Planning et soins dans l'île - L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 244 du 01/12/2008

 

une unité mobile à Madagascar

24 heures avec

À Madagascar, les équipes de l'ONG Marie Stopes International informent et soignent les mères, les adolescentes et les enfants des régions les plus défavorisées.

Antananarivo, quartier d'Avaradoha. Le siège de Marie Stopes International (MSI) surplombe les collines verdoyantes de la capitale malgache. La maternité, tout de bleu vêtue, respire la sérénité... À ses pieds, le parking des 4 x 4, indispensables pour les interventions dans les lieux les plus reculés de la Grande Île dont les routes, à part la mythique RN7 et quelques rares autres, sont dans un état pitoyable. « Marie Stopes » est la seule ONG à aller à la rencontre de la population malgache. Grâce à ses équipes mobiles, elle apporte une réponse au manque criant de soins de la mère et de l'enfant et à la réflexion sur la natalité dans les régions les moins accessibles de cette île grande comme la France. Entre pauvreté et manque d'information, les mères s'approprient ainsi une liberté et une relation apaisée avec leurs enfants.

Pistes défoncées

6 heures du matin, départ de l'une des unités mobiles de l'ONG : la route est longue pour rejoindre Ambohimandroso, au sud de la capitale, dans la région des hauts plateaux. Trois heures sont nécessaires pour voir se profiler le village, isolé au bout d'une mauvaise piste de terre entrecoupée de creux, de bosses et de flaques d'eau de pluie du matin. Les rizières se succèdent de part et d'autre et les silhouettes des paysans forment un magnifique ballet, très organisé. Les habitants savent que l'équipe de MSI arrive : quelques semaines plus tôt, elle s'est rendue sur place pour sensibiliser les femmes au planning familial et aux soins médicaux pour les enfants. Un chauffeur, une animatrice, un médecin et une infirmière sont les quatre piliers de cette unité d'élite.

Prévention, information sur la contraception, soins de la mère à l'enfant, sensibilisation à l'allaitement, sont les leitmotivs de ces soignants passionnés, dignes héritiers de Marie Stopes. Cette femme médecin écossaise fut la pionnière du planning familial en Grande-Bretagne. C'est sous son impulsion que s'est ouverte au nord de Londres, en 1921, la première clinique de contrôle des naissances. Ses convictions ont été renforcées par sa rencontre avec l'Américaine Margaret Sanger, qui fut infirmière dans un bidonville de New York et l'une des premières a remarquer, chez les femmes les plus pauvres, la forte mortalité que causaient les auto-avortements : un constat toujours valable à Madagascar.

L'enfant est sacré

Avec un PIB de 900 dollars par habitant (en 2006), Madagascar compte parmi les pays les plus pauvres du monde. À voir les vêtements déchirés, les pieds nus, les dents abîmées, on mesure à quel point les familles nombreuses peuvent avoir du mal à nourrir et à soigner correctement leurs enfants. Néanmoins, ici, l'enfant et sacré : « Pour beaucoup de Malgaches, limiter les naissances, c'est comme tuer un enfant », explique Oly Randrianatoandro, la responsable du planning familial chez MSI. Mais lorsqu'on a 25 ans et déjà quatre ou cinq enfants, on se résout à adopter des méthodes contraceptives. Avec l'ambition d'offrir la meilleure santé possible à ceux qui sont déjà là.

Dépliants illustrés

9 heures. Une quinzaine de jeunes femmes sont regroupées devant le modeste dispensaire d'Ambohimandroso. Le médecin, Hélène Sam-Y Wane, et l'infirmière, Lala Rabarison, entament un échange fructueux avec elles : dépliants à l'appui, agrémentés de schémas très simples (la plupart des femmes sont illettrées), elles expliquent les différentes méthodes contraceptives. Toutes deux travaillent depuis plus de dix ans à MSI, leurs convictions toujours chevillées au corps. À 48 ans, Lala Rabarison exerce le métier de ses rêves : « Jeune fille, je regardais les émissions médicales à la télévision, raconte-t-elle. On y parlait de la santé des femmes, des difficultés auxquelles elles sont confrontées lorsqu'elles ont de nombreux enfants... Aider ces mères, leur prodiguer des conseils, améliorer leurs relations avec leurs enfants à travers les soins, c'est ce que j'ai toujours voulu faire. » Consciente des difficultés économiques qui prévalent dans son pays et mère d'une fillette de 13 ans, elle ne voulait elle-même qu'un seul enfant. Polyvalente, cette infirmière au visage rassurant s'occupe de tous les aspects de la santé de l'enfant : suivi des bébés, vaccinations, planning familial. Elle continue à se former sur le terrain en permanence.

À Ambohimandroso, comme lors de toutes ses interventions au sein des équipes mobiles, Lala assiste le médecin, prépare le matériel et les salles, rassure les patientes. Un jeune couple est là avec son bébé. Âgé de quelques mois, il souffre d'un kyste au doigt et ses parents sont un peu paniqués. L'infirmière les accompagne auprès du médecin d'État qui exerce au dispensaire du village. Avec beaucoup de douceur, cette femme les accueille dans la salle de soins. Pesée du bébé, mots rassurants... le kyste douloureux, est rapidement retiré. Dehors, une femme enceinte, carnet de santé à la main, attend son tour avec impatience : le suivi de la grossesse est l'un des points forts de MSI.

