La dénutrition des personnes âgées - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

gériatrie

Cours

Si le vieillissement favorise la dénutrition des personnes âgées, cette évolution ne doit surtout pas être considérée comme normale. Ses conséquences (carences, chutes, infections...) contribuent à détériorer l'état de santé des patients, et multiplient le risque de décès. Qu'il s'agisse de dépistage, d'éducation sanitaire ou d'accompagnement des démarches thérapeutiques, l'action des infirmières peut s'avérer décisive en ce domaine.

La dénutrition ne constitue pas une fatalité au cours du vieillissement. En effet, les personnes âgées en bonne santé, c'est-à-dire 65 à 70 % d'entre elles, sont pour la plupart en bon état nutritionnel (1). La dénutrition n'en représente pas moins un réel problème de santé publique car elle touche de nombreuses personnes âgées malades, dépendantes ou fragiles qui vivent à domicile ou en institution. Son dépistage, sa prise en charge thérapeutique et sa prévention font donc partie des objectifs nutritionnels spécifiques du Programme nutrition santé 2006-2010, élaboré sous la conduite du ministère de la Santé (2). Et la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en janvier 2008 des recommandations pour la pratique clinique sur la prise en charge nutritionnelle de la personne âgée (3). En effet, la dénutrition qui résulte de nombreux facteurs physiologiques, métaboliques, pathologiques et socioenvironnementaux est lourde de conséquences en termes de morbidité et de mortalité pour les personnes âgées. Comme le soulignent les recommandations de la HAS, la prise en charge de la personne âgée dénutrie concerne tous les professionnels de santé qui interviennent auprès des personnes âgées : médecins, infirmières, aides-soignantes, diététiciens, kinésithérapeutes, aidants non familiaux (3). Mais l'infirmière peut jouer un rôle actif déterminant dans le dépistage, la prise en charge thérapeutique et la prévention de la dénutrition des personnes âgées au domicile, à l'hôpital ou dans les institutions.

FRÉQUENCE

La dénutrition touche environ 3 % des personnes âgées de 70 à 80 ans qui vivent à domicile, et plutôt 10 %, chez les plus de 80 ans, qui augmenteront dans les prochaines années. En institution, la prévalence de la dénutrition varie entre 19 et 60 %, selon le type d'institution, le profil des résidents et la méthode. Enfin, à l'entrée en court séjour gériatrique, 50 % des personnes âgées sont dénutries (4). Si l'on considère cette fois les malnutritions et les déficits en micro-nutriments, ce sont 30 % des personnes âgées à domicile et 50 % des résidents en institution gériatrique qui sont touchés (5). La moitié des malnutritions protéino-énergétiques et la majorité des carences en micro-nutriments sont liées à une insuffisance d'apport alimentaire qui fragilise la personne âgée dépendante, favorise des pathologies et augmente la perte d'autonomie. Aussi, la loi de santé publique du 9 août 2004 se proposait déjà « de réduire de 20 % le nombre de personnes âgées de plus de 70 ans dénutries : passer de 350 000-500 000 personnes dénutries vivant à domicile à 280 000-400 000 et de 100 000-200 000 personnes dénutries vivant en institution à 80 000-160 000, d'ici à 2008 »(2).

CAUSES

Les causes de la dénutrition sont multiples. Les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène et chaque personne âgée est unique. Ainsi, son histoire personnelle, ses caractéristiques métaboliques, son état physique et mental, ses moyens financiers et son environnement familial et social déterminent sa conduite alimentaire au cours du vieillissement. Mais, dans l'ensemble, il existe une modification du comportement alimentaire au cours de l'avancée en âge avec une baisse de la consommation d'aliments. Cette évolution relève de facteurs multiples et variés qui peuvent s'associer : vieillissement physiologique, présence de pathologies, et plus souvent de polypathologies, préjugés divers, isolement social...

On peut néanmoins distinguer de façon plus précise des modifications physiologiques et métaboliques liées au vieillissement qui génèrent une altération de la régulation de l'appétit. Et des modifications pathologiques, sociales et environnementales, plus individuelles, qui vont entraîner une réduction supplémentaire de l'alimentation, puis, si elles se prolongent, une anorexie difficilement réversible et une dénutrition.

Modifications physiologiques et métaboliques (6)

Dentition. Avec l'âge, la dentition s'altère, surtout actuellement, car les personnes âgées aujourd'hui n'ont pas bénéficié de prévention dentaire. Rétraction des gencives, absence de soins dentaires, présence de chicots ou appareillage inadapté, douleurs dentaires entraînent des difficultés masticatoires qui limitent la consommation d'aliments durs et fibreux comme la viande et certains fruits et légumes, d'où une diminution de l'apport en protéines, fibres et vitamines.

Altérations sensorielles. Des altérations sensorielles surviennent également au cours du vieillissement. La perception du goût des aliments résulte de l'interaction complexe de différents sens : gustation, olfaction, vision, audition dont les performances diminuent avec l'âge. Ainsi, le seuil de reconnaissance des sensations de base du goût (sucré, salé, acide, amer) et des odeurs augmente, de 2,7 fois pour le sucré et de 11,6 pour le salé. Les personnes âgées ont plutôt tendance à manger des aliments sucrés que salés, on le sait, mais une personne âgée de 80 ans doit mettre une fois et demi plus de sucre qu'à 20 ans pour sentir le goût du sucre dans son bol de café au lait. Et les effets anorexigènes des régimes hyposodés en gériatrie sont tels que, sauf exception (décompensation cardiaque aiguë), il faut les proscrire.

Le seuil de détection des odeurs augmente également de façon importante. Ces modifications du goût et de l'odorat amoindrissent le plaisir perçu au cours des repas, ce qui favorise la diminution de la consommation d'aliments et, au moins en partie, une plus grande monotonie des menus, qui retentit elle-même sur la prise d'aliments.

Dysrégulation de l'appétit. Avec l'âge apparaît aussi une dysrégulation de l'appétit. La sensation de satiété précoce est plus lente à se manifester, et celle de satiété retardée dure plus longtemps en raison d'un ralentissement de la vidange gastrique et donc de la digestion qui caractérise le vieillissement. Ces modifications entraînent progressivement une diminution de la prise alimentaire, souvent non perçue par la personne elle-même.

Hydratation et alimentation. La masse musculaire diminue de 10 à 15 kg entre 20 et 70 ans. Ce phénomène entraîne une réduction importante du volume d'eau présent dans l'organisme, puisque les muscles sont composés de 73 % d'eau. Le sujet âgé a un corps plus sec, mais plus sensible aux variations du volume d'eau. Or, l'augmentation du volume urinaire avec l'âge, notamment la nuit, entraîne une fuite permanente d'eau, donc assez souvent une réduction de la quantité de boissons absorbées, pour tenter de limiter les levers nocturnes.

De nombreux sujets âgés ont donc spontanément une grande tendance à la déshydratation, encore aggravée par l'abolition quasi complète de la sensation de soif. La déshydratation débutante entraîne une diminution de la prise alimentaire, du fait de la sécheresse de la bouche notamment, ce qui aggrave encore la déshydratation, puisque 50 % de l'eau absorbée chaque jour provient des aliments. La déshydratation constituée favorise les infections et les mycoses buccales qui réduiront encore l'appétit. Il existe donc des relations étroites entre l'hydratation et l'alimentation : la prévention de la dénutrition et de la déshydratation sont ainsi interdépendantes chez le sujet âgé.

Métabolisme glucidique. Le métabolisme glucidique se modifie également. Ainsi, l'avancée en âge s'accompagne d'une insulino-résistance avec diminution de la sécrétion d'insuline après l'absorption de sucre, sans que la quantité totale sécrétée elle-même diminue. L'ingestion de sucres au cours d'un repas ou à jeun (boissons ou gâteaux très sucrés) provoque donc une hyperglycémie transitoire. Le transport du glucose vers le foie et le muscle qui le stockent, quant à lui, diminue. Le stockage du glucose sous forme de glycogène étant moindre, le sujet âgé a plus tendance à faire des hypoglycémies en cas de jeûne prolongé. Ces modifications physiologiques du métabolisme glucidique doivent conduire les personnes âgées à éviter l'absorption d'aliments très sucrés à jeun, et à les réserver plutôt à la fin des repas, une fois que le pic d'insuline est déjà déclenché. De même, elles doivent raccourcir la période de jeûne nocturne qui doit être inférieure à 12 heures, ou, à défaut, faire une collation nocturne ou une demi-heure avant le lever, pour éviter les crises d'hypoglycémie au lever.

