Le discours présidentiel passé au crible - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

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Vidéosurveillance, géolocalisation, chambres d'isolement, UMD, fichiers... c'est « l'équilibre » entre sécurité et soins selon Nicolas Sarkozy. Soignants et patients réagissent à ces annonces.

A la suite du meurtre d'un jeune homme par un patient schizophrène à Grenoble le 12 novembre dernier, le président de la République s'est rendu à l'EPS Érasme d'Antony (Hauts-de-Seine), mardi 2 décembre 2008. Après avoir rendu hommage au personnel travaillant dans les hôpitaux psychiatriques, établissements « souvent incompris » et « rarement reconnus », il annonce une série de mesures et prône « un équilibre entre la réinsertion du patient, absolument nécessaire, et la protection de la société ».

Les mesures énoncées se structurent en deux axes. D'une part un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, financé à hauteur de 30 millions d'euros, qui vise à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir les fugues. Concrètement, cela signifie des dispositifs de géolocalisation pour les patients « dangereux », des unités fermées équipées de systèmes de vidéosurveillance, 200 chambres d'isolement à la sécurité renforcée, et la création de quatre nouvelles unités pour malades difficiles (UMD). D'autre part, une réforme de la procédure d'hospitalisation d'office, qui passera par l'obligation de soins pour les patients suivis en ambulatoire.

Les sorties « d'essai » ou définitives des patients hospitalisés sans leur consentement suivront l'avis consultatif d'un collège de trois soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier, et un psychiatre qui ne suit pas le patient. Enfin, le gouvernement s'assurera que les informations administratives soient partagées entre les départements, tout en respectant le secret médical (fichiers).

Dernier point, le président n'est pas convaincu de l'utilité d'une spécialisation en psychiatrie - notamment pour les infirmières -, car elle rimerait avec une « ghettoïsation ».

Jean-François Popielski, le directeur des soins de l'EPS Érasme, pèse le pour et le contre dans le discours du chef de l'État :

Du motivant...

- C'est la première fois qu'un président de la République se rend dans un hôpital psychiatrique et rencontre les équipes soignantes.

- Nicolas Sarkozy a réaffirmé que l'hôpital psychiatrique était un hôpital. C'est un point important à un moment où l'on pourrait être tenté de confier les soins de moyens et longs séjours au médico-social.

- Je trouve positive la formalisation de la reconnaissance du « cadre infirmier qui connaît la personne (malade) et ses habitudes », au travers de son appartenance au collège de trois soignants (psychiatre hospitalier, cadre, psychiatre libéral) qui rendra un avis consultatif concernant les sorties d'essai ou définitives.

- « Il faut que l'hôpital psychiatrique ait un patron. »

La réaffirmation par Nicolas Sarkozy du rôle du directeur de l'hôpital, qui a le budget à gérer, à un moment de tension entre directeurs et médecins, est importante.

... à l'inquiétant

- « Il y aussi l'agressivité, la violence, les réadmissions fréquentes de tous ces patients dont vous vous demandez si leur place est bien ici. »

Ce raccourci pose problème : si certains patients n'ont pas de place et sont réadmis à cause d'un manque de structures en aval, ce n'est pas lié à l'agressivité et à la violence.

- « Un schizophrène est avant toute considération une personne malade. »

Pour moi, un schizophrène est avant tout une personne !

- « Nous allons d'abord réaliser un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, et la ministre de la Santé a dégagé 30 millions d'euros. »

Ces 30 millions me semblent insuffisants si l'on veut mieux contrôler les entrées et les sorties des hôpitaux psychiatriques : ramené à chaque établissement, cela fait bien peu.

- « Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d'un dispositif de géolocalisation. »

Ce dispositif suppose que le patient soit partie prenante, ce qui pose le problème de l'alliance thérapeutique et interroge les processus de persécution dont souffrent beaucoup de patients hospitalisés d'office.

