« Je veux être une présidente confrontée au terrain » - L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009

 

Dominique Le Boeuf

Actualités

Profession

Infirmière et sociologue, Dominique Le Boeuf a été choisie par ses pairs pour diriger le conseil national de l'ordre. Ses priorités : écouter, rassembler, et mettre en route le code de déontologie.

élue triomphalement le 14 janvier à la tête de l'ordre infirmier, avec 38 voix sur 48, Dominique Le Boeuf, par son parcours, présente bien des atouts pour aider l'instance représentative à accomplir la difficile mission qui l'attend : contribuer à rassembler et structurer la profession infirmière, tout en se portant garante du niveau de compétence des soignantes.

Fine connaisseuse de l'univers hospitalier après dix-sept ans de fonction publique hospitalière, sensibilisée à l'exercice libéral, Dominique Le Boeuf connaît également bien les médecins. Ses liens avec les autres ordres paramédicaux devraient être un plus dans l'exercice de son mandat. La première présidente de l'ordre infirmier français a répondu à toutes nos questions, tant sur la future organisation de l'instance représentative que sur les principaux sujets de l'actualité infirmière.

La date de la prochaine réunion du conseil est-elle fixée ?

Non, elle n'est pas fixée, mais ce sera début février. Mon souhait pour la première réunion, c'est de réunir tous les suppléants et tous les titulaires. C'est une demande forte des élus nationaux, et pour moi, il est très important que tous les secteurs géographiques soient représentés, de même que chaque champ d'exercice. L'enjeu est que l'on puisse se reconnaître en tant que profession et non plus en fonction d'un simple emploi.

L'appel à cotisation aura-t-il lieu lors de cette prochaine réunion ?

Non, mon souhait est de réunir tous les départements et les régions. Je le soumettrai au conseil national pour avis. L'assemblée de départements permettra de déterminer ce qu'est, pour les conseillers, une cotisation raisonnable et acceptable. Raisonnable pour que l'ordre puisse fonctionner et que nous ayons notre indépendance. Acceptable pour que toutes les infirmières s'y retrouvent.

Le chiffre de 30 euros circule...

Je me plierai à la volonté des conseils départementaux. Les bons départs ont lieu quand on a pris le temps nécessaire au consensus.

Comment les cotisations seront-elles perçues ? Y aura-t-il prélèvement ?

On ne peut pas prélever de cotisation sur la fiche de paie. C'est un acte volontaire [même si cet acte est obligatoire, comme le paiement des impôts, ndlr].

L'ordre a-t-il un local spécifique ?

Pour l'instant non, tout est à faire. Mais on va trouver un lieu. Il sera sûrement situé à Paris. Il est important que chacun puisse y venir.

Quel rythme de réunions vous paraît adapté ?

À mon avis, c'est au départ un conseil au moins tous les trois mois et plus si nécessaire.

Est-il prévu de doter l'ordre d'une publication ?

Il y aura un bulletin de l'ordre comme partout et plus vite on le fera, mieux ce sera. Ce sera fonction des moyens qu'on aura. Il me semble essentiel que chaque infirmière reçoive chez elle, très vite, un « deux pages ». Je cotise, je suis informée.

L'ordre va avoir besoin de communiquer car il n'est pas vraiment au centre des préoccupations des infirmières...

Vous savez, on a quand même beaucoup souffert de désinformation, ça a été très compliqué. On a eu la chance que notre ordre se fasse très, très vite. Les kinés ont mis quinze ans. Nous, on a mis dix-huit mois quasiment à partir du vote de la loi. C'est court pour des gens qui n'ont aucun moyen de communiquer.

On nous avait prédit qu'on n'arriverait pas à organiser ces élections, qu'on ne serait pas capables de se mobiliser. On a bougé ! Ce n'est pas si simple ! Quand je regarde le chemin des autres, moi, je nous trouve pas mal ! Il ne faut pas vivre dans ses illusions. Quand je me suis présentée, j'ai bien pris la mesure. Mais en même temps, je crois qu'on ne fera adhérer les infirmières que si on les fait un peu rêver, sans faire d'angélisme bien sûr.

Quels sont pour vous les chantiers prioritaires ?

Réunir mon conseil et tout de suite commencer le code de déontologie. C'est ce qui fonde notre identité ordinale. Il faut que tous les départements y participent. Après, commencer tout de suite à parler du fonctionnement de l'ordre, comment on va le monter au niveau du fonctionnement interne et très vite avoir la capacité de communiquer. Il va aussi falloir nous recenser, savoir très précisément qui fait quoi, où, pour nous connaître mieux.

Une de mes priorités, en tant que présidente, c'est de me déplacer. Je suis parisienne, ce n'est pas obligatoirement un handicap. Certains conseils régionaux (dont la Bretagne) m'ont invitée, je vais y aller. Je pense qu'il faut que les territoires puissent voir une présidente qui n'est pas virtuelle, pas enfermée dans sa tour d'ivoire et qui est capable de se confronter au terrain.

