L'Infirmière Magazine n° 247 du 01/03/2009

 

établissements

Enquête

À cinquante ans, les CHU se préparent à un sérieux lifting : responsables des hôpitaux et pouvoirs publics s'accordent sur la nécessité d'une réforme. Ils en ont évoqué les contours lors des dernières Assises hospitalo-universitaires, à Lille.

Les ordonnances Debré de décembre 1958, qui ont donné naissance aux centres hospitalo- universitaires (CHU), ont bien besoin d'être dépoussiérées. Depuis longtemps, leurs responsables - directeurs généraux, présidents de commission médicale d'établissement (CME) et doyens de facultés de médecine - revendiquent une reconnaissance des « spécificités des CHU ». Finalement, le chantier est engagé.

La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) devait être examinée à l'Assemblée nationale fin février ou début mars, et la commission pilotée par Jacques Marescaux (1) devait présenter ses premiers travaux sur la réforme spécifique des CHU mi-février. Un calendrier aussi serré permettra-t-il de prendre en compte toutes les voix qui cherchent à se faire entendre sur le sujet ? Les dirigeants des CHU, qui tenaient en décembre leurs assises bisannuelles à Lille, ont réfléchi aux nouveaux contours que pourraient prendre, demain, les centres hospitalo-universitaires.

Changement d'échelle

Sur le plan territorial, d'abord. Les conférences des directeurs généraux, présidents de CME et doyens souhaitent que les CHU puissent faire établir des conventions avec toutes les communautés hospitalières de territoires qui pourraient couvrir leur bassin de population, et pas seulement d'une seule comme le prévoyait le projet de loi HPST, car il faut « reconnaître les rôles de recours et d'enseignement des CHU au niveau régional », au-delà de l'échelon territorial, estiment les conférences. Elles promeuvent aussi le conventionnement entre CHU, voire certains regroupements afin d'atteindre plus souvent la taille critique et la cohérence nécessaires pour que ces établissements tiennent leur place dans la « compétition » internationale en matière de recherche, notamment. Les conférences proposent donc de mettre en place des directoires au sein des unions interrégionales hospitalo-universitaires. La loi HPST devrait aussi remanier profondément le mode de management des CHU, par exemple en valorisant davantage le rôle de manager des directeurs généraux, mais aussi en accentuant l'autonomie des pôles.

Décision plus collégiale

En matière de communication entre pôles et directions, « peut mieux faire », a résumé le Dr Sylvia Benzaken, présidente de la CME du CHU de Nice. Pour le Pr Luc Barret, son homologue à Grenoble, cette communication peut prendre diverses formes : participative ou délibérative. Mais selon lui, « il est illusoire et même contre-productif de créer un collège des responsables de pôles » car « le risque est de voir se constituer un collège "hors CME" qui pourrait devenir un contre-pouvoir face au président de CME » qui, lui, est élu. Des réunions plénières régulières entre les uns et les autres lui semblent préférables. À Nancy, les responsables de pôles ont demandé à être davantage associés aux décisions et mieux informés. Ils ont obtenu d'être prévenus de l'ordre du jour du conseil exécutif et de rencontrer le président de la CME avant qu'il se réunisse, de recevoir un compte rendu succinct tous les trois mois. Et le conseil exécutif leur est élargi dans sa seconde partie. Au niveau des pôles, « les responsables devront s'habituer à une plus grande collégialité de décision, avec les soignants », a déclaré un participant de la vaste table ronde sur la médicalisation de la décision.

Répartition des tâches

Ce rapprochement des professionnels au niveau de la décision devrait fait écho, sur le plan des soins, au développement de la « collaboration entre professionnels » (on ne dit plus « transfert de compétences » ni « délégation de tâches »), annonciatrice de l'émergence de nouveaux métiers. Au chapitre de ce qu'ils estiment constituer des prérequis à cette collaboration, les responsables des CHU proposent à leur tour la suppression des décrets d'actes professionnels paramédicaux et leur substitution par une définition des missions des professionnels soignants. Un certain nombre de pratiques seraient toujours exclues de leur champ de compétence et réservées aux médecins. Des règles déontologiques seraient définies par les ordres et associations professionnelles des paramédicaux, et appliquées. Attention cependant à ce que « collaboration » ne rime pas automatiquement avec « transfert de charge de travail » et que la rémunération des professionnels concernés tienne compte de leur engagement dans cette démarche. D'où la nécessité de revoir le statut des agents, notamment des infirmières, dans le secteur public.

Autre corollaire de cette collaboration : l'universitarisation de la formation des professionnels de santé. En déclinant les objectifs généraux et spécifiques des différentes étapes de formation des soignants à l'université, Jean-Pierre Farcet, doyen de la faculté de médecine de Paris 12, au nom des conférences, a indiqué que le système LMD offrirait plus de fluidité et de mobilité disciplinaire et qu'il permettrait d'adapter le contenu de la formation aux besoins. Selon lui, « le cadre universitaire doit contribuer à assurer le continuum de qualification entre la formation médicale longue et celle des auxiliaires médicaux, bien plus courte », mais aussi « la synergie des professionnels pour une offre de soins de qualité et organisée » ainsi que l'évolution des carrières. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, s'est d'ailleurs engagée à Lille à ce « que les premières générations d'infirmières sortent dans trois ans » des premières formations universitaires. « Tout sera bouclé au premier semestre de 2009 », a-t-elle précisé.

Effets pervers ?