Synthèse et catabolisme. Enfin, le métabolisme protéique est modifié avec une diminution des synthèses protéiques musculaires alors que le catabolisme protéique musculaire, lui, est conservé. Cette différence entre synthèse et catabolisme pourrait expliquer, au moins en partie, quand elle n'est pas due à une diminution de l'activité physique, la diminution de la masse musculaire avec l'âge que l'on appelle sarcopénie. Or, il a été démontré qu'une modification de la répartition des protéines au cours des repas pouvait entraîner une augmentation de la synthèse protéique et une diminution du catabolisme des protéines au niveau musculaire. En effet, quand la ration journalière de protéines est concentrée sur le repas de midi (80 %) et très fortement réduite le soir chez des sujets en bonne santé, la synthèse des protéines musculaire augmente tandis que le catabolisme diminue. La balance azotée redevient positive. Ainsi, une simple modification de la composition des repas journaliers pourrait réduire la sarcopénie, voire la corriger quand elle est constituée.

Modifications pathologiques (6) :

- Des difficultés locomotrices dues à l'arthrose des hanches ou des genoux ou à des séquelles neurologiques d'accident vasculaire cérébral peuvent gêner la marche et l'approvisionnement en denrées alimentaires.

- Des difficultés du membre supérieur liées à des problèmes rhumatologiques (épaule, mains) neurologiques (séquelles d'AVC, maladie de Parkinson) peuvent aussi rendre les courses plus difficiles, empêcher de porter des paquets ou des ustensiles lourds et de faire la cuisine quotidienne.

- La diminution ou la perte des fonctions visuelle et auditive rendent plus difficiles les contacts sociaux, l'achat de nourriture, la confection des repas, voire la prise alimentaire elle-même, en cas de cécité.

- Les troubles digestifs à type de nausées, de diarrhée et surtout de constipation (qui touche plus de la moitié des femmes après 80 ans) entraînent souvent une perte d'appétit.

- Les douleurs chroniques persistantes peuvent être cause d'anorexie.

- Les épisodes dépressifs et les dépressions fréquents chez les personnes âgées peuvent induire une restriction de l'alimentation.

- D'une façon plus générale, toute maladie aiguë provoque une anorexie transitoire, d'autant plus difficilement réversible que le phénomène pathologique se prolonge ou se complique.

- Les personnes âgées atteintes de syndromes démentiels peuvent ne pas se rappeler si elles ont mangé. Il existe également chez ces malades des troubles de la régulation et du comportement alimentaire (absorption de produits non alimentaires, hyperactivité motrice empêchant la prise d'aliments, ou absence totale de prise).

- Enfin, beaucoup de pathologies - et les personnes âgées ont plus souvent plusieurs pathologies (polypathologie) - entraînent la prescription et la prise de nombreux médicaments. Les personnes âgées les absorbent généralement en début de repas à l'aide de plusieurs verres d'eau, ce qui a un effet coupe-faim très efficace. De plus, de nombreux médicaments modifient le goût des aliments. Certains ont un effet anorexigène direct (comme les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) ou indirect en provoquant une sécheresse de la bouche (comme les diurétiques). Cet effet anorexigène des médicaments peut être supprimé - à la condition d'être repéré - en modifiant la prescription ou les horaires de prise.

Modifications sociales et environnementales (6).

Modifications sociales et environnementales (6). Peuvent aussi favoriser la réduction de l'alimentation :

- la diminution des ressources financières, en particulier chez les bénéficiaires de petites retraites ou après le décès du conjoint ;

- l'isolement et le sentiment de solitude, aussi fréquents en ville qu'en milieu rural. L'isolement lié au célibat, au divorce, au veuvage, à l'absence ou l'éloignement des enfants s'aggrave avec l'avancée en âge et la perte progressive des contemporains, les maladies et les handicaps moteurs ou sensoriels entraînant un repli de la personne âgée sur elle-même ;

- les changements de l'environnement social et notamment l'entrée à l'hôpital ou en institution.

À ce titre, le veuvage qui peut entraîner tout à la fois une dépression liée au deuil, une modification de l'environnement social et une diminution des ressources financières est un événement de vie qui peut favoriser la réduction de l'alimentation, la dénutrition et des problèmes pathologiques qui l'aggraveront encore.

CONSÉQUENCES (7)

Aujourd'hui bien identifiées, les conséquences de la dénutrition sont nombreuses et graves. Elles justifient amplement son dépistage, son traitement et sa prévention tels qu'ils sont recommandés à l'heure actuelle.

Altération de l'état général.

L'amaigrissement est constant, avec en particulier une perte de la masse maigre musculaire (sarcopénie) qui s'ajoute à celle déjà réalisée du fait du vieillissement et du manque d'activité physique. L'asthénie et l'anorexie sont également présentes, et aggravent la situation nutritionnelle.

Troubles psychiques

La dénutrition peut entraîner des troubles psychiques avec apathie ou syndrome dépressif parfois grave.

Troubles digestifs

La dénutrition peut entraîner des troubles digestifs avec diarrhée ou fécalome.

Escarres

La dénutrition peut favoriser puis entretenir les escarres.

Chutes et fractures

La dénutrition peut entraîner des chutes et des fractures, notamment du col du fémur. L'aggravation de la sarcopénie favorise, en effet, les chutes. Mais la malnutrition protéique entraîne également l'élaboration d'une trame osseuse moins importante et de moins bonne qualité, ce qui ne favorise pas la fixation du calcium. La diminution des apports alimentaires rend également la ration calcique insuffisante (alors que 1,2 à 1,5 g de calcium sont recommandés, en particulier chez la femme) et aggrave la carence en vitamine D, qui existe souvent déjà à cause d'un manque d'exposition solaire.

Ainsi, la malnutrition favorise l'ostéoporose par la diminution conjointe des apports en protéines, en calcium et en vitamine D. Or, les fractures du col du fémur sont la principale complication de l'ostéoporose, en particulier au sein de la population féminine. Sources d'une augmentation de la morbidité et d'une diminution de l'autonomie, de nombreuses fractures du col sont à l'origine d'entrées en institution (moins de la moitié des patients retrouvent une marche normale dans l'année qui suit la fracture). Elles sont aussi responsables d'une augmentation de la mortalité de 20 % au cours de l'année qui suit. Elles représentent donc un enjeu de santé publique majeur, compte tenu du vieillissement de la population actuel et futur (l'incidence des fractures du col augmente en effet de façon exponentielle au-delà de 75 ans) et de leur coût pour l'état et les collectivités (en 1998, 50 000 fractures de l'extrémité supérieure du fémur ont coûté 5 millions de francs soit 763 000 d'euros).

Infections

La malnutrition majore de 2 à 6 fois la mortalité infectieuse chez les personnes âgées en institution. La malnutrition protéino-énergétique aggrave la déficience immunitaire physiologique du fait de l'âge, et entraîne un déficit immunitaire acquis qui favorise les infections. Celles-ci entraînent à leur tour une anorexie et un hypercatabolisme protidique, qui aggravent la dénutrition. Plus dénutri, plus immunodéprimé au décours d'un premier épisode infectieux, le sujet âgé devient encore plus susceptible de faire une nouvelle infection, souvent plus difficile à traiter.

Épisode aigu

Tout épisode pathologique aigu d'une manière générale, source d'hypercatabolisme, provoque une baisse des défenses. Cette dernière favorise elle-même une nouvelle pathologie, qui provoque à son tour hypercatabolisme prolongé et aggravation de la dénutrition... Le traitement doit être rapide et associé à une prise en charge nutritionnelle. La convalescence sera plus longue (3 à 4 fois la durée de la maladie aiguë) et moins efficace puisque le malade âgé ne récupérera pas totalement ses réserves perdues et son poids antérieur. Lorsque les problèmes aigus se succèdent, que le traitement et la prise en charge nutritionnelle ne sont pas efficaces à temps, le malade décède. Ainsi, la dénutrition multiplie le risque de mortalité à 1 an par 4 lors d'une hospitalisation pour pathologie à 80 ans.

Accidents médicamenteux

La malnutrition est responsable d'un effondrement du taux d'albumine circulante. Ainsi, les médicaments qui ont une affinité élevée pour l'albumine voient leur fraction libre augmenter. Les risques de toxicité des médicaments à marge thérapeutique étroite comme les antivitamines K et les digitaliques s'en trouvent accrus.

Carences en vitamines et oligo-éléments

La malnutrition protéino-énergétique s'accompagne toujours d'une carence en micronutriments. Les carences en vitamines du groupe B (surtout folates) peuvent provoquer asthénie, troubles psychiques et neurologiques, anémie. La carence en vitamine D aggrave l'ostéoporose et favorise tassements vertébraux et fractures. La carence en zinc, enfin, entraîne une perte du goût, qui entretient l'anorexie.

DÉPISTAGE ET DIAGNOSTIC

Un dépistage et un diagnostic précoces sont rentables et peu coûteux. Ils permettent de mettre en place une prise en charge efficace et d'éviter l'altération de l'état général du patient et la survenue des complications.

Situations à risques

Le dépistage repose sur la bonne connaissance et la recherche des situations à risque de dénutrition chez les personnes âgées (3). Les situations à risque sont celles qui favorisent la diminution des apports alimentaires et/ou l'augmentation des besoins protéino-énergétiques. Certaines, comme les cancers, les défaillances d'organe chroniques sévères (cardiaque, respiratoire, rénale ou hépatique), les pathologies digestives avec mal-digestion ou mal-absorption, l'alcoolisme chronique, les pathologies infectieuses ou inflammatoires chroniques ne sont pas propres aux personnes âgées. D'autres situations, au contraire, sont plus spécifiques des tranches d'âge gériatriques (cf. tableau p. IV).

Poids

Essentielle, la surveillance régulière du poids de la personne âgée (3) permet, aisément, d'établir une courbe de poids, d'estimer le pourcentage d'une éventuelle perte et de calculer l'indice de masse corporelle, si l'on connaît la taille de la personne. Il doit être surveillé à chaque consultation médicale en ville ; à l'entrée, puis au moins une fois par semaine en court séjour ; tous les 15 jours en soins de suite, une fois par mois en institution ou soins de longue durée.

Appétit

L'évaluation de l'appétit est indispensable (3). Il s'agit d'interroger la personne âgée sur la qualité de son appétit, d'effectuer un test MNA dont le score, s'il est inférieur à 17, confirme la dénutrition (cf. tableau ci-dessus). Si possible, interroger également l'entourage de la personne.

Confirmation du diagnostic

La confirmation du diagnostic repose sur :

- Le calcul du pourcentage de perte de poids et/ou de l'indice de masse corporelle. Une perte de poids supérieure ou égale à 5 % en 1 mois ou à 10 % en 6 mois, ou un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 21 peuvent suffire à poser le diagnostic de dénutrition.

- Le dosage de l'albumine (couplé à un dosage de la protéine C-reactive). Il est particulièrement précieux lorsque les calculs du pourcentage de perte de poids ou de l'IMC ne sont pas réalisables, ou si leurs résultats sont normaux. Une absence de perte de poids et un IMC normal n'éliminent pas un état de dénutrition (perte de masse musculaire ou adipeuse masquée par la prise d'oedèmes ou perte de poids importante chez une personne obèse). Le diagnostic de dénutrition peut être posé quand l'albumine est inférieure à 35 g par litre (chez la personne âgée en bonne santé, elle est supérieure à 40). Cependant, il est recommandé d'interpréter le résultat du dosage d'albumine à la lumière de celui de la protéine C-réactive qui évalue l'état inflammatoire éventuel du malade. En effet, l'hypoalbuminémie n'est pas spécifique de la dénutrition et peut s'observer également en cas de syndrome inflammatoire.

Au total, l'existence d'un ou plusieurs des critères suivants :

- Perte de poids ≥ 5 % en 1 mois

ou ≥ 10 % en 6 mois

- IMC < 21

- Albumine < 35 g par litre

- MNA global < 17

permet de porter le diagnostic de dénutrition.

