L'Infirmière Magazine n° 247 du 01/03/2009

 

l'institut montsouris

24 heures avec

Réalimenter, rompre l'isolement et l'obsession du poids, fixer des règles... À l'Institut mutualiste Montsouris, à Paris, une unité d'hospitalisation aide les jeunes patients anorexiques à retrouver un équilibre.

Pour Aline Ferriot, ce matin, la journée commence à 7 h 30. Arrivée à l'Institut mutualiste Montsouris, l'infirmière prend un temps de transmission avec ses collègues de nuit, s'informe des soins à effectuer. Elle commence sa tournée matinale, avec, déjà au programme, trois prises de sang et deux pesées à réaliser au réveil de ses patients. Nous sommes au service de psychopathologie de l'adolescent et du jeune adulte, dirigé par le Pr Maurice Corcos. Les lieux s'apparentent à une sorte de grand bateau carré : deux couloirs circulaires entourent le patio vitré et desservent les deux ailes, où se trouvent les chambres. Déployé sur trois étages, le service compte trente lits de long séjour, une unité d'hospitalisation d'urgence et un hôpital de jour.

L'infirmière frappe à la porte de la chambre d'une adolescente, et la réveille doucement. En principe, la pesée a lieu une fois par semaine. Parfois deux, lorsque l'on pense que la patiente a perdu du poids : c'est le cas ce matin. L'anorexie impose à l'équipe une vigilance méticuleuse. Les infirmiers de nuit ont soit coupé l'eau dans la salle de bain attenante, soit verrouillé la porte d'accès : certaines adolescentes anorexiques sont potomanes, buvant de façon excessive pour éliminer, gonfler leur estomac, ou s'alourdir la veille d'une pesée. Aline Ferriot mesure les constantes de sa patiente avant d'accompagner une autre jeune fille, à jeun, à l'échographie.

Repas thérapeutiques

Dans la salle à manger, le petit-déjeuner commence. Les soignants participent aux repas, qui font partie de la thérapie. Quelques rares garçons, une majorité de filles, de 12 ans et demi à 19 ans. Certaines portent une sonde naso-gastrique, afin de les renutrir. « Depuis mon arrivée, observe Aline Ferriot, les soins se sont technicisés et spécialisés. Par exemple, la pose de cette sonde est protocolisée, encadrée par une surveillance radio qui permet de la placer à la bonne hauteur dans l'estomac pour ne pas gêner la patiente. L'évolution des soins ces dernières années me paraît très positive. Par contre, elle nous demande plus de temps. »

Le service, longtemps axé sur une approche fortement psychanalytique, s'est ouvert à d'autres techniques médicales avec l'arrivée du Dr Nathalie Godart à la tête de l'unité d'hospitalisation de long séjour. « Nous avons affiné notre travail de soins, confirme Philippe Renevey, infirmier depuis quinze ans dans le service. Nous avons échangé avec d'autres lieux de prise en charge (comme le service de Jean-Claude Melchior à Garches), qui nous ont enseigné d'autres manières de renutrir et une surveillance plus serrée, qui nous permettent d'être plus proches des patients au niveau somatique. » L'IMM, centre de recherche universitaire, se voit adresser de nombreux patients anorexiques en échec thérapeutique, et parfois des patientes plus en difficulté, qui relèvent des soins intensifs et de la réanimation. Si le souhait est d'accueillir tous types de pathologies, la réputation d'excellence du service fait que les trente lits sont parfois exclusivement occupés par des patients souffrant d'anorexie mentale.

« Du mouvement ! »

À 9 h 15, un « flash » réunit médecins et soignants pour la transmission. Puis les ateliers commencent. Menés par les soignants, ils s'adressent à tous. Certains sont ponctuels et font participer un intervenant extérieur (photographie, marionnettes, clown, gravure...), d'autres sont réguliers (écriture, théâtre, massage, sport...). Philippe Renevey anime depuis dix ans le groupe « actualité » de façon collégiale, avec ses collègues infirmiers et une art-thérapeute : les jeunes regardent les journaux pendant vingt minutes, un sujet émerge - aujourd'hui, les élections américaines - et le débat s'anime. « La méthode de soin pour ces ados isolés dans leur vie sociale, familiale, amicale, affective et qui se mettent en danger à l'extérieur, c'est de les immerger dans notre contexte institutionnel, explique Philippe Kania, cadre infirmier. Avec plein d'intervenants, plein de mouvement, plein de vie. »

Le matin se déroulent également les entretiens individuels et familiaux. Ce jour-là, un trio référent composé d'un interne, d'un médecin et d'un infirmier accueille une jeune fille admise dans le service. Ici, un infirmier référent s'occupe de deux à quatre adolescents, qu'il suit pendant toute la durée de son séjour. La patiente est reçue avec ses parents, en présence de l'assistante sociale. « L'entretien d'accueil est un moment très fort pour les adolescentes, détaille Noël La Paglia, infirmier, parce qu'on y établit leur engagement de sortie via le contrat de poids, sur lequel elles bloquent quasi systématiquement. » Toute hospitalisation commence par une phase de « séparation ». Plus limitée dans le temps pour certains troubles, elle se détermine pour l'anorexie mentale par le « contrat de poids » négocié entre le médecin, l'adolescente et sa famille. Un poids idéal de sortie est défini, un poids intermédiaire signe la levée de la séparation : pour cette jeune fille pesant 30 kilos à son entrée, si l'on estime que pour reprendre une vie normale à l'extérieur elle devra reprendre 20 kilos, son poids intermédiaire sera 40 kilos. Jusque-là, elle ne recevra ni visites, ni courriers, ni coups de téléphone.

