« Nous sommes complémentaires » - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

Psychiatres et urgentistes

Questions à

Au sein des urgences médico-chirurgicales et médico-judiciaires de l'Hôtel-Dieu, le docteur Mahmoudia pilote la prise en charge des patients présentant des troubles psychiques.

Quelles sont les spécificités de votre mission aux urgences ?

Le travail du psychiatre aux urgences de l'Hôtel-Dieu se partage en deux grandes activités. La première est notre intervention auprès des urgences médico-chirurgicales (UMC). La seconde, très spécifique, se déroule au sein des urgences médico-judicaires (UMJ). Nous réalisons en moyenne trente passages par tranche de vingt- quatre heures, UMJ et UMC confondues.

Aux urgences médico-chirurgicales, nous prenons en charge des patients dont le comportement et les symptômes relèvent de pathologies psychiatriques très diversifiées. Parmi les patients des urgences souffrant de troubles psychiques, 60 % présentent des troubles de l'humeur (dépression, réactions émotionnelles), et 40 % sont atteints de pathologies psychiatriques « pures ».

Au sein des urgences médico-judicaires, notre intervention est double. Je procède à un examen d'une personne ayant commis un délit, sur la réquisition d'un officier de police judiciaire. Nous sommes des « psychiatres certificateurs », et non des psychiatres traitants. Plusieurs critères impliquent que la garde à vue ne pourra pas se dérouler dans les locaux de la police : un risque suicidaire, un état d'agitation avec auto-agressivité, et un état délirant aigu. Les patients sont alors hospitalisés dans la salle Cusco (une salle de l'Hôtel-Dieu partagée entre justice, police et psychiatrie), et restent en garde à vue, ce qui signifie que la police ou le juge peut les auditionner à tout moment. Ils peuvent aussi être transférés à l'infirmerie psychiatrique auprès de la préfecture de police de Paris. Il s'agit d'un examen de compatibilité de la garde à vue et non de la responsabilité pénale, qui est du ressort des psychiatres de l'infirmerie psychiatrique.

Deuxièmement, je dois évaluer le retentissement psychologique consécutif à une agression (violences conjugales, coups et blessures volontaires, agressions sexuelles, vols avec violence, etc.). Cet examen est indispensable car un retentissement psychologique important peut favoriser l'entrée dans un processus morbide.

Comment agit et réagit le personnel soignant des urgences face aux patients psychiatriques ?

Le personnel soignant des hôpitaux généraux n'est pas préparé à recevoir des patients présentant des troubles psychiatriques. C'est la raison pour laquelle des protocoles de prise en charge ont été mis en place. Le malade mental angoisse les soignants par ses plaintes non somatiques et son agitation parfois violente. Le travail de l'équipe soignante consiste à observer, écouter, rassurer, surveiller, et prendre une décision rapide, car le risque d'un passage à l'acte existe. Il faut prendre une certaine distance vis-à-vis de ces patients, et non éprouver de la compassion. Nous prenons une décision commune avec mes collègues « somaticiens », après avoir éliminé les causes dues à des affections organiques (épilepsie, état confusionnel, désordre métabolique).

La population reçue aux urgences de l'Hôtel-Dieu a-t-elle évolué ?

Depuis dix ans, on demande indirectement aux urgences et à la psychiatrie de s'occuper de la précarisation de la société. De nouvelles pathologies ont émergé, comme les réactions émotionnelles dues au travail (le harcèlement, par exemple), ou dues à des situations familiales compliquées (divorce, etc.). Ces situations peuvent mener à la dépression, engendrer des idées suicidaires, et doivent donc être prises en charge.

Nous recevons aussi beaucoup de jeunes qui ont pris des toxiques et décompensent sur un mode délirant. De plus en plus de jeunes sont désinsérés socialement, ce qui peut cacher une problématique psychiatrique. L'Hôtel-Dieu dessert des quartiers très fréquentés, comme le Marais, et reçoit toute la population qui traverse le centre de la capitale. La ligne de RER étant à deux pas, nous avons beaucoup de gens qui viennent des banlieues. Enfin, nous prenons en charge de nombreux touristes.

Comment vous sentez-vous dans le service des urgences ? Comment pensez-vous être perçu par les soignants ?

Le fait d'avoir un pied dans les urgences est pour moi une chance, car cela me permet de rester en contact avec l'ensemble des pathologies somatiques, et de ne pas voir que du psychiatrique. Je perçois mon travail comme complémentaire du travail des médecins urgentistes. Mais le psychiatre ne peut pas résoudre tous les problèmes sociaux (perte d'emploi, de logement, précarité etc.) Enfin, je pense rassurer et participer à gérer l'angoisse et les tensions parfois présentes dans l'équipe, ou face à certains patients.

Youcef Mahmoudia Psychiatre

Le docteur Mahmoudia exerce à l'Hôtel-Dieu (AP-HP) depuis vingt ans en qualité de coordonnateur des urgences psychiatriques. Une mission qu'il a longtemps accomplie seul. Depuis trois ans, cependant, il travaille avec deux collègues psychiatres à mi-temps, ainsi qu'avec des internes en psychiatrie.