De la trisomie à l'autonomie - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

handicap

Reportage

À Vernon, dans l'Eure, l'association Prépare-Toit aide de jeunes adultes trisomiques ou déficients intellectuels à réaliser par eux-mêmes les gestes du quotidien, habiter leur propre logement et s'insérer socialement.

Une maison au bord de la Seine. Seule une petite plaque la distingue des autres. Y sont inscrits les noms des donateurs et fondateurs qui ont permis à l'association Prépare-Toit de voir le jour. Une structure au fonctionnement unique, née de l'initiative de parents soucieux d'aider leurs enfants à trouver une place dans la société. Nous sommes à Vernon, dans l'Eure. D'une voix calme, Jean-Pierre Persyn, président de l'association et père d'un enfant atteint de trisomie 21, explique la raison qui l'a incité à fonder cette structure, avec d'autres familles : « Nous voulons que nos enfants soient capables de s'occuper d'eux-mêmes quand nous ne serons plus là. Qu'ils puissent nous survivre. » Car au moment du décès de leur dernier parent, les personnes handicapées mentales doivent le plus souvent quitter le domicile familial. Une double fracture des plus difficiles à surmonter, mais face à laquelle des solutions originales peuvent être proposées.

L'association Prépare-Toit trouve son origine dans le Groupe d'étude pour l'insertion sociale des personnes porteuses de Trisomie 21, le Geist, installé à Vernon depuis 1981. Son projet éducatif : fournir une éducation précoce à de jeunes enfants porteurs de trisomie. Le principe, inspiré du livre de Monique Cuilleret Les Trisomiques parmi nous (1), préconise de développer au maximum les capacités de ces enfants dès leur plus jeune âge afin d'augmenter leurs possibilités d'insertion sociale et professionnelle à l'âge adulte. Prolongeant cette idée, Prépare-Toit ambitionne d'aider de jeunes adultes handicapés mentaux à habiter leur propre logement, et à acquérir, étape par étape, une certaine autonomie.

Maison commune

Pour faire découvrir les lieux, Jean-Pierre Persyn passe la porte de la maison d'initiation. Dans cette première étape de l'apprentissage des jeunes, « leurs progrès sont souvent très spectaculaires, explique-t-il. Certains parents qui avaient tendance à les surprotéger sont surpris de voir comment ils arrivent à se débrouiller seuls. » Quatre résidents vivent ici de façon permanente, chacun possédant une chambre qu'il doit entretenir. Au mur du salon figurent des photos de sorties, de vacances, qui témoignent d'une vie commune entre les jeunes et du plaisir de vivre sous le même toit. La cuisine est un peu le lieu de rendez-vous général. Les résidents de la maison d'initiation et des studios s'y retrouvent pour se dire bonjour, discuter ou récupérer leur argent de poche.

Le lundi, jour des courses, une fois les jeunes rentrés du travail, la maison s'agite. Avec l'aide des éducatrices, les résidents établissent les menus de la semaine, listent les aliments à acheter, dressent le budget. Au supermarché, chacun son rôle : l'un s'occupe des légumes, l'autre de la viande, etc. On prend le temps de comparer les produits, puis de passer en caisse. De retour à la maison, l'atelier cuisine permet d'apprendre à préparer des plats équilibrés.

L'apprentissage ne s'arrête pas aux courses : tous les moments de la vie deviennent sources d'initiation. L'équipe pédagogique fait multiplier aux jeunes les prises d'initiatives dans les gestes simples de la vie quotidienne, pour les responsabiliser et leur montrer qu'ils sont capables d'opérer seuls. Afin de renforcer les connaissances des jeunes, des ateliers sont mis en place par l'association : cours de droit social, hygiène alimentaire, sexualité, ou encore soin du linge.

La vie en studio

Dans le bâtiment situé de l'autre côté du jardin, le fils de M. Persyn, Cédric, fait visiter son logement. L'un des six studios qui permettent aux résidents trisomiques de vivre la dernière étape de leur apprentissage avant de pouvoir, un jour, s'installer seuls. Rénovés en 2001, ils ont été conçus sur le même modèle. Le studio de Cédric ressemble en tout point à celui d'une personne dite « normale », avec des posters de chanteurs, des photos de ses vacances à Rome avec son père (où il a pu serrer la main du pape), sa collection de DVD, sa télévision, son ordinateur avec connexion Internet.

Lorsque Cédric rentre chez ses parents le week-end, il dit avoir hâte de retourner dans son studio. « Moi loin de papa, maman, moi tranquille ! » La vie de groupe anime la résidence, une fois tout le monde revenu du travail : on mange chez l'un, on joue à la console chez l'autre... Chacune des quatre éducatrices de la structure est référente de l'un des jeunes, qui pouvent l'appeler en cas de problème. Une fois par semaine, elle rend visite à ses « protégés » afin de s'assurer que tout va bien. Une relation étroite s'est créée au fil des ans entre les jeunes et le personnel encadrant ; les prises de décisions concernant les résidents sont devenues personnalisées, adaptées à chacun.

La vie en dehors de l'association est aussi très importante. À l'exception du tennis que les résidents pratiquent tous ensemble une fois par semaine, chacun possède sa propre activité : danse, poterie, canoë.... Chaque samedi, des sorties sont programmées selon les désirs de tous.

Diplômés et salariés

La plupart des résidents travaillent en centre d'aide par le travail (CAT) ou en milieu ordinaire. Cédric et Benoît sont diplômés d'un CAP d'employé de collectivité, ce qui leur permet de travailler dans les cuisines collectives. Leur salaire fait d'autant baisser les allocations qu'ils perçoivent en tant que personnes handicapées ; travailleurs ou non, leurs revenus sont les mêmes. Le travail les amène vers la responsabilisation et l'indépendance, des conditions nécessaires pour espérer vivre un jour dans un logement en ville. Une émancipation nécessaire mais désirée par ces jeunes. Une volonté de profiter pleinement de la vie qui, au final, ne les différencie pas des jeunes adultes de leur âge.

1- Monique Cuilleret, Les Trisomiques parmi nous ou Les Mongoliens ne sont plus, Simep, 1981.