L'infirmière ressource douleur contre le cancer - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

oncologie

Conduites à tenir

Depuis quelques années, les infirmières ressources douleur ont pris leurs marques à l'hôpital, particulièrement en cancérologie. Elles identifient les besoins et mobilisent les différents soignants de façon à améliorer le suivi et la qualité de vie des patients.

INTRODUCTION

Chez les patients souffrant d'un cancer, la douleur est un symptôme extrêmement fréquent. En oncologie adulte, il a été observé que 51 % des patients sont douloureux (toutes localisations et stades confondus). Au moment du diagnostic, c'est le cas de 20 à 50 % des patients, proportion qui atteint 75 % pour ceux qui se trouvent à un stade avancé de la maladie. En onco-pédiatrie, 60 % des enfants ont connu la douleur au moment du diagnostic, et 36 % sont douloureux « souvent » ou « très souvent » (1).

Si la douleur déstabilise le malade, elle désarme aussi son entourage. Les réactions de chacun provoquent parfois des résultats binaires, à savoir un allégement ou une majoration de cette expérience sensorielle et émotionnelle (2) douloureuse. Il est en effet très difficile pour l'entourage de trouver le juste équilibre, la bonne réponse, l'accompagnement adapté.

La lutte contre la douleur est une priorité soignante et médicale qui s'intègre à un objectif plus global, celui de satisfaire ou d'améliorer les besoins physiques, psychologiques, sociofamiliaux et culturels.

Dans la dynamique du projet d'établissement, les infirmières ressources douleur (aussi appelées infirmières référentes douleur) ont pour mission de faire le lien entre les différents « acteurs-douleur » et d'aider à la mise en place d'actions concrètes auprès des patients et des soignants, dans une démarche pluridisciplinaire, afin d'améliorer la qualité de vie de tous les patients.

CONTEXTE LÉGISLATIF ET HISTORIQUE

La prise en charge de la douleur est une obligation légale et une priorité pour les centres de lutte contre le cancer. Les principaux textes de référence sont :

- la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

- le plan Douleur 2002-2005, qui institue la fonction d'infirmière référente douleur ;

- le plan Cancer 2003-2007 ;

- le décret du 29 juillet 2004 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier ;

- le Code de la santé publique ;

- la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ;

- la circulaire du 2 mars 2006 présentant la nouvelle Charte du patient hospitalisé ;

- le plan Douleur 2006-2010 (3).

Certaines mesures juridiques ont valeur d'obligation, d'autres ne sont que de fortes recommandations ou des conseils pour améliorer la prise en charge de la douleur dans les établissements de santé. Il existe donc plusieurs niveaux d'exigence : ce qui doit être mis en place et ce qu'il est recommandé de faire.

Il reste à évaluer et à améliorer ce qui est réellement organisé pour promouvoir le soulagement de la douleur de chaque patient, que ce soit en hospitalisation conventionnelle, en ambulatoire ou en secteur externe.

MISSIONS

L'activité des infirmières ressources douleur se définit par différentes missions à réaliser sur trois ans :

- Évaluer la prise en charge de la douleur et la satisfaction des malades ;

- Réaliser un état des lieux des besoins et des difficultés des équipes ;

- Organiser des staffs infirmiers pour débattre des cas douloureux complexes ;

- Assurer la mise en oeuvre et la standardisation des protocoles existants ;

- Contribuer à l'innovation, à la recherche et aux publications dans le domaine de la douleur.

Se faire connaître et reconnaître

Il est indispensable de nouer un contact solide avec les équipes médicales et paramédicales avant la mise en oeuvre des actions.

L'infirmière référente douleur n'est pas chargée de contrôler les pratiques de soins, ni de remettre en cause les connaissances de chacun, ni de souligner les difficultés de l'exercice de la fonction d'un soignant, que ce soit dans son rôle propre ou dans son rôle sur prescription médicale, mais elle doit accompagner et écouter pour apporter des réponses concrètes qui seront ensuite mises en oeuvre par tous.

