Parés à déléguer ? - L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 245 du 01/01/2009

 

nouvelle gouvernance

Enquête

Au sein des hôpitaux, la délégation de gestion et la contractualisation interne peuvent offrir une autonomie nouvelle aux pôles, en rapprochant la prise de décision des lieux où l'on soigne. Certains établissements ont déjà abordé les grandes manoeuvres...

Délégation de gestion, intéressement, contrat de pôle : kézako ? Le vocabulaire de la nouvelle gouvernance des établissements hospitaliers, instaurée par l'ordonnance du 2 mai 2005, n'est pas encore dans toutes les bouches et sa concrétisation est loin d'être généralisée sur le terrain. À l'hôpital de Périgueux, pourtant, la délégation de gestion concerne tous les pôles de l'établissement. Elle fait même l'objet de contrats de pôle, dont la réalisation, pôle par pôle, peut donner lieu à l'attribution d'une enveloppe d'intéressement.

Selon l'enquête nationale menée par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) en mai dernier et rendue publique cet automne (1), un tel cas de figure est loin d'être fréquent, bien au contraire. Moins de la moitié des établissements de soins ont en effet mis en place une délégation de gestion. Huit centres hospitaliers sur dix n'ont signé aucun contrat avec leurs pôles et seulement 5,5 % en ont signé avec tous leurs pôles. L'intéressement se fait aussi rare puisque moins de 20 % des établissements l'ont mis en place... dans au moins un pôle ! Autant dire que, comme quelques autres, le centre hospitalier de Périgueux, expérimentateur de la réforme, fait figure de pionnier.

Objectifs quantifiés

La délégation de gestion mise en place dans l'établissement porte sur des éléments stratégiques, tels que l'évolution des effectifs et les formations, le recrutement, l'organisation, mais aussi des éléments budgétaires. « Nous avons mis l'accent sur les dépenses à caractère médical comme les médicaments et les fournitures liées à la prise en charge des patients », indique Serge Crochet, directeur adjoint de l'hôpital. Autre volet budgétaire : les dépenses hôtelières et générales. « Des dépenses considérées comme contrôlables par les pôles », résume-t-il. En effet, « certaines charges de fonctionnement échappent en grande partie à l'action des pôles et on les a exclues du champ de la délégation, comme tout ce qui concerne le personnel titulaire », ajoute Serge Crochet. Le but, explique-t-il, c'est « d'aboutir à une certaine autonomie fonctionnelle des pôles pour tous les domaines où l'on pense qu'il est plus efficace que la décision soit prise à leur niveau. »

Le contrat de pôle, désormais proposé à la signature chaque année, formalise en partie cette délégation entre les pôles et la direction de l'hôpital, mais pas seulement. Il comporte tout d'abord les engagements de la direction, qui garantit la mise à disposition des moyens négociés et la production des documents de suivi. Apparaissent ensuite les objectifs du pôle. Ils se déclinent d'une part en objectifs d'activité (recettes, dépenses, nombre d'entrées, durée moyenne de séjour, etc.) qui sont déterminés à partir de l'histoire et des projets institutionnels du pôle, ou définis lors de réunions préparatoires.

Le contrat comprend également des objectifs en termes de dépenses liées aux charges directes médicales, aux charges de personnel médical de remplacement, aux mensualités de remplacement et aux charges directes hôtelières. Des objectifs de recours au plateau technique (examens d'imagerie, de biologie...) et de recours au services généraux sont également indiqués, ainsi que des objectifs de qualité - exhaustivité du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), recommandations de la Haute Autorité de santé. Les objectifs budgétaires sont définis à partir de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD)... c'est-à-dire assez tard dans l'année, remarque le directeur adjoint, l'EPRD n'étant validé qu'en avril ou en mai.

