Face aux brûlures, l'e xpertise de l'infirmier - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

Jérémy Calcoen

Vous

Rencontre avec

Un barbecue qui tourne mal, une tentative de suicide, un accident chimique... à Lille, Jérémy Calcoen travaille auprès de patients touchés par des brûlures de tous types, et dont les soins exigent réactivité, rigueur et savoir-faire.

Au centre hospitalier régional de Lille, le service des brûlés, plus précisément le Centre de traitement de la brûlure, n'est pas tout à fait un service comme les autres. Certains patients étant dépourvus d'une partie de la barrière biologique que constitue la peau, les mesures d'hygiène et les modalités d'accès sont un peu plus strictes qu'ailleurs. Une atmosphère atteignant parfois 40 degrés est maintenue dans certaines chambres, car les patients les plus gravement brûlés ne parviennent plus à réguler leur température... La rencontre avec Jérémy Calcoen se déroule donc hors du centre du service.

Soins très variés

À 26 ans, dont trois passés au centre des brûlés, l'infirmier fait presque partie des « anciens » : le turn-over est rapide dans le service et seul un petit noyau d'infirmiers y travaille depuis plus de quinze ans. « Je suis arrivé un peu par hasard, raconte-t-il. Pendant notre cursus, nous devions faire un stage préprofessionnel et j'avais demandé la réanimation car je voulais, ensuite, devenir Iade. Mais on m'a proposé de faire mon stage ici et j'ai tout de suite accepté car c'est un service lourd mais aussi "visuel" : on voit clairement l'amélioration apportée par les soins. » Le stage se déroule très bien et débouche, à sa sortie de l'Ifsi, sur la proposition d'un poste, qu'il accepte sans hésiter. « On fait beaucoup de soins très variés, fait remarquer Jérémy. On est amenés à faire des soins de réanimation dans le secteur protégé mais aussi des soins chirurgicaux comme des détersions de brûlure », ou encore des soins externes.

Formation sur le terrain

Sur le plan de la formation, « on apprend essentiellement dans les services car en Ifsi, nous avons seulement deux heures de cours théoriques et deux heures sur les pansements », souligne l'infirmier. Les nouveaux commencent donc par une semaine de travail en binôme et six mois de « formation » : souvent trois mois en secteur ouvert, « où l'on voit le plus de nouvelles brûlures », puis en réanimation. Les infirmiers de ce type de service doivent en effet développer une forme d'expertise, « savoir reconnaître les brûlures, leur profondeur, leur degré et leur étendue, pouvoir dire tout de suite si c'est grave ou non et si le patient doit rester » lorsqu'aucun médecin n'est présent, la nuit par exemple, explique Jérémy Calcoen.

Le service prend aussi bien en charge les personnes très gravement brûlées que celles qui souffrent de brûlures plus limitées, traitées en ambulatoire. Accidents domestiques (dus à des appareils de chauffage, des friteuses, des barbecues, des feux de broussailles ou des produits chimiques) et accidents du travail sont fréquemment en cause. Néanmoins, indique Jérémy, environ la moitié des patients arrivent dans le service après une tentative de suicide.

L'infirmier peut être amené à participer au plan blanc « brûlure » qui a été élaboré. Une sensibilisation utile, par exemple lorsque deux ouvriers du bâtiment sont arrivés après avoir été brûlés par de l'ypérite, le fameux gaz moutarde, échappé d'un obus de la Première Guerre mondiale. Les deux hommes avaient heurté l'engin en travaillant sur un chantier...

