« Ne les laissons pas de côté ! » - L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 246 du 01/02/2009

 

Soutien psychologique

Questions à

Intervenant auprès de patients âgés au sein d'une équipe mobile, Bernadette Le Nouvel rappelle que même lorsque les mots manquent, la communication reste possible.

Dans quels contextes participez-vous aux soins des personnes âgées hospitalisées à l'Emasp ?

Le plus souvent, j'interviens à la demande du médecin, des équipes, de la famille, et plus rarement du patient lui-même. L'entrée en institution, par exemple, est un moment où je suis souvent sollicitée, car cette transition peut déstabiliser la personne âgée et amplifier les troubles existants. Le passage du moyen au long séjour, les pics d'aggravation de l'état de santé physique ou psychique, le deuil et l'accompagnement en fin de vie à proprement parler sont des moments où une aide est fréquemment nécessaire.

Quelle forme prend cette aide psychologique ?

Tout dépend des besoins. En général, je vois les patients au moins une fois par semaine, mais cela peut être tous les jours. La fréquence est réévaluée tout au long du suivi. Si une personne arrive en état de choc à la suite d'une agression ou d'une chute, il y a un rôle important de holding à jouer, pour l'aider à maîtriser ce qu'elle perçoit comme très angoissant.

L'aide est parfois très prosaïque : en cas d'état dépressif grave, ma présence lors des repas peut aider à dédramatiser le malaise de la personne qui culpabilise vis-à-vis de son alimentation. Le problème est ensuite repris lors des entretiens psychologiques. Ce rôle contenant est utilisé en cas de syndrome de glissement, quand les personnes sont engluées dans leur désespoir, et totalement repliées sur elles-mêmes.

Vous travaillez beaucoup sur la notion de résilience chez les personnes âgées. Comment aider moralement quelqu'un qui a parfois beaucoup de problèmes physiques et psychologiques ?

Une formation pluridisciplinaire et un questionnement constant de nos pratiques sont utiles. Il s'agit principalement d'un travail d'accompagnement des deuils de la personne malade : certains, particulièrement traumatiques, sont liés aux guerres passées, d'autres à l'image de soi. Quand on s'intéresse à la résilience, il s'agit de voir avec la personne ce qui reste possible malgré tout. Le grand âge et les maladies qui l'accompagnent ne doivent pas être synonymes de mort. Rencontrer les familles nous éclaire aussi sur ce que l'on peut mettre en oeuvre pour les patients. Et l'on se rend très souvent compte que soutenir, aider, accompagner les familles a un effet extrêmement bénéfique pour les patients.

Vous faites partie du groupe Éthique et vieillesse au sein de l'Espace éthique de l'AP-HP. Comment définiriez-vous une approche éthique de l'accompagnement des personnes âgées ?

Agir en fonction du souci profond d'autrui, et tenter de voir ce que l'autre essaie peut-être de nous dire dans son comportement, quand les mots viennent à manquer. Le groupe Éthique et vieillesse permet de réfléchir aux questions qui se posent aux patients et aux soignants en gériatrie, et de se concerter sur ce qui peut être proposé. Même si nous faisons face à un problème de moyens, nous pouvons déjà considérer celui qui est vieux et malade, avec tous ses problèmes, comme un être humain avec ses faiblesses, mais aussi avec toutes ses ressources à découvrir. L'ambition est que les personnes âgées, même très malades, ne soient pas laissées de côté.

Ce groupe s'intéresse de près aux personnes âgées souffrant de la maladie d'Alzheimer...

C'est l'une des raisons de sa création. Ses travaux ont permis de mettre en place, entre autres, la Charte Alzheimer. Nous sommes convaincus qu'une personne atteinte de cette pathologie garde des capacités de communication. La maladie d'Alzheimer est surprenante parce qu'elle laisse subsister des moments de lucidité, qu'il faut faire en sorte de ne pas rater.

Et quand les désordres sont très prononcés, on essaie de comprendre ce que la personne essaie de nous dire à travers ses troubles. A-t-elle faim, froid, mal, peur ? On arrive souvent à comprendre, et cela apporte un certain apaisement aux patients, aux familles et aux soignants. Au moment où mon poste a été créé, les équipes réclamaient de l'aide, car il est très dur de voir quelqu'un pleurer, crier ou être emmuré dans un mutisme désespéré, et de se sentir impuissant.

Enfin, l'humour, les capacités de rêverie, la réflexion sur le sens de la vie dans une approche de spiritualité religieuse ou laïque, l'importance des liens affectifs, le soutien des soignants... tout ce qui fait qu'on se sent exister peut aider la personne âgée à retrouver confiance en elle. Plus on parlera des moments d'échange possibles avec les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, moins la société sera effrayée par cette maladie.

Bernadette Le Nouvel Psychologue clinicienne

Avant d'exercer à l'Équipe mobile d'accompagnement et de soins palliatifs (Emasp) du groupe hospitalier Broca-La Rochefoucauld (Paris), Bernadette Le Nouvel a beaucoup travaillé auprès de malades du sida sans abri. Elle a suivi des études très diversifiées (psychopathologie clinique, ethnopsychiatrie, science des religions...) et continue à « étudier en travaillant », tout en menant une activité de formation.