle. Elles n'ont pas le temps de sortir de leur bâtiment : en général, elles n'ont que vingt minutes de pause-déjeuner. » Le coupable est bien connu de tous : le manque chronique d'infirmières. « Les ressources humaines de l'hôpital affichent un taux de vacance de 4 %, mais on est loin de la réalité. Ça ne reflète que les places libres officiellement. Il en faudrait beaucoup plus pour pouvoir assurer les gardes convenablement. »

Historique

L'infirmière ne croit pas que le nouveau Président, seul, puisse réformer tout le système, mais elle assure : « Obama a la capacité de donner le ton et d'impulser le changement. Et si la chambre des Représentants est démocrate, alors oui, il le peut ! » Elle y croit. Pourquoi n'y croirait-elle pas ? La présence même du sénateur de l'Illinois, un métis de mère américaine et de père kénian, dans cette course à la Maison Blanche aurait été incroyable il y a encore quelques années. Alors la victoire... « C'est historique. On vient de si loin en si peu de temps ! Je suis née en 1958. Je me rappelle avoir regardé le discours de Martin Luther King à la télévision... et avoir pleuré devant les émeutes raciales. Je ne pensais pas que je pourrais voir un Président noir dans ma vie ! Ça montre que tout peut arriver ! »

moments clés

- 1985 : Elizabeth Haukedahl termine sa quatrième année à l'université de l'Illinois (Chicago), et obtient le diplôme d'infirmière.

- 1985-1988 : elle commence sa carrière au service de néonatalité, en soins intensifs. Puis, au bout d'un an, elle exerce en maternité, en salle d'accouchement.

- 1988-1997 : elle fait une pause pour élever ses deux enfants.

- 1997-2003 : Elizabeth devient infirmière scolaire, mais le salaire est beaucoup trop bas.

- 2003-2006 : elle retourne à l'hôpital en gériatrie, un service dont elle ne sort pas indemne.

- Depuis 2006 : elle a intégré une unité de radiothérapie.