Si l'on constate :

- Perte de poids ≥ 10 % en 1 mois

ou > 15 % en 6 mois

- IMC < 18

- Albumine < 30 g par litre

il faut porter celui de dénutrition sévère. (3)

Les états de dénutrition sévère s'accompagnent d'une morbidité et d'une mortalité élevées. Ils justifient une prise en charge nutritionnelle rapide et adaptée. Mais il faut souligner que chez des personnes âgées en apparente bonne santé, la mortalité à cinq ans est déjà 10 fois plus grande pour les sujets qui présentent une malnutrition proteino-énergétique déjà constituée (albumine < 35 g par litre) et 3 fois plus quand elle débute (albumine < 39 g par litre).

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

Elle est graduelle, fonction de l'importance des problèmes nutritionnels. Mais, dans tous les cas, il s'agit de corriger les facteurs déclenchants. On peut proposer une aide technique (portage de repas) ou humaine (auxiliaire de vie) pour l'alimentation, procéder à des soins bucco-dentaires, réévaluer la pertinence de certains médicaments ou des régimes antérieurement prescrits, mais aussi prendre en charge les pathologies sous- jacentes : dépression, douleur chronique persistante, constipation rebelle (3)...

Conseils nutritionnels et alimentation enrichie

Hormis dans les situations qui contre-indiquent l'alimentation orale, ou celles où la dénutrition est d'emblée sévère chez un patient qui ne mange pas ou peu, la prise en charge commence toujours par des conseils nutritionnels (3). Il s'agit d'améliorer ou adapter les conditions des repas (nombre, horaires, composition) afin de faciliter la prise d'aliments, et l'augmenter. On y ajoute ou on y substitue une alimentation enrichie (3). Cette dernière permet d'augmenter l'apport énergétique et protéique des prises alimentaires, sans en augmenter le volume. En pratique, l'alimentation normale est enrichie à l'aide de produits tels que : poudre de lait, lait entier, fromage râpé, oeufs, crème fraîche, beurre fondu, huile ou poudres de protéines industrielles. Cette démarche est facile à mettre en oeuvre par la personne âgée elle-même ou avec l'aide de son entourage.

Compléments nutritionnels oraux

Ce n'est qu'en cas d'échec de ces premières mesures ou d'emblée lorsque la dénutrition est sévère ou l'alimentation spontanée trop faible, que l'on recommande d'utiliser les compléments nutritionnels oraux (3). Leur prescription est aujourd'hui bien codifiée. Hypercaloriques et/ou hyperprotidiques, ils permettent de réaliser un apport supplémentaire de 400 cal par jour et/ou de 30 g par jour de protéines, ce qui correspond le plus souvent à 2 unités par jour. Les compléments nutritionnels oraux sont à prendre lors des collations, soit environ 2 heures avant ou après un repas, de manière à préserver l'appétit au moment du repas. Ils viennent donc en complément du repas, mais ne le remplacent pas. Il faut bien expliquer l'intérêt de cette supplémentation au malade, pour lui permettre de participer pleinement à sa renutrition. Mais il est important d'adapter la prescription des compléments nutritionnels oraux à ses goûts personnels (salé, sucré, lacté ou non, saveurs, arômes...) et de varier les produits et les arômes pour améliorer et maintenir la consommation effective pendant le temps nécessaire.

Nutrition entérale

La nutrition entérale (3) n'est envisagée qu'après échec de l'alimentation orale, ou d'emblée si elle est impossible ou très faible, alors que la dénutrition est sévère. La décision de recourir à une alimentation entérale chez une personne âgée nécessite une réflexion pluridisciplinaire préalable pour en apprécier le rapport bénéfice-risque et le bien-fondé éthique, compte tenu de l'âge du patient et de son état pathologique global, mais aussi de son avis et/ou celui de son entourage, si le malade lui-même ne peut plus l'exprimer.

Surveillance et collaboration étroites

Quelles que soient les modalités de la prise en charge thérapeutique adoptée, elle nécessite :

- la surveillance régulière de son observance, de sa tolérance et de son efficacité, de façon à adapter, au besoin, la démarche sans tarder ;

- la pesée régulière une fois par semaine ;

- la collaboration étroite de tous les professionnels de santé impliqués autour du malade, de sa famille et de tous les aidants non familiaux.

PRÉVENTION

Contre les idées reçues

Pour prévenir la dénutrition, il faut lutter contre les idées reçues, encore trop répandues chez les personnes âgées, leur entourage et même certains professionnels. Non, l'appétit ne diminue pas « normalement » au cours de l'avancée en âge ! Non, il n'est pas « normal » de maigrir quand on vieillit !