Elle doit informer les équipes soignantes des ressources internes existantes : identification des cadres de soins et médecins (anesthésistes ou non) directement investis dans le domaine de la douleur (membres du Clud, le comité de lutte contre la douleur) et des structures indirectement concernées (unité mobile, service des urgences, etc.).

Évaluer la satisfaction des malades

Le patient est-il douloureux dans notre établissement ? Est-il satisfait de la prise en charge de ses symptômes d'inconfort, parmi lesquels la douleur tient une place inévitable ?

Afin de répondre à ces questions, nous avons mis en place une évaluation de la douleur de chaque patient accueilli en hospitalisation conventionnelle, en soins externes ou en ambulatoire. Cette évaluation (intensité, localisation, retentissement, facteurs favorisants...) se fait avec des échelles validées et par les transmissions ciblées. Elle est observable dans le dossier de soins informatisé.

La satisfaction des malades quant à la prise en charge de leur douleur est aussi appréciée par l'intermédiaire de questionnaires (enquêtes de prévalence par exemple) ou d'entretiens (directs ou téléphoniques).

Dans un deuxième temps, il est possible d'établir des statistiques sur l'intensité de la douleur, la satisfaction des patients et la qualité de la traçabilité de ce symptôme. En effet, c'est la douleur vécue et exprimée par le patient lui-même qui doit être notre base de travail, qu'il s'agisse d'une douleur avérée ou d'une douleur majorée par l'angoisse, un souvenir pénible, etc.

Avant la mise en place des propositions d'amélioration, cet état des lieux nous oblige à réfléchir entre référentes douleur, avec les infirmières des différents services, avec les « acteurs-douleur » à la façon dont nous « prenons soin », en tant que soignants ou médecins. Nous demandons également pourquoi, pour qui et comment. Quel sens donnons-nous à la douleur et à la souffrance ? Sommes-nous satisfaits de l'accompagnement que nous apportons ?

Se former... pour former

L'infirmière est l'acteur qui intervient à la fois dans l'évaluation, dans le traitement et dans la prévention de la douleur. Nous développons donc nos connaissances sur la prise en charge de la douleur (par le biais de formations dispensées par des médecins, grâce à des recherches bibliographiques, aux revues de la littérature, à des congrès de formation) afin de transmettre aux autres infirmières ces informations.

Avec l'appui des algologues, il s'agit :

- d'organiser des ateliers de formation à l'évaluation, hebdomadaires puis bimensuels ;

- d'aborder ou d'approfondir les connaissances sur les antalgiques et sur les nouvelles molécules (comme le Méopa (4), pour lequel il existe un projet d'expérimentation de développement de la coopération praticien-infirmière lors de soins douloureux, l'utilisation des PCA (5)...) ;

- d'évoquer les techniques antalgiques non médicamenteuses : nous tâchons de développer des liens étroits avec l'infirmière hypnothérapeute et la sophrologue.

Ces formations s'adressent à tous les soignants intéressés. Les correspondants douleur (un soignant volontaire par service, s'investissant plus particulièrement dans la prise en charge des patients douloureux), doivent être présents à ces formations pour offrir ensuite au quotidien un relais d'informations et de conseils à l'équipe.

Il est essentiel pour chacun d'actualiser régulièrement ses connaissances théoriques et pratiques. En effet, connaître précisément l'étiologie, l'intensité et le retentissement, ainsi que les traitements efficaces, permet de prévenir la douleur (ex. : prémédication avant mobilisation ou soin de nursing pour un patient en position antalgique au repos, interdose (6) avant réfection d'un pansement d'une plaie douloureuse). Tout soin doit être anticipé.

Agir ensemble

Avec les référents douleur, les cadres de soins et les médecins, il s'agit de :

- travailler sur les protocoles existants ou en établir de nouveaux (ex. : douleurs liées aux actes invasifs et aux mobilisations, évaluation de la douleur) ;

- participer à la mise en place de projets en réponse à l'attente des patients et en cohérence avec le projet de soins de l'établissement : prise en charge de la douleur pendant et après la pose d'une chambre implantable, prise en charge de la douleur sur le plateau technique de radiothérapie...

