Les allergies traquées à domicile - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

Vous

Horizons

Poussières, animaux domestiques, produits chimiques... la maison fait souvent le lit des allergies et de l'asthme. Pour optimiser le suivi médical des patients, Sophie Frain mène l'enquête chez eux, et propose des solutions.

Rien n'échappe à son regard attentif. Tel un fin limier, Sophie Frain, conseillère médicale en environnement intérieur, scrute chaque mètre carré d'une maison située à La Fontenelle, près d'Antrain (Ille-et-Vilaine), à l'affût d'une humidité anormale, d'un matériau polluant pouvant irriter les bronches, d'un problème de ventilation rendant l'air intérieur malsain... Car au sein de la famille qui y réside, vit Elisa. (1) Cette jeune fille de 11 ans développe depuis ses 6 ans des allergies aux acariens, aux graminées et aux poils des deux rongeurs qui vivent en cage au milieu du séjour.

« Elisa est allergique à des allergènes de plus en plus nombreux. C'est un phénomène habituel, lié à la progression en âge, explique Sophie Frain, sollicitée pour le compte de son employeur, Capt'air Bretagne, par l'allergologue qui suit cette jeune fille. Il est donc important de diminuer la présence d'allergisants. En allant chez les gens, je me rends compte de certaines choses. Une fois le contact établi, on cherche à trouver des solutions pour agir préventivement. » Un impératif d'autant plus fort qu'Elisa est également asthmatique. Elle est loin d'être la seule : 90 % des personnes asthmatiques sont allergiques. « L'allergie, comme l'asthme, provoque des inflammations des muqueuses, d'où l'importance de ces visites à domicile », considère cette infirmière diplômée d'État.

Métier rare

Devant ce problème de santé publique, des pneumologues de la région de Saint-Malo et de Dinan ont demandé il y a cinq ans à Sophie Frain de s'investir sur ce terrain. Déjà missionnée par l'association Capt'air Bretagne pour analyser les relevés de pollens effectués grâce à cinq bornes réparties dans la région (lire ci-contre), elle est la professionnelle tout indiquée. Expérimentée, puisqu'elle exerçait en parallèle, jusqu'en août dernier, en pneumologie au centre hospitalier de Dinan, et formée en éducation à la santé. Afin de se spécialiser, l'infirmière a suivi une formation « Santé respiratoire et habitat » à Strasbourg, pour devenir en 2004 conseillère médicale en environnement intérieur. Une activité encore rare en France, puisqu'une quarantaine de personnes seulement l'exercerait.

Diplomatie

Ce matin-là, on sent rapidement que la maman qui reçoit Sophie Frain est sur ses gardes. A-t-elle bien compris le sens de la venue de cette infirmière d'un genre nouveau, qui s'intéresse à la matière des alèses qui recouvrent le matelas d'Elisa et remet en cause l'achat en grande surface d'un oreiller et d'une couette anti-acarien ? Pas évident, en tout cas au départ. Au cours de la première étape de la visite - la découverte, pièce par pièce, de l'environnement dans lequel vit Elisa -, elle coupe fréquemment la parole pour montrer qu'elle s'est démenée afin de trouver des solutions à la présence des acariens, pour dire aussi qu'Elisa n'a pas fait une crise depuis août... Serait-ce finalement de l'incompréhension ? Peut-être, car un ménage total (aspirateur plus serpillière) est effectué chaque jour, Elisa est suivie médicalement, son état s'améliore, des aménagements sont réalisés dans la maison. Dans ces conditions, à quoi bon envoyer une professionnelle au domicile ? Et pour quel résultat ?

Consciente de la situation dans laquelle se trouvent les parents en général, mélange de culpabilité vis-à-vis de leur enfant et de découragement devant toute l'énergie à déployer pour que le jeune patient allergique puisse mener une vie normale, Sophie Frain met en oeuvre tout son sens de la diplomatie. La mère confie que lorsque l'allergologue lui a parlé de la visite de l'infirmière, elle a pensé que l'on remettait en cause le nettoyage de sa maison. Aussitôt, la conseillère médicale assure qu'elle n'est pas là pour juger. Plutôt pour aiguiller, aider à corriger certaines habitudes peu compatibles avec les allergies.