Le service compte quatre lits en secteur protégé de réanimation, équipés de deux flux laminaires, huit lits d'hospitalisation conventionnelle et un bloc couplé à une salle de déchocage dotée d'une baignoire. « Cela ressemble à un service de chirurgie, observe Jérémy. Nous faisons les pansements mais aussi l'administration des médicaments, les injections, la surveillance des paramètres. »

Frustration

En dehors des hospitalisations de jour et des soins externes, « les patients restent longtemps, entre un et six mois », signale Jérémy. Cependant, les relations avec les malades se tissent assez difficilement, regrette-t-il. « Les patients lourds restent un à deux mois en sédation et sous ventilation dans le secteur protégé » avant de passer en hospitalisation conventionnelle. « La plupart des patients qu'on réveille ont un peu perdu leurs repères, ils sont coupés du monde, souligne-t-il. Ils ont besoin d'un peu de temps pour se remettre en route, grâce aux visites des familles, notamment. Ce n'est vraiment que vers la fin de l'hospitalisation qu'on arrive à avoir une relation. » Ensuite, ils partent en rééducation et le contact est souvent rompu.

Lors des échanges infirmiers organisés une journée de temps en temps au centre de rééducation de Zuydcoote, au bord de la mer du Nord, Jérémy a constaté que « la plupart des patients lourds ne se souvenaient plus du centre des brûlés » ou cherchaient à oublier une période qui leur a laissé de lourdes cicatrices... Pour l'infirmier, « c'est un peu frustrant, sur le plan relationnel mais aussi sur celui du suivi de la brûlure et cela peut se ressentir dans la relation que nous avons avec les patients. On se durcit un peu ». De toute façon, « la sensibilité est souvent mise de côté, ajoute-t-il. Sinon, on n'est pas efficace ».

Elle est pourtant bien là, poursuit l'infirmier, lors de l'arrivée d'enfants dans le service, même s'ils sont souvent réorientés vers la réanimation pédiatrique, où la surveillance est encore plus rapprochée. D'autres situations délicates se présentent parfois à Jérémy, lors de la mort d'un patient ou face à un inéluctable décès. « Normalement, c'est le médecin qui annonce ces nouvelles-là, souligne-t-il, mais quand il n'est pas encore arrivé, les infirmiers sont souvent les premiers interlocuteurs des familles. Et même lorsque le médecin leur a dit, les proches reviennent vers nous et nous demandent parfois si vraiment, il n'y a plus aucune chance. »

Pas de routine !

Très vite, cependant, la nécessité de réaliser des soins et l'exigence professionnelle reprennent le dessus. D'autant qu'« en tant qu'infirmier, nous avons face à la brûlure un rôle très actif, apprécie Jérémy. Alors que dans d'autres services nous suivons juste des prescriptions, ici nous participons vraiment au traitement. Pendant le pansement, par exemple, on choisit ce qu'on veut faire : brosser la plaie, utiliser une curette ou exciser aux ciseaux... » Une latitude d'action très valorisante, même si « par rapport au décret infirmier, on ne sait pas très bien où on se situe », ajoute-t-il. La possibilité de constater les effets des soins et l'évolution de la brûlure constitue un autre motif de satisfaction et de motivation. Et avec l'éventail très large des soins pratiqués (réanimation, hospitalisation conventionnelle, bloc, urgences, soins externes), aucun risque de routine.

moments clés

- 2004 : stage préprofessionnel au Centre de traitement de la brûlure, diplôme d'État d'infirmier.

- 2005 : arrivée au centre des brûlés du CHRU de Lille.

- 2008 : formation de référent en transmissions ciblées.

Les textes

Depuis que Jérémy travaille au centre des brûlés de Lille, l'activité des centres de traitement de la brûlure a fait l'objet de plusieurs modifications réglementaires.> Le décret du 20 août 2007 (no 2007-1237) :

- met à plat les conditions d'obtention de l'autorisation d'organiser cette activité ;

- précise que des soins de réanimation et de chirurgie doivent pouvoir y être dispensés ;

- prévoit que l'effectif infirmier minimal des centres est supérieur à celui des services de réanimation car les pansements peuvent prendre beaucoup de temps.

> La circulaire de la Dhos du 29 octobre 2007 (no 2007-391) :

- rappelle que le traitement des brûlures doit faire l'objet d'un schéma interrégional d'organisation sanitaire (Sios) ;

- précise les modalités de fonctionnement des centres.

Articles de la même rubrique d'un même numéro