Besoins alimentaires

Il importe de bien connaître les besoins alimentaires des personnes âgées pour pouvoir conseiller de manière pertinente (8). Globalement, les besoins en macro et micro-nutriments sont peu différents de ceux d'une personne plus jeune. Il faut cependant tenir compte de besoins spécifiques en acides gras essentiels, en calcium, en vitamines B, D et E. Dans tous les cas, les apports énergétiques ne doivent jamais descendre au-dessous de 1 600 calories par jour, car ils doivent couvrir les dépenses énergétiques de repos, celles en rapport avec l'effet thermique des aliments et celles liées à l'activité physique, en sachant que le coût énergétique de l'effort augmente avec l'âge.

Le besoin en protéines est de 1 g par kg et par jour. Mais il augmente en cas de maladie, d'intervention chirurgicale ou de stress, qui créent tous un état d'hypercatabolisme. L'apport en glucides doit représenter 50 % de l'énergie totale, tandis que celui en lipides (35 % de l'énergie totale) doit être riche en acides gras essentiels (7,5 g d'acide linoléique, série oméga 6 et 1,5 g d'acide alpha linolénique, série oméga 3). L'apport en fibres doit être de 20 à 25 g par jour. Celui du calcium, de 1 200 mg par jour, voire 1 500 pour les femmes. Celui de liquides enfin, de 1,5 l par jour avec 500 ml supplémentaires, en cas de forte chaleur et 500 ml supplémentaires pour chaque degré de température au-dessus de 38.

En pratique

Pratiquement, l'alimentation d'une personne âgée doit être suffisante quantitativement (la surveillance du poids permet de le vérifier) et qualitativement (la notion de groupe d'aliments permet de l'assurer). Dans l'idéal, la ration alimentaire quotidienne doit être répartie en quatre repas (petit déjeuner, déjeuner, goûter, dîner) à horaires fixes (7-9 heures, 12-13, 16-17, 19-20 heures) et suffisamment espacés (au moins 3 heures entre deux collations) tandis que le jeûne nocturne ne doit pas dépasser 12 heures. Les différents groupes d'aliments doivent être présents chaque jour. Ainsi, il est recommandé de manger de la viande, du poisson ou des oeufs au moins une fois par jour (sachant que 100 g de viande, 100 g de poisson ou deux oeufs apportent 20 g de protéines), un produit laitier (calcium, protéines, lipides, vitamines du groupe B), des fruits et des légumes (vitamines et fibres) des glucides complexes sous forme de pain, céréales, légumes secs, pommes de terre (protéines végétales, fibres, vitamines du groupe B) à chaque repas. Et environ 10 à 20 g de beurre et 30 g d'huile chaque jour en variant les huiles pour équilibrer l'apport des différents acides gras essentiels : oméga 6 (tournesol, maïs, olive, arachide) et oméga 3 (colza, soja, noix et poissons gras, également source de vitamine D). Les produits sucrés ne sont pas fondamentalement nécessaires mais ils ne doivent absolument pas être supprimés car ils participent au plaisir de manger, qu'il est essentiel de maintenir. Cependant, on peut veiller à ce qu'ils ne se substituent pas aux autres aliments et conseiller leur consommation de préférence en fin de repas et non à jeun.

À domicile

Chez elles, la majorité des personnes âgées en bonne santé sont en bon état nutritionnel, mais des recommandations d'hygiène alimentaire et l'encouragement de la convivialité des repas (famille, amis, voisins... repas organisés par les communes, les associations et les clubs) ne sont jamais inutiles pour prévenir sa détérioration. Pour les personnes âgées qui vivent à domicile, mais sont fragiles (difficultés pour les courses, la cuisine, etc.) le questionnaire de Payette (cf. tableau p. VIII) court, très sensible, très spécifique et facile à utiliser, permet de repérer les personnes âgées qui ont besoin d'aide pour l'alimentation et d'évaluer leur risque nutritionnel (bas, moyen ou élevé). Les auxiliaires de vie encouragent le maintien d'une alimentation adaptée tant par l'aide matérielle que par le soutien psychologique qu'elles apportent. Les livraisons et portages de repas peuvent être très utiles (1).