- « Vous me direz que le placement d'office ne concerne que 13 % des hospitalisations. »

Depuis les années 1990, on ne parle plus de placement d'office mais d'hospitalisation d'office. Le placement fait référence à la loi de 1838, qui était une loi de protection de la société... Or, la loi de 1990 parle d'hospitalisation d'office car c'est une loi de santé, de soins. Les mots ont du sens, et selon ceux que l'on emploie, on ne fait pas référence au même système.

Quant aux chiffres, seuls 20 % des patients sont hospitalisés en psychiatrie. Parmi eux, 70 % le sont en hospitalisation libre ; 25 % le sont sur demande d'un tiers ; et seulement 5 % sont hospitalisés d'office. Or, parmi ces 5 %, très peu posent de vrais problèmes.

- « Je vois bien les avantages de la spécialisation mais je crains la "ghettoïsation". »

Au contraire, la mise en place d'une spécialisation donnerait à la psychiatrie les moyens, les outils pour effectuer un véritable travail clinique. Aujourd'hui, on voit bien la limite du tutorat qui, bien qu'intéressant, ne remplace pas un vrai travail sur la clinique ainsi que le sens du travail en psychiatrie.

Claude Finkelstein, Présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (Fnapsy)

« Il faut rétablir la vérité sur les chiffres »

« Pour nous, les déclarations de Nicolas Sarkozy ont été violentes, d'autant que nous ne nous attendions pas à cela. Je pensais qu'il s'inspirerait de certaines grandes lignes de la commission Couty. J'attendais des déclarations sur des moyens supplémentaires consacrés à la spécialisation des infirmiers en psychiatrie, et des moyens pour une réorganisation performante du secteur (plus de MAS, plus d'Ehpad spécialisés, plus de foyers spécialisés, de maisons relais, de pensions de familles...). Je ne comprends toujours pas pourquoi il a parlé du risque de ghettoïsation associé à une spécialisation des soignants en psychiatrie. Y a-t-il une ghettoïsation des Ibode ou des Iade ?

Quant aux mesures annoncées, il serait plus urgent, par exemple, de rénover les chambres d'isolement existantes que d'en créer de nouvelles. Pour les malades dangereux, je ne vois pas l'intérêt d'un bracelet de géolocalisation. La place de ces patients est dans les UMD... où un bracelet ne sert à rien puisqu'ils ne sortent pas. Il faut aussi rétablir la vérité sur les chiffres : il n'y a pas plus de personnes dangereuses chez les malades psychiatriques que dans la population générale. Les réponses de monsieur Sarkozy ne sont pas adaptées puisqu'elles ne tiennent pas compte de la maladie. »

Olivier Boitard Médecin-chef à l'hôpital de Clermont-de-l'Oise et président du Comité d'action syndicale de la psychiatrie

« Nous allons vers un flicage de la société »

« À quoi sert de commencer par féliciter le travail des équipes en psychiatrie pour finalement instaurer des mesures sécuritaires ? ça ne colle pas. Monsieur Sarkozy voulait déjà modifier les procédures d'hospitalisation d'office dans un sens plus sécuritaire lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Il est évident qu'il s'intéresse davantage à la sécurité qu'aux soins.

Pour moi, il n'y a pas d'opposition entre sécurité et liberté : la liberté est un élément de la sécurité. Si on donne des espoirs de liberté à un patient, il sera moins violent à l'arrivée. S'il règne une ambiance carcérale, la relation de confiance soignants-soignés n'est plus possible. Or, elle est indispensable aux soins et à la sécurité de tous en psychiatrie.

Concernant la géolocalisation, c'est un leurre et une atteinte à la liberté. Nous allons vers un flicage de la société. Il me semble par contre que la création d'UMD supplémentaires, à partir du moment où il n'y en avait que quatre en France, est utile. J'aurais trouvé plus utile d'investir des moyens supplémentaires sur les effectifs soignants que de faire du sécuritaire. »