Quand pensez-vous pouvoir émettre l'appel à cotisation ?

Dès qu'on pourra, je ne peux pas vous le dire.

Mi-2009 ?

J'espère, mais c'est vraiment très lié à ce que diront les départements. Pour avoir beaucoup observé les présidents des autres ordres, je vous assure que ce n'est pas du tout une position omnipotente.

L'un des gros chantiers d'actualité concerne la réforme des études d'infirmières. À titre personnel, êtes-vous favorable à une licence générale ou une licence professionnelle ?

Je suis la présidente de mon conseil, je n'ai donc plus d'avis personnel. Mais je suis une universitaire. L'université ne me fait pas peur. Je travaille déjà beaucoup avec d'autres consoeurs européennes qui sont docteurs en sciences infirmières. Et très sincèrement, ce ne sont pas des intellectuelles coupées de la base. Quinze pays en Europe ont déjà franchi ce pas. Clairement, je ne vois pas pourquoi on serait les derniers. Ce sera à l'ordre du jour du conseil de février.

Il ne reste que deux mois de négociations, pour une entrée en vigueur de la licence dès septembre. Et la ministre n'a toujours pas arbitré : elle esquive à chaque fois qu'on lui pose la question...

Je me baserai sur les faits et je ne rentrerai pas dans la passion. La mission de l'ordre c'est de veiller au maintien de la compétence de ses membres. C'est dans la loi. Mon ordre veillera à ce que la formation soit adaptée aux compétences que les patients sont aujourd'hui en droit d'exiger. Il veillera à ce que l'évolution de la profession ait lieu en adéquation avec les besoins de santé.

Sur la question de la rémunération des infirmières...

Ah, ça, c'est les syndicats ! Je compte sur eux. Mais on voit bien que dans toute l'évolution de la profession infirmière, quand on regarde les autres pays, très clairement, dès qu'il y a eu un ordre, très souvent, on a observé une évolution de la rémunération, de même qu'une intégration universitaire de la formation des infirmières. Laissons donc faire le cours de l'histoire.

Je pense qu'il fallait d'abord que l'ordre se mette en place. Sur le dossier du LMD, on va saisir des experts, je vais appeler mes collègues universitaires, on va monter un groupe s'il y a besoin pour toute la filière et à ce moment-là on arrivera face au ministère avec un dossier instruit. Maintenant, si la Dhos a décidé de finir avant que l'ordre arrive, ce n'est pas de mon fait.

L'autre gros dossier d'actualité, ce sont les délégations de compétences...

Moi je ne parle jamais de délégation de tâches, c'est franco-français. Je parle de compétences partagées.

Vous vous situez plutôt du côté de ceux qui disent qu'il ne faut surtout pas toucher au décret d'actes pour maintenir un cadre sécurisant, ou de ceux qui pensent qu'il faut l'assouplir ne serait-ce que pour faire reconnaître ce qui se pratique déjà ?

Je suis plutôt avec ceux qui disent qu'il faudra sûrement à un moment le faire évoluer. Mais pourquoi le faire évoluer en deux mois ? Les Québécois ont mis trois ans à faire évoluer leurs codes de professions tous ensemble avec tous les ordres. Penser qu'on peut faire évoluer le décret d'actes infirmier tous seuls sans les autres, ça me paraît difficile. La Haute Autorité de santé préconise de l'assouplir par missions, en nous comparant aux sages-femmes, mais ils oublient complètement de dire que les sages-femmes sont une profession médicale à compétences définies ! Alors pourquoi pas les infirmières ? Pour nous, ce n'est pas le cas, donc on nous fait des rapprochements, des raccourcis hâtifs qui ne permettent pas aujourd'hui de réfléchir correctement sur cette évolution.

Je pense que c'est un vrai sujet ordinal. Si les médecins veulent en discuter avec l'ordre des infirmiers, ils sont désormais à même de le faire. Et si on peut le faire avec d'autres, on le fera.

Que pouvez-vous dire pour rassurer les infirmières quant au pouvoir de sanction de l'ordre qui pourra aller jusqu'au retrait du diplôme ?

Pour l'instant, l'ordre n'a pas de mission de sanction au niveau du service public hospitalier. Donc rien ne change de ce côté-là ! En ce qui concerne les libérales, il s'agit juste d'une mise en place d'un décret qui n'avait jamais été mis en place jusqu'à maintenant. Je reste assez confiante : je suis persuadée qu'il n'y a pas tant que ça d'infirmières qui travaillent mal. ça se saurait ! Et puis ce qui peut les rassurer, c'est que là, elles vont pouvoir enfin être jugées par leurs pairs. Actuellement, c'est quand même les médecins qui les jugent !

Quels seront les rapports de l'ordre avec les autres professions à ordre ?