À l'hôpital ou en institution

Il faut veiller à organiser des horaires de repas favorables en évitant notamment la prolongation du jeûne nocturne au-delà de douze heures, ou en offrant une collation supplémentaire nocturne ou au lever, et proposer une alimentation appétissante dans une atmosphère conviviale (9).

CAS PARTICULIER : LA MALADIE D'ALZHEIMER

La dénutrition est un facteur de comorbidité majeur de la maladie d'Alzheimer (1) : 30 à 40 % des malades atteints présentent une perte de poids, à domicile comme en institution. Cet amaigrissement n'est pas propre aux formes avancées. Il peut apparaître très précocement au cours de l'évolution, voire précéder les signes cliniques de démence. La perte de poids observée est multifactorielle : elle est liée aux troubles mnésiques, praxiques, de l'appétit, aux troubles digestifs, aux troubles du comportement, à la dépression (souvent associée) et à certaines thérapeutiques anticholinestérasiques comme le donépézil (Aricept ®).

La dénutrition entraîne les mêmes complications (chutes, fractures, infections, escarres, augmentation des institutionnalisations et de la mortalité). Mais elle aggrave aussi la sévérité et la rapidité du déclin des fonctions cognitives, ainsi que le fardeau et le stress des aidants. Il est important de bien analyser les troubles du comportement alimentaire des malades via l'échelle de Blandford (cf. tableau p. IX) et de proposer aux aidants naturels ou professionnels des actions spécifiques et des stratégies d'aide à l'alimentation.

L'Institut Alzheimer et Nestlé Clinical Nutrition ont soutenu la réalisation d'un programme de formation validé par des experts, destiné à des équipes soignantes et à des aidants naturels sur l'ensemble du territoire national en 2008. Cette formation a obtenu le label « grande cause nationale » en 2007, ainsi que le label de la Société francophone nutrition et métabolisme (SFNEP) (10).

CONCLUSION

Au domicile, à l'hôpital et en institution, les infirmières peuvent jouer un rôle actif et précieux dans le repérage des situations à risque de dénutrition chez les personnes âgées, dans la surveillance régulière de leur poids et de ses variations éventuelles, dans l'observation de leur comportement alimentaire, dans l'accompagnement de toutes les démarches thérapeutiques mises en place pour corriger les déficits nutritionnels, mais aussi dans l'éducation sanitaire des personnes âgées et de leur entourage pour prévenir la dénutrition.

Bibliographie

1- S. Lauque, S. Gillette-Guyonnet, B. Vellas, « Prévention et dépistage de la dénutrition », in Gérontologie préventive. Éléments de prévention du vieillissement pathologique, sous la direction de C. Trivalle, Masson, 2002.

2- X. Hébuterne, « Des recommandations nationales pour la prévention, le diagnostic et la prise en charge de la dénutrition chez la personne âgée », La Revue de gériatrie, mai 2008, pp. 363-364.

3- Haute Autorité de santé, « Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition proteino-énergétique chez la personne âgée » (janvier 2008) in La Revue de gériatrie, mai 2008, pp. 365-382.

4- « Épidémiologie de la dénutrition » in Nutrition de la personne âgée, M. Ferry, E. Alix, P. Brocker, T. Constans, B. Lesourd, D. Mischlich, P. Pfitzenmeyer, B. Vellas, Masson, 2002.

5- B. Lesourd, « Troubles nutritionnels chez le sujet âgé », La Revue du praticien, 2004, vol. 54, n° 18, pp. 2041-2046.

6- M. F. Mathey, B. Lesourd, « L'alimentation : une composante du "bien- vieillir" », La Revue du soignant en gériatrie, février 2004,n° 7, pp. 15-21.

7- « Conséquences de la malnutrition » in Nutrition de la personne âgée [cf. infra].

8- « Alimentation et Diététique » in Nutrition de la personne âgée [cf. infra].

9- S. Meyer, O. Renaud-Lévy, N. Jacquin-Mourain, N. Ake-Maubourguet, « Dénutrition en Ehpad, le jeûne prolongé », La Revue de gériatrie, juin 2008, pp. 519-520.

10- M. Ferry, « La dénutrition, un facteur aggravant de la maladie d'Alzheimer », La Revue de gériatrie, mai 2008, pp. 433-434.