Séparation nécessaire

La première étape, incontournable et difficile, est de sevrer le sujet de sa conduite addictive et donc de faire, sobrement et techniquement, de la médecine. « On ne peut travailler à élaborer la question de la dépendance avec un alcoolique, ou avec un jeune sous crack ou sous héroïne, explique le Pr Corcos. On ne peut travailler avec une anorexique qui pèse 25 ou 30 kilos, parce qu'elle ne peut pas penser, fantasmer, travailler psychiquement avec son corps de la même manière qu'avec un corps équilibré. Une période de séparation est toujours peu ou prou nécessaire, quelle que soit la pathologie. Nous avons besoin de voir le patient seul, séparé un temps non seulement de son environnement parental, mais aussi des amis, de l'école... »

La négociation autour du contrat de poids est collégiale. Le poids à atteindre est calculé en fonction de l'indice de masse corporelle. La dangerosité est appréciée en fonction de critères objectifs, comme des prises de constantes alarmantes (tension faible, pulsations faibles, électrocardiogramme perturbé, bilan sanguin mauvais...) : « C'est toujours difficile à entendre pour elles, parce que ce poids fixé leur paraît impossible à atteindre, pointe Noël La Paglia. Cet engagement est souvent vécu comme une contrainte, et certaines patientes chercheront régulièrement à le renégocier. » L'infirmier, qui a assisté à l'entretien, se retrouve ensuite avec la famille pour remplir le dossier, puis les conduit dans la chambre où l'adolescente s'installe. Le cadre infirmier les rejoint pour la fouille réglementaire des effets personnels. La famille quitte le service. Elle pourra prendre des nouvelles par téléphone chaque jour, venir rencontrer les infirmiers et apporter des effets personnels à la jeune fille.

« D'humain à humain »

Après le premier repas, pris en commun, on invite la jeune fille à se servir, et on observe ce qu'elle peut manger. Un repos suit le déjeuner. Sauf contre-indication, les chambres restent ouvertes en journée lorsque l'adolescent tend à s'isoler : « On l'incite à participer aux activités, explique Philippe Kania. On n'acceptera pas qu'il se retire souvent dans sa chambre pour dessiner seul, par exemple. » Les anorexiques ont aussi tendance à courir des marathons dans les couloirs circulaires du service pour se dépenser et brûler des calories : « Elles peuvent aussi se replier sur leur hyperactivité et leur obsession dans leur chambre en faisant de la gym... On aménage des temps de repos en début d'après-midi, dans les chambres en présence d'un infirmier, pour qu'elles se reposent vraiment. La tendance de l'anorexique étant l'hyperactivité et le contrôle permanent, le manque de "lâcher-prise". » Après de nouveaux ateliers d'après-midi, un temps de sortie libre est accordé entre 16 h 30 et 18 h 30, pour les patients dont la séparation est levée. Suivant les prescriptions, ils sortent seuls, accompagnés des parents ou à plusieurs.

Tous les infirmiers sont venus travailler ici pour la richesse des échanges en équipe, la diversité des modes de prise en charge : « On acquiert des compétences et une richesse qui nous permettent d'accéder à beaucoup d'autres lieux d'exercice », note Philippe Kania avec fierté. « Je souhaitais un contact d'humain à humain et pas seulement avec une pathologie, commente Noël LaPaglia. C'est ce que je trouve difficile aussi, justement ! Ce qui se passe avec les patients peut nous renvoyer à notre propre vécu et il s'agit de ne pas plonger dans l'affect. Or, c'est précisément ce que les adolescents cherchent à obtenir. »

La vie d'un groupe

Le soignant se retrouve parfois confronté à des moments difficiles et son travail consiste à maintenir le cadre : une scène d'automutilation dans une chambre par une ado qui provoque, des tocs extrêmement invalidants, ou ce jeune qui, chez lui, ne voulait plus sortir de sa chambre depuis des mois. La dimension de groupe est quelquefois déroutante : « La diversité des symptômes donne une vie de service extrêmement riche et lorsqu'il n'y a que des patientes anorexiques, il est extrêmement difficile de dynamiser le groupe, parce qu'elles vont toutes dans le même sens », remarque Philippe Renevey. L'infirmier utilise une image pour illustrer ce qui se passe dans l'anorexie, où l'on a tellement envie des choses que l'on s'en prive. Celle d'un séjour où il accompagnait un groupe d'adolescentes : « C'était fin septembre, on était au bord de la Méditerranée, à Collioure, à la terrasse d'un café. On venait de marcher agréablement pendant des kilomètres. Le serveur est venu commander, personne ne se décidait. Il n'était pas question de boire, de se faire plaisir... Ce qui aurait dû être tellement naturel était bloqué. Parfois, c'est ce qui se produit dans notre service. »

Le repas du soir a lieu à 18 h 45. La soirée s'étire ensuite, ponctuée entre 22 et 23 heures par un « petit lait » dans le bureau de l'équipe de nuit, qui accueille les jeunes souhaitant les rejoindre.