Économie au quotidien

Dans le pôle de cardiologie-pneumologie de l'établissement, la délégation de gestion est en place depuis plusieurs années. Les cadres et les agents, notamment les infirmières, ont été invités à s'impliquer davantage, explique Marie-José Mazières, cadre supérieur de santé responsable du pôle. Les cadres de santé étaient déjà autonomes dans la gestion du pool de remplacement ou l'approvisionnement en petit matériel.

Ce qui a changé cette année, c'est l'apparition du contrat de pôle, qui introduit une dimension économique dans les problématiques quotidiennes. « On demande désormais au personnel de réfléchir à l'activité du pôle, de penser à l'organisation des équipes, aux moyens à mettre en oeuvre, en prenant en compte l'optique économique, poursuit le cadre. Les conséquences que l'absentéisme peut avoir sur les ressources du pôle, par exemple. » Chaque catégorie professionnelle, dont les infirmières, participe à une réunion de réflexion. Ensuite, il est présenté en détail au conseil de pôle et dans ses grandes lignes aux agents du pôle.

Marie-Laure Barbiéri, infirmière en cardiologie-pneumologie et élue au conseil de pôle, a suivi toutes ces étapes. « Pour le moment, nous les infirmières, nous restons avant tout des soignantes. Mais nous gardons de plus en plus à l'esprit que derrière chaque entrée, sortie, examen de laboratoire ou de biologie, tout ce qu'on fait, il y a un coût. » Aussi, « c'est l'occasion ou jamais, pour nous soignants, de transmettre notre réalité à la direction, nos difficultés, nos idées pour changer les choses afin que les projets collent à la réalité ».

Effet « paquebot »

D'ailleurs, les interrogations des infirmières portent plus sur les principes généraux que sur les détails du contrat. La profondeur des modifications à l'oeuvre dans le fonctionnement opérationnel des services n'a peut-être pas encore été perçue par tous, même dans un établissement expérimentateur comme celui de Périgueux. La prise en compte de cette réforme du pilotage de l'activité « demande beaucoup de changements dans l'analyse des pratiques professionnelles », souligne Marie-José Mazières. Certaines « se demandent s'il s'agit encore d'un essai ou si c'est effectivement appliqué », poursuit le cadre supérieur. Une interrogation légitime alors que le projet de loi « Hôpital, santé, patients, territoires » pourrait encore modifier la donne, note Jocelyne Méténier, directrice des soins, et « alors qu'on n'a pas encore fini d'intégrer la nouvelle gouvernance » édictée en 2005... « L'hôpital est un gros paquebot qui doit avoir le temps de manoeuvrer », estime-t-elle. Naturelle, la résistance au changement est parfois à l'oeuvre, mais tend à diminuer, note Marie-José Mazières. Même si les premiers effets de cette réforme du pilotage de l'activité ne sont pas encore très visibles.

Intéressement collectif

Le bureau du conseil de pôle suit les indicateurs économiques, de qualité et d'organisation de l'activité via les tableaux de bord mensuels et vérifie s'ils correspondent aux objectifs du contrat de pôle, explique le cadre supérieur de santé. Cadres et médecins les analysent chaque mois. Marie-José Mazières rencontre le médecin responsable du pôle chaque semaine, et lorsque certains voyants passent au rouge afin de rectifier le tir. Si ces réunions s'avèrent chronophages, elles permettent d'avoir une vision précise de la situation du pôle en termes d'activité et de la piloter en conséquence. Mais cela ne concerne pas directement les infirmières, sauf peut-être quand le contrat est échu.

Le contrat de pôle précise en effet les conditions d'attribution d'un éventuel intéressement en fonction de la réalisation des objectifs. L'établissement dispose d'une enveloppe globale (150 000 euros annuels), distribuée aux pôles en fonction de la réalisation de trois types d'objectifs : le respect des crédits délégués, le respect des objectifs de consommation de plateau technique et de logistique, et enfin les indicateurs de productivité. Les trois critères sont considérés séparément et comparés aux résultats des autres pôles afin de distinguer les pôles où des efforts significatifs ont été accomplis. L'évaluation de chacun des trois critères donne lieu, le cas échéant, au calcul d'un intéressement.