Pour y parvenir, tout au long des deux bonnes heures que va durer la visite, l'infirmière tente de faire passer quelques messages simples. Exemple : devant l'activisme de la maman, véritable fée du logis, elle veut relativiser. Quand elles se déplacent toutes les deux dans la cuisine pour regarder le type de produits d'entretien utilisés, Sophie Frain conseille d'acheter des produits non parfumés et biologiques. « Il faut éviter les produits qui peuvent irriter les bronches et de trop en utiliser, souligne-t-elle. Il ne s'agit pas de faire vivre votre fille dans un environnement aseptisé. »

Impact émotionnel

Plutôt que de chercher à promouvoir un environnement idéal, mieux vaut faire preuve d'un sens du compromis. « Je n'ai pas pu dire explicitement au cours de la visite que dans la maison, beaucoup de babioles constituent des nids à poussières, souligne Sophie Frain. Par contre, je le ferai ressortir dans le compte rendu détaillé qui sera adressé à la famille. » Même souci de ne pas s'opposer aux membres de la famille, pour, in fine, recueillir leur adhésion, quand est évoquée la question des deux cobayes trônant au milieu de la pièce de vie principale. « Même si je viens après avoir eu communication du bilan de l'allergologue, avec des informations bien objectives, en me déplaçant, je mesure mieux l'impact émotionnel des conseils que je peux prodiguer. »

Les prélèvements effectués au cours de la dernière phase de la visite permettent d'avancer. Parfois très vite. Ceux réalisés sur les murs pour rechercher la présence de moisissures seront envoyés au laboratoire du CHU de Rennes, mais ceux auxquels Sophie Frain procède grâce à son aspirateur sont aussitôt analysés. Elle se rend d'abord dans la chambre d'Elisa. Sur le témoin, un rouge cramoisi s'affiche, indiquant une forte présence d'acariens. Idem pour le tapis du séjour et pour le canapé. Pour les deux parents, la solution est évidente : il faut se débarrasser de tout ce mobilier. S'engage alors un échange sur les matériaux à privilégier pour éviter de remplacer une source par une autre.

Investigations complémentaires

La visite sera suivie par la rédaction du compte rendu, puis par des recherches documentaires. Dans le cas présent, Sophie Frain veut pouvoir proposer une solution pour faire sécher le linge autrement que devant l'insert, ce qui génère de l'humidité dans la maison. Une recherche sera également menée sur les allergies que semble provoquer le ficus, plante que l'on retrouve dans le séjour. Les investigations complémentaires les plus ardues concernent habituellement les substances chimiques, en particulier celles que contiennent les produits d'entretien. Un travail que Sophie Frain estime être tout à fait lié à son métier d'infirmière. « On parle toujours de la prise en charge globale du patient, estime cette dernière. Vivre dans un environnement sain est primordial, encore plus aujourd'hui, où l'on souhaite déshospitaliser au plus vite. Ce travail renvoie aux problématiques associées aux maladies chroniques en général. »

1- Le prénom a été changé.

contact

- Capt'air Bretagne, CH de Dinan, rue Chateaubriand, 22100 Dinan.

Courriel : captair@ch-dinan.fr.

Site Internet : http://www.captair-bretagne.com

zoom

Pollens sous surveillance

Parallèlement aux visites à domicile, Sophie Frain procède au comptage microscopique des grains de pollen recueillis chaque semaine entre février et septembre sur cinq capteurs répartis en Bretagne (Dinan, Brest, Rennes, Pontivy, Saint-Brieuc). Ce relevé est réalisé par Cap'air Bretagne, en partenariat avec le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA). « Cela permet de déterminer sur une échelle de zéro à cinq le risque allergique de chaque pollen et de l'air en général », explique l'infirmière. Ces résultats sont communiqués via un bulletin pollinique à la presse, aux médecins, aux pharmaciens et sur le site Internet de Capt'air Bretagne. Pour effectuer ce travail, Sophie Frain a suivi une formation dispensée à Bordeaux par le RNSA. Déjà bien remplie, la mission de l'infirmière au sein de l'association (dont le financement n'est pas assuré sur le long terme et seulement alimenté par des subventions accordées majoritairement par la Drass, le conseil régional, le conseil général des Côtes-d'Armor et le CH de Dinan) comprend également des interventions ponctuelles, entre autres en milieu scolaire. « Nous souhaitons développer cette action pour sensibiliser le public à l'importance de notre environnement intérieur le plus en amont possible », dit-elle.

Articles de la même rubrique d'un même numéro