Persévérer grâce aux progrès et malgré les difficultés

Tous les soignants, ou presque, s'accordent à penser que le soulagement de la douleur doit être une priorité, mais dans les faits ou les pratiques quotidiennes, celui-ci ne conserve pas cette primauté souhaitée. Pourquoi ?

Tout le monde se préoccupe de la douleur du patient, mais qui s'en occupe réellement ? Attention à la banalisation du phénomène douloureux, préjudiciable à la qualité des soins ! La lutte contre la douleur nécessite l'implication et la motivation de chacun : le médecin (qui prescrit des antalgiques, par exemple), le cadre de soins (qui peut inciter son équipe à se former et faciliter la disponibilité des soignants intéressés), l'infirmière ressource douleur (qui sollicite régulièrement et entraîne les soignants), l'infirmière (qui peut évaluer la douleur avec la même précision que la mesure de la pression artérielle), l'aide-soignante (qui transmet à l'infirmière les informations sur la douleur du patient pendant une toilette, par exemple).

Il faut se réjouir des progrès réalisés et encourager chacun à persévérer. Mais il reste encore de nombreuses améliorations à apporter dans le soulagement de la douleur, beaucoup de problématiques à retravailler (comme l'évaluation de la douleur chez les personnes non communicantes ou en fin de vie, ou encore la douleur des patients accueillis en ambulatoire).

Les axes de travail en cours ne doivent pas servir d'alibi pour négliger l'évaluation, le traitement et la prévention de la douleur au quotidien dès aujourd'hui : il est essentiel de rappeler que la prise en charge de la douleur est une priorité.

CONCLUSION

La douleur est un symptôme très souvent associé aux pathologies cancéreuses. Le parcours thérapeutique du patient douloureux doit être clairement établi : évaluation par l'infirmière, orientation grâce au cadre vers un médecin puis, si nécessaire, vers un algologue, puis traitement et évaluation de l'efficacité et des effets secondaires.

L'IDE ressource douleur, au sein d'une démarche pluridisciplinaire, est garante de la fiabilité et de la cohérence de ce circuit, afin d'améliorer la qualité de vie des patients.

Être infirmière ressource douleur, c'est, avec le soutien de la direction des soins infirmiers et du Clud, convaincre les autres soignants médicaux et paramédicaux, que la prise en charge de la douleur est une priorité dans un centre de lutte contre le cancer. C'est saisir l'opportunité de valoriser cette facette de notre exercice infirmier, et tendre vers l'expertise dans le domaine de la douleur en participant à l'essor des pratiques innovantes en cancérologie.

1- Standards, options et recommandations pour l'évaluation de la douleur chez l'adulte et l'enfant atteints d'un cancer, Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, septembre 2003 (téléchargeable notamment sur http://www.pediadol.org).

2- Définition de la douleur établie par l'OMS.

3- Ces textes sont disponibles sur le site Internet du ministère de la Santé (http://www.sante.gouv.fr) ou sur http://www.legifrance.gouv.fr.

4- Mélange équimolaire d'oxygène et de protoxyde d'azote.

5- Pompe d'analgésie contrôlée par le patient.

6- Interdose : antalgique dont le délai d'action est rapide et permet de soulager les accès douloureux ponctuels. On parle de dose à libération immédiate, à différencier du traitement de fond ou à libération prolongée.

Bibliographie

> L'Infirmière et la douleur, Institut Upsa de la douleur, mai 2001.

> « Infirmière en cancérologie : un métier en pleine mutation », dossier de presse, Institut Curie, février 2005.

> « Référent douleur, le paladin de la lutte contre la douleur », Françoise Charrazac, http://www.vicomore.com, 9 janvier 2006.

> « Quels sont les freins au traitement de la douleur ? » Alain Essayan, Objectif soins n° 147, juin-juillet 2006.