Au final, les pôles peuvent donc percevoir une somme dont ils décident librement de l'utilisation.

Bourse aux idées

Chaque service a planché sur la façon dont l'enveloppe d'intéressement attribuée pourrait être utilisée. Les idées formulées sont ensuite examinées en conseil de pôle. Celles qui sont retenues doivent servir à l'amélioration des conditions d'hébergement et d'accueil des patients, et des conditions de travail des membres du personnel. « C'est très motivant », note Marie-Laure Barbiéri. Les secrétariats ont ainsi obtenu l'achat d'un scanner et d'une photocopieuse. Il a été décidé de rafraîchir certaines peintures, de financer des formations pour les infirmières et les aides-soignantes, d'acheter des livres pour la bibliothèque des soignants, de les abonner à des publications professionnelles et de fournir des revues aux salles d'attente.

À un autre échelon, Marie-José Mazières apprécie les allers-retours que parcourt la communication entre le bureau du pôle et la direction des soins : « Un de nos projets concerne la mise en place d'une éducation thérapeutique des insuffisants cardiaques, raconte le cadre supérieur. Nous avons fixé des objectifs, évalué les moyens humains et matériels nécessaires, et recherché des financements. Puis j'ai fait appel à la direction des soins pour connaître l'étape de validation du projet. Ce n'est pas une relation hiérarchique mais un travail main dans la main. » C'est bien au niveau central qu'est pilotée la cohérence des projets entre pôles et avec le projet d'établissement. D'ailleurs, quand un projet est opérationnel dans un pôle, cette expérience peut être mise en commun lors des réunions de cadres responsables de pôles à la direction des soins.

Échanges encouragés

Pour Serge Crochet, ce travail concerté témoigne de progrès permis par la nouvelle gouvernance : « Elle a favorisé des échanges plus fréquents que par le passé entre les responsables de pôle et les autorités centrales, constate-t-il. Une habitude se crée de travailler ensemble, d'utiliser le même langage, de faire un pas vers la logique de l'autre. » Une petite révolution culturelle, dont les soignants peuvent aussi s'emparer.

1- Résultats de l'enquête nationale de la nouvelle gouvernance, Dhos, mai 2008, disponible sur http://www.sante.gouv.fr (rubrique « Dossiers », dossier « Gouvernance hospitalière »).

vrai-faux

CONTRATS, OBJECTIFS...

> Les contrats de pôle sont obligatoires.

VRAI - L'article L. 6145-16 du Code de la santé publique prévoit que : « Les établissements publics de santé mettent en place des procédures de contractualisation interne avec leurs pôles d'activité, qui bénéficient de délégations de gestion de la part du directeur. Le contrat [...] définit les objectifs d'activité, de qualité et financiers, les moyens et les indicateurs de suivi des pôles d'activité, les modalités de leur intéressement aux résultats de leur gestion, ainsi que les conséquences en cas d'inexécution du contrat. »

> Tous les établissements ont mis en place l'intéressement.

FAUX - Seuls 18 % des établissements de soins (mais 62 % des CHU) ont mis en place l'intéressement dans au moins un pôle. Lorsqu'il existe, il porte huit fois sur dix sur des critères d'atteinte des objectifs médico-économiques. Sept fois sur dix, il prend en compte la réalisation d'objectifs d'activité. Mais la réalisation d'objectifs de qualité n'entre en compte que dans 60 % des établissements concernés.

> Les soignants connaissent bien les éléments de la nouvelle gouvernance.

FAUX - Une étude menée par des élèves directeurs de l'École des hautes études en santé publique, portant sur 15 établissements, pointe « le faible niveau de connaissance de la réforme » du personnel soignant (hors cadres) « malgré le réel effort de communication que semblent avoir fait plusieurs établissements ».