Choisir d'enfanter

Devant la salle des accouchées, trois jeunes femmes discutent en malagasy. Des rires fusent : « Elles font des plaisanteries sur leurs maris ! traduit Salama Rajaonarison, responsable de la communication de MSI. Il faut les mettre en confiance, poursuit-elle, leur faire sentir qu'on est des amies et pas seulement des médecins. » Toutes trois sont déjà mères de familles nombreuses et veulent pouvoir choisir le nombre d'enfants qu'elles élèveront.

L'appel des champs

À 22 ans, Meltine a trois enfants, deux garçons et une fille. Elle voudrait un autre enfant, mais pas à n'importe quel prix. Elle a donc décidé, après en avoir discuté avec son mari, de se faire poser un implant contraceptif. À ses côtés, Jacqueline, 25 ans et deux enfants, a opté pour la pilule. Noélie, la vingtaine, interpelle Hélène pour s'isoler avec elle un peu plus loin. Elle sort son carnet de santé d'une pochette poussiéreuse et demande pudiquement des conseils. Les autres jeunes filles arrivées tôt le matin sont déjà reparties... « Elles vont réfléchir et peut-être revenir plus tard dans la journée, espère Oly. Et puis, entre octobre et décembre, c'est la période des récoltes. Les femmes ne peuvent pas s'absenter longtemps des champs. »

Pour quelques heures, Martine a délaissé le labeur. À 30 ans, cette jeune femme au regard timide a pris sa décision : grâce à l'équipe mobile, elle va subir une opération de ligature des trompes, en accord avec son mari, car ils ne peuvent pas élever plus de trois enfants... ceux qu'ils ont déjà. D'autant plus qu'elle a beaucoup souffert lors de ses grossesses et qu'une de plus pourrait être dangereuse pour sa santé. La solution est radicale, mais bien réfléchie. « 50 % des femmes qui se font ligaturer les trompes ont déjà été sous contraception, mais certains terrains médicaux sont incompatibles avec d'autres méthodes, comme le stérilet », précise Salama Rajaonarison, la responsable de la communication, qui a elle-même subi une ligature des trompes après avoir eu trois enfants.

Il est 14 h 30. Tous les membres de l'équipe mobile sont mis à contribution. Vololomahefa Ranaivozanany, jeune animatrice qui travaille pour l'ONG depuis six mois, prépare la salle d'intervention, inscrit les patientes sur le registre, les informe du déroulement de l'intervention des opérations. « Mon travail consiste beaucoup en des actions de sensibilisation, détaille-t-elle. Il faut vaincre les rumeurs et bien expliquer quels sont les avantages du planning familial. Dans la région de Tuléar, au sud-ouest du pays, les hommes pensent parfois que les femmes ligaturées deviennent frigides. Et il arrive qu'elles soient chassées de leur famille ! »

Modeste, la salle d'opération possède le strict minimum. Jean-Claude, le chauffeur, s'occupe du groupe électrogène et de l'eau qu'il faut aller chercher à la pompe, en contrebas du dispensaire. « On fait ce qu'on peut pour respecter le minimum d'asepsie, mais ce sont un peu des conditions de chirurgie de guerre ! », avoue Hélène Sam-Y Wane. Malgré tout, Martine assure ne pas avoir peur. Ici, pas de véritable anesthésie possible : le médecin pratique une simple anesthésie cutanée, mais les trompes restent sensibles. L'infirmière applique de la Betadine sur le ventre de sa patiente avant d'ouvrir. Hélène l'encourage de sa voix douce, Jean-Claude évente son visage, Vololomahefa lui parle doucement de ses enfants en lui serrant fort la main. « On fait aussi de l'anesthésie verbale ! », explique l'infirmière. Le médecin et elle travaillent totalement à l'aveugle, mais sont fortes d'une longue expérience et n'ont jamais eu de problème. Aujourd'hui, l'opération est difficile pour Martine car les soignants ont du mal à trouver la deuxième trompe : une heure pour une intervention qui dure généralement une quinzaine de minutes... Ce qui n'empêchera pas la jeune femme de sortir en souriant et en remerciant l'équipe mobile !

Retour à « Tana »

Toute la journée, les femmes se sont succédé au dispensaire pour s'occuper du bien-être de leur famille. En fin d'après-midi, alors que le jour décline déjà, sur la colline en face du dispensaire, les enfants sortent de l'école et dévalent les pentes en chantant. Des enfants éduqués et en bonne santé, grâce à leur mère et à l'action de « Marie Stopes ».

Martine, elle, se repose dans la salle de convalescence. À 17 heures, l'équipe mobile reprend la route : Hélène, Lala, Vololomahefa et Jean-Claude sont fourbus mais heureux du travail qu'ils ont accompli. Bilan de la journée d'intervention à Ambohimandroso : une ligature de trompes, six poses d'implants contraceptifs, des soins aux enfants et à leurs jeunes mères, beaucoup de conseils, d'écoute, d'échanges. Direction « Tana » (le diminutif d'Antananarivo)... l'équipe arrive dans la capitale alors que la nuit est tombée depuis longtemps. À Madagascar, le jour se couche tôt, mais les équipes de « Marie Stopes » restent sur le pont à toute heure.

Site Internet de l'ONG : http://www.mariestopes.org