Il y a un comité de liaison inter-ordres (Clio) qui fonctionne déjà très bien. Ils se réunissent très régulièrement et ils nous attendent. Ils travaillent sur des sujets comme l'harmonisation des mandats ordinaux (l'idée serait d'aligner tout le monde sur trois ans avec des conseils renouvelables par tiers), sur le Répertoire partagé des professions de santé (RPPS) et sur l'élargissement de ce répertoire aux paramédicaux. Je suis sûre qu'on arrivera à travailler à un moment sur les compétences partagées.

Est-ce que ce ne sera pas plutôt au sein du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) ?

Le HCPP, pour moi, n'est pas un ordre, sa composition reste très hospitalière et je pense qu'il va travailler sur l'organisation, ce qui est son rôle. Mais je trouve qu'on a tendance aujourd'hui à réduire la coopération des professionnels de santé à quelque chose d'organisationnel alors qu'on voit bien qu'on touche toutes les qualifications et toutes les évolutions des différents segments professionnels. Et je suis persuadée que l'ordre est le plus à même de le faire, en tout cas de se mettre en perspective, ne serait-ce que pour faire évoluer la réglementation, entre autres le décret.

Donc vous estimez n'avoir pas grand-chose à faire dans ce HCPP ?

Ce que je sais, c'est que celui qui a fait le décret sur le HCPP a considéré que les ordres n'avaient pas grand-chose à y faire puisqu'on ne vote pas. Alors que les employeurs comme la FHF ou la FHP (1), par exemple, votent.

Quand on entend Mme Bachelot, on comprend que c'est l'avis du HCPP qu'elle recherchera dans les discussions sur les coopérations entre professionnels de santé...

Certains ordres régionaux et départementaux, dont je suis issue, ont fait une demande d'amendements pour que dans l'article du projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » sur la coopération des professionnels de santé, l'avis des ordres soit demandé. Nous espérons très fortement que nous serons entendus par la ministre.

Comment envisagez-vous les relations de l'ordre avec les syndicats ?

Excellentes. J'ai eu des fonctions dans des syndicats, je pense qu'ils ont toute leur place et il faut qu'ils l'aient. Tout ce qui concerne le statut ne concerne pas l'ordre, de même que tout ce qui concerne les négociations conventionnelles. L'ordre peut avoir un avis à donner, mais très clairement, ça relève de la fonction syndicale.

Qu'est-ce que ça vous fait de devenir la première présidente de l'ordre des infirmières de France ?

Le sentiment d'une lourde responsabilité, vraiment. Un très beau challenge. Moi, je suis déjà convaincue. Mon défi, c'est de convaincre un maximum d'infirmières. Ça va se jouer sur la capacité de l'ordre à leur ressembler, sur sa capacité à être au plus près de leurs préoccupations, à faire évoluer la profession et surtout à anticiper. Très clairement, l'ordre va travailler pour les générations futures et pour nos patients futurs.

1- Fédération hospitalière de France et Fédération de l'hospitalisation privée.

Curriculum vitae

Dominique Le Boeuf, 47 ans, mariée, deux enfants

- 1982 : DE, entre à l'hôpital de Versailles (médecine interne, réanimation respiratoire, soins intensifs de cardiologie).

- 1989 : reçue à l'école des cadres, exerce à Versailles en neurologie avant de monter l'activité d'hématologie clinique.

- 1998 : DESS d'évaluation en alternance à Aix-Marseille sur les critères d'émergence des réseaux de soins.

- 1999 : DEA de sociologie sur l'hôpital local, les professionnels de santé et le territoire, avec Michel Crozier.

- 2000 : entre à la Haute Autorité de santé (HAS), au sein de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) où elle travaille sur l'évaluation des réseaux de soins et des réseaux de santé, participe aux premières expérimentations de l'évaluation des pratiques professionnelles avec les médecins libéraux et à l'élaboration de recommandations de pratiques cliniques.

- 2002 : participe à la création en Bretagne d'une association de professionnels de santé libéraux et se joint au groupe Sainte-Anne qui milite pour la création d'un ordre infirmier.

- 2008 : élue secrétaire générale du conseil départemental de l'ordre infirmier des Yvelines puis vice-présidente du conseil régional de l'ordre infirmier d'Île-de-France, et enfin présidente du conseil national.

Les membres du bureau

- Dominique COVES, vice-présidente du secteur libéral

- David VASSEUR, vice-président du secteur privé

- Didier BORNICHE, vice-président du secteur public

- Myriam PETIT (libérale), secrétaire générale

- Karim MAMERI (public), Bruno LE DU (libéral), secrétaires adjoints

- Christophe BODIN (public), trésorier

- Corinne BOURSAUD-LAPORTE (libérale), trésorière adjointe

Contact

Conseil national de l'ordre des infirmiers, 116, rue de la Convention, 75015 Paris.

Mél : ordre-infirmier.national @orange.fr