Les scalpels de la solidarité - L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009

 

bénin

Reportage

Une fois par an, Interplast-France, une association humanitaire de chirurgie plastique et reconstructrice, se rend dans le nord du Bénin pour réparer les visages et les corps d'une population démunie et confrontée au désert médical.

Assise à l'ombre des manguiers, Latifa, 9 ans, a le regard triste. L'arcade sourcilière de son oeil droit est enflée. Son père est à ses côtés, en retrait, son vélo à la main. Comme eux, des personnes de toute la région affluent au dispensaire de Bellotounga, parfois après plusieurs jours de marche. Ils attendent leur tour pour la consultation médicale. En effet, en ce début novembre, la radio locale et la radio du Niger voisin annoncent en continu la venue de chirurgiens français.

Comme chaque année depuis cinq ans, l'équipe d'Interplast-France, une organisation humanitaire de chirurgie plastique en milieu précaire, est arrivée en pirogue après un périple de 100 kilomètres sur le fleuve Niger. Le village, d'environ 400 habitants, est situé à l'extrême nord du Bénin, dans une région aride et privée de toute structure hospitalière. Les enfants du village aident à transporter les malles : en tout, 200 kilos de matériel. Sauf que cette fois, la malle contenant une partie du matériel chirurgical est restée bloquée à Paris. La compagnie aérienne, fautive, ne fera parvenir le colis que cinq jours plus tard.

Salle d'op' improvisée

« C'est ma première mission en Afrique, raconte Clothilde Wagner, infirmière anesthésiste à Paris. Je suis déjà partie travailler dans un orphelinat roumain : ce fut une expérience très éprouvante, qui m'a profondément marquée. Quand Patrick Knipper, président d'Interplast-France, qui pratique la chirurgie esthétique à Paris, m'a proposé de partir avec lui au Bénin, je n'ai pas hésité une seconde. »

Salé, l'infirmier du dispensaire, chargé de l'indispensable rôle de traducteur, fait l'appel. Pas de temps à perdre, il y a foule. D'autant plus qu'ici, les consultations sont collectives : la famille et les proches participent à la décision prise. Christophe Carré, le chirurgien-dentiste, déballe avec l'aide de Clothilde la valise qui condense tout son cabinet dentaire. Patrick Knipper et Riad Sarkis, les deux chirurgiens, ordonnent que la salle d'opération improvisée sur la terrasse du dispensaire soit protégée par des panneaux de mil tressés, rempart minimum contre le soleil, la foule et l'harmattan qui souffle fort. « Le dispensaire est sombre et les conditions d'asepsie moins bonnes qu'à l'air libre, justifie le Dr Knipper. L'essentiel est que la manipulation soit stérile. »

Hémangiome

Latifa s'avance, la main de son père sur l'épaule. Les chirurgiens examinent l'étrange boule de son arcade sourcilière. « C'est un hémangiome, une tumeur vasculaire. Il faut la lui enlever car elle va grossir et altérer sa vision. » L'opération est programmée, au grand soulagement de son père, qui vit très modestement de la pêche, avec sept enfants à charge. « L'hôpital le plus proche est à Bembereke, à 250 kilomètres d'ici, précise-t-il. Rien que le voyage me coûterait trois mois de salaire. Si on compte le trajet, l'opération et les jours passés sur place, c'est inaccessible ! »

Une femme s'approche avec son bébé dans les bras. Il a cinq mois. Il regarde l'assemblée avec son plus beau sourire, malgré la fente labiale qui lui déforme le visage. « Le poids du bébé n'est pas suffisant pour l'opération. Il va devoir attendre une prochaine mission, regrette Patrick Antoine, l'anesthésiste. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'une intervention qui tourne mal. Plus la situation est précaire, plus nous devons être rigoureux, sinon on court à la catastrophe ! »

Amputation

En Afrique, de nombreuses pathologies atteignent des stades critiques par manque de soins. Beaucoup de tumeurs bénignes, de hernies, de séquelles de brûlure, de pathologies infectieuses, de malformations congénitales telles les fentes labiales. Mais aussi des bébés hydrocéphales, des éléphantiasis, des états de malnutrition extrême...

Les opérations se succèdent avec les moyens du bord. Un homme amaigri et inquiet attend son tour. Il souffre d'une infection ostéo-articulaire qui nécessite l'amputation de sa main. Le type d'opération qu'aucun chirurgien n'apprécie, mais qui sauve une vie. Deux jours de négociation ont été nécessaires pour obtenir l'accord de la famille, et surtout du guérisseur.

Guérisseurs associés

« Les habitants vivent en communion étroite avec le sacré et l'invisible, explique Patrick Knipper. Par exemple, si je répare le visage de quelqu'un, j'agirai sur la partie visible en acceptant totalement qu'un tradipraticien traite la partie invisible touchée par un génie, le dieu de la forêt ou un autre. Je coopérerai avec ce guérisseur de la même façon qu'en France je confie à un psychiatre un patient qui déprime ou a une vision particulière de son corps. »

Prendre en compte les traditions locales est l'une des spécificités d'Interplast. Pas une opération sans que les tradipraticiens ne soient présents et investis dans la guérison. Et ce lien interculturel est possible grâce à Moussa Bello Maman, le chef du village qui partage sa vie entre le Bénin et la France, où il exerce comme ethnopsychiatre pour les migrants. « Chaque malade a besoin de l'accord du guérisseur pour être opéré. Il existe des cérémonies particulières au cours desquelles les guérisseurs interrogent les ancêtres et les esprits pour savoir d'où vient le mal, s'il provient par exemple d'une faute commise par le malade ou un membre de sa famille. » Cette coopération porte ses fruits tant au niveau de la prévention que du dépistage des malades, confiés à la médecine moderne par les tradipraticiens eux-mêmes.

Cicatrice

La dernière opération de la journée s'effectue à la tombée de la nuit. Au loin, une ombre de petite fille se dessine, un ballon bleu à la main. Une cicatrice à peine visible sur son visage rayonnant, Latifa retourne enfin à ses jeux d'enfant.

1- Sur Internet : http://www.interplast-france.net.

2- Peaux de chagrin : la chirurgie plastique au service de l'humanité, Patrick Knipper, éd. Michel Lafon, 2007.