En revanche, inutile de se lancer dans la collaboration entre professionnels dans un objectif d'économies financières, tempère le Pr Mireille Elbaum, professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Même si son enjeu est « incontestablement économique en termes d'efficacité, assure-t-elle, l'impact financier à en attendre est extrêmement limité » et l'effet inverse peut même être constaté dans les premiers temps. Les collaborations interviennent en effet dans un contexte caractérisé par un « clivage très fort entre professionnels, en particulier entre les médecins et les autres soignants », sur le plan fonctionnel et statutaire, et elles ne se traduisent pas par un transfert automatique du temps des uns vers celui des autres. De plus, il faut veiller, estime-t-elle, au risque de délégation en cascade, qui aboutirait à une impasse, et au fait que ces collaborations ne doivent pas se résumer à une simple substitution mais ouvrir la voie à une diversification des modes de prise en charge et au développement de nouveaux métiers. Mireille Elbaum insiste également sur le fait que pour être efficace, cette nouvelle répartition des tâches doit être vécue comme un progrès...

Enfin, ajoute-t-elle, « on ne peut concevoir les nouvelles coopérations comme le moyen de répondre simplement et mécaniquement au problème démographique » médical sans prendre en compte l'évolution de la demande de soins et le problème de la répartition des ressources médicales...

Défi démographique

Mais pour qu'il y ait collaboration, encore faut-il qu'il y ait des médecins : les conférences proposent d'étudier la situation démographique sous l'angle de la réorganisation du secteur hospitalier et d'une meilleure répartition des médecins sur le territoire : le manque de lits en soins de suite « coûte cinq millions de journées d'hospitalisation et 2,5 milliards d'euros aux hôpitaux, au détriment de la prise en charge des patients aigus », a indiqué le Pr Claude Girard, président de la CME du CHU de Dijon. D'autant qu'il faut éviter l'écueil du développement de deux médecines : une réalisée par les médecins eux-mêmes et une autre par les professions paramédicales, par délégation...

Potentiel infirmier

Pour le professeur Yvon Berland, président de l'université de Méditerranée et de l'Observatoire national des professions de santé (ONDPS), la prise en charge des patients doit en effet reposer autant sur le corps médical que sur le potentiel infirmier, dont la croissance prévue est très forte : le nombre d'infirmières passerait de 450 000 aujourd'hui à 800 000 en 2020, selon ses projections. D'autant que les expérimentations menées et suivies par l'ONDPS et la Haute Autorité de santé montrent que « le temps consacré par les paramédicaux permet une meilleure prise en charge des patients ».

Les conférences des responsables de CHU souhaitent également faire évoluer la formation des praticiens. Ils préconisent de multiplier les plateformes d'apprentissage médical par simulation, en complément des autres techniques, dans le cadre de la formation initiale mais aussi continue, ainsi que de l'évaluation des médecins. Ils insistent toutefois sur la nécessité de faire conserver au tutorat une place de choix dans la formation des médecins et envisagent à présent que des établissements privés, labellisés « HU », puissent accueillir des étudiants en stage « en cas de carence des possibilités d'accueil » dans le secteur public interrégional.

Les conférences proposent par ailleurs de donner plus d'ampleur à l'utilisation des techniques télématiques (télémédecine, prescription informatique, aide à la décision, réalisation d'examens à distance) ou domotiques (home tests...) comme facteurs pouvant « assurer les soins sur l'ensemble du territoire à partir d'équipes médicales regroupées ».

Pistes à l'étude

Territoires, management, formation, collaboration entre professionnels... les dirigeants des CHU seront-ils entendus ? Le Pr Arnold Munnich, conseiller du président de la République (lire ci-contre) les en a assurés et il a évoqué plusieurs pistes d'évolution. Mais Roselyne Bachelot, venue à Lille pour ces assises, n'a pas vraiment apporté de réponse aux souhaits des hospitalo-universitaires. Elle a seulement confirmé qu'elle souhaitait, par la loi HPST, renforcer les pouvoirs du chef de pôle et mettre en place une « gouvernance centrée sur les soignants » puisque les membres du futur directoire des établissements seront majoritairement des médecins, que son vice-président sera le président de la CME et que les directeurs de soins en seront membres de droit.

En attendant, les prochaines semaines permettront de voir se préciser les pistes que pourra emprunter la réforme des CHU. Le rapport final de la commission Marescaux est en tout cas attendu pour le mois d'avril.

1- Chirurgien, président et fondateur de l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (Ircad) des hôpitaux universitaires de Strasbourg.

témoignage

L'OREILLE DU PRÉSIDENT

Conseiller de Nicolas Sarkozy pour la santé, le Pr Arnold Munnich a assuré que les propositions des conférences hospitalo-universitaires seraient entendues. Sans présager des travaux de la commission Marescaux, il a évoqué quelques pistes de réflexion comme la faisabilité de la triple mission des CHU (soins, enseignement, recherche), la convergence parfois problématique des logiques hospitalière et universitaire, mais aussi la question de l'évaluation des CHU et des indicateurs qui seraient pertinents en la matière. « Comment prendre en compte également la participation des CHU à la croissance et à l'emploi ? s'est-il interrogé. Les CHU ne sont pas seulement une source de dépenses, mais aussi de recettes ! » Selon Arnold Munnich, la gestion des carrières devra en outre inciter les professionnels, surtout médecins, à plus de mobilité, grâce à la contractualisation. En matière de gouvernance, il aspire à plus de « lisibilité » et à « investir les pôles d'une valence de recherche et d'enseignement de manière contractuelle ». S'il prône lui aussi le regroupement d'hôpitaux en faveur de l'efficience et de la qualité des soins, il n'exclut pas d'y associer des établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH).