L'Infirmière Magazine n° 247 du 01/03/2009

 

gastro-entérologie

Conduites à tenir

Si les hémorroïdes sont fréquentes chez l'adulte, d'autres pathologies peuvent en présenter certains symptômes (douleur, saignements...). La prise en charge infirmière associe, entre autres, des mesures antalgiques et hygiéno-diététiques.

PATHOLOGIE HÉMORROÏDAIRE

La pathologie hémorroïdaire concerne une grande partie de la population : elle touche environ 40 % des adultes. Elle est en partie d'origine héréditaire.

Les hémorroïdes résultent classiquement d'une hypertrophie des plexus veineux sous-muqueux entourant le canal anal. En fait, la dysplasie est autant artériolaire et capillaire que veineuse. En fonction de leur situation par rapport à la ligne pectinée (ou valvulaire), on distingue les hémorroïdes internes sus-pectinéales, dont le diagnostic se fait par anuscopie (et non par le toucher rectal), et les hémorroïdes externes sous-pectinéales, visibles à l'inspection de la marge anale.

Pathologies liées aux hémorroïdes internes

Les hémorroïdes internes sont les plus symptomatiques et donnent lieu à trois types de manifestations : les rectorragies, la procidence, la thrombose hémorroïdaire interne.

Rectorragies. Les rectorragies hémorroïdaires se caractérisent par l'émission de sang rouge, rutilant, au moment des selles, arrosant la cuvette ou coulant goutte à goutte. L'hémorragie n'est jamais importante. Ces hémorragies ne sont pas liées à la rupture des plexus veineux, mais à la rupture des vaisseaux capillaires de la muqueuse recouvrant les hémorroïdes. Ces rectorragies surviennent de façon intermittente à l'occasion d'une poussée congestive avec anite hémorroïdaire aiguë pouvant être déclenchée par les épices, l'alcool, la période menstruelle, la grossesse, la constipation. Lors de l'examen proctologique, il est toujours difficile d'affirmer que les hémorroïdes sont la cause des rectorragies. La survenue de rectorragies impose la recherche d'une autre cause de saignements, rectaux ou sygmoïdiens, et en particulier un polype ou un cancer.

Prolapsus hémorroïdaire ou procidence. La laxité du tissu conjonctif sous-muqueux périhémorroïdaire explique que les hémorroïdes internes puissent se prolaber dans le canal anal et même s'extérioriser par l'anus (cf. figure 1). Les hémorroïdes apparaissent sous l'aspect de tuméfactions molles rougeâtres. La procidence peut être de degré variable, s'extériorisant uniquement au moment des efforts de défécation, ou permanente. Celle-ci peut alors être source de suintement tachant le linge, ou de prurit anal.

Thrombose hémorroïdaire interne. Elle n'existe qu'en cas de procidence. Elle est liée à l'étranglement d'un bourrelet hémorroïdaire interne procident, et donne lieu à une tuméfaction extrêmement douloureuse qui doit être traitée rapidement.

Traitement. Le traitement des hémorroïdes est de trois types : médical, instrumental ou chirurgical.

Traitement médical. Il associe des mesures générales hygiéno-diététiques (suppression des épices et de l'alcool, régularisation du transit intestinal) et des mesures locales (suppositoires et pommade anti-hémorroïdaire).

Traitement instrumental. Il comprend la photocoagulation aux infrarouges par réalisation d'impacts de brûlure au pole supérieur des hémorroïdes, la ligature élastique par mise en place d'un anneau de caoutchouc étranglant une hémorroïde procidente, éventuellement complétée par la cryothérapie à l'azote liquide nécrosant un paquet hémorroïdaire.

Traitement chirurgical. Il correspond à l'excision, sous anesthésie, d'un paquet isolé à 5 heures (par référence au cadran horaire en position genupecturale), ou habituellement de trois paquets avec dissection soigneuse (non circulaire) selon la technique britannique de Milligan et Morgan (1). L'hospitalisation dure quelques jours et les suites sont habituellement simples. L'importance des douleurs postopératoires de la technique classique conduit à lui préférer la technique de Longo (2 ) par agrafage en amont des plexus hémorroïdaires. Les suites opératoires sont alors plus simples.

Indications

Traitement symptomatique au cours des poussées hémorroïdaires. Le traitement médical des hémorroïdes a pour objectif la disparition ou la réduction des symptômes (en termes d'intensité, de durée et/ou de fréquence). Un traitement médical doit être proposé en première intention, devant des hémorroïdes internes dont les symptômes sont des rectorragies isolées. La place des traitements locaux (utilisation du froid, bains de siège, anesthésiques locaux, topiques comportant un prokinétique ou un veinotonique) n'est pas évaluée.

Il ne paraît pas opportun d'utiliser les laxatifs locaux dans les périodes symptomatiques de la maladie hémorroïdaire. De même, il n'existe pas suffisamment de preuves des bénéfices à attendre de l'utilisation des topiques locaux au cours de la maladie hémorroïdaire externe ou interne. L'emploi de médicaments locaux tels la Titanoréïne® (oxyde de zinc) en crème ou suppositoire est mal codifié dans la prise en charge des poussées hémorroïdaires.

Le traitement par voie générale doit être de courte durée. Si les symptômes ne cèdent pas rapidement, un examen proctologique doit être pratiqué et le traitement doit être réévalué.

Antalgiques périphériques. Les antalgiques périphériques sont efficaces sur les douleurs de la thrombose hémorroïdaire externe et interne.

Anti-inflammatoires. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont efficaces sur les douleurs de la thrombose hémorroïdaire interne ou externe. Ils peuvent être prescrits en association à des laxatifs (mucilages, osmotiques, lubrifiants). La prise d'aspirine est déconseillée en cas de manifestations hémorroïdaires (douleurs, prolapsus, saignement).

Traitement de fond. Le seul traitement médical justifié au long cours pour éviter la survenue des récidives est la correction des troubles du transit.

La prescription d'un mucilage et/ou l'augmentation de la ration quotidienne en fibres alimentaires sont conseillées pour le traitement à moyen terme des symptômes de la maladie hémorroïdaire interne (essentiellement la douleur et les saignements) et pour leur prévention.

Un traitement instrumental ou chirurgical pourra être associé, notamment en cas d'échec de cette première étape. Des injections sclérosantes sont parfois nécessaires en trois séances à huit jours d'intervalle.

Une procidence intermittente peut être traitée par ligature ou cryothérapie ; elle doit être opérée lorsqu'elle devient permanente. Une thrombose hémorroïdaire interne peut être traitée localement par anti-inflammatoire et réintroduction au doigt, mais le plus souvent, une incision ou une excision sont nécessaires.

Pathologie liée aux hémorroïdes externes

Les hémorroïdes externes se situent juste au niveau de la marge anale. Elles se manifestent exclusivement par une complication fréquente : la thrombose hémorroïdaire externe (cf. figure 2). Celle-ci se caractérise par l'apparition brutale d'une tuméfaction bleutée douloureuse, liée à la formation d'un caillot (qui est plus un hématome qu'un vrai thrombus) entouré d'une réaction oedémateuse plus ou moins importante. La thrombose hémorroïdaire externe est, avec la fissure, la grande cause de douleur anale aiguë.

L'évolution spontanée s'oriente en quelques jours vers la résorption du caillot ou son élimination transcutanée, laissant persister un petit lambeau cutané trop lâche, plissé : la marisque, qui est souvent qualifiée, à tort, d'hémorroïde externe.

Le traitement médical par pommades anti-inflammatoires peut suffire lorsque la thrombose est peu douloureuse. Lorsqu'elle est trop douloureuse, on pratique, après anesthésie locale, l'incision de l'hémorroïde qui permet l'évacuation du caillot et le soulagement immédiat de la douleur.

En cas d'oedème prédominant, des anti-inflammatoires sont indiqués.

FISSURE ANALE

La fissure anale se traduit par une ulcération longitudinale du segment sous-pectinéal du canal anal. Cette lésion semble liée à une déchirure provoquée par l'émission de selles dures, et entretenue par l'ischémie secondaire à l'hypertonie du sphincter anal. La fissure donne lieu à des douleurs vives typiques en trois temps, d'abord à la défécation, s'atténuant ensuite, avant de reprendre quelques minutes plus tard. Lorsque la fissure est récente, la douleur peut être très intense. La fissure s'accompagne d'une contracture du sphincter anal qui rend l'examen proctologique très pénible et peut nécessiter une anesthésie locale. Le diagnostic de fissure se fait, le plus souvent, par inspection de la marge anale en déplissant les plis radiés.

Traitement conservateur

Le traitement symptomatique de la douleur associée aux fissures anales chroniques repose sur une régularisation du transit et un ramollissement des selles par des mesures hygiéno-diététiques (boissons abondantes, alimentation riche en fibres). Des bains de siège chauds peuvent être proposés pour soulager les patients.

En cas d'échec, un traitement à base de topiques locaux (dérivés nitrés, diltiazem, toxine botulique) peut être proposé pour diminuer l'intensité de la douleur. Cependant, en France, seul le trinitrate de glycéryle (Rectogésic®) 4 mg/g, pommade rectale, a obtenu l'autorisation de mise sur le marché. Il a montré une efficacité faible sur l'intensité de la douleur mais aucun effet sur la cicatrisation. Ce traitement peut également être associé à des injections sclérosantes sous-fissuraires (2 ou 3 gouttes de quinine-urée) qui permettent de soulager la douleur.

Traitement chirurgical

Si la cicatrisation n'est pas obtenue dans un délai de quatre semaines, l'évolution vers la chronicité est probable ; il faut donc envisager un traitement chirurgical qui consistera en une excision de la fissure, une sphinctérotomie interne postérieure, et le plus souvent une anoplastie par abaissement d'un peu de muqueuse rectale dans le lit de la fissure sur le sphincter interne sectionné.

ABCÈS ET FISTULES ANALES

Les trajets fistuleux de la région anale sont toujours l'aboutissement d'abcès à point de départ interne cryptique, donc à partir des replis valvulaires de la ligne pectinée. Ces trajets peuvent être courts, sous-muqueux, donnant lieu à une abcédation sous forme d'une fissure infectée dans la région sous-pectinéale. Ils sont surtout transphinctériens, ou même suprasphinctériens, ou encore complexes. Ils donnent lieu à la phase aiguë, à des abcès de sièges variables, toujours très douloureux, parfois évidents, avec masse rouge luisante, souvent masqués, s'évacuant dans un deuxième temps par un orifice externe cutané.

Plusieurs données sont indispensables pour comprendre le traitement. Il n'y a pas de fistule borgne interne et l'origine interne cryptique doit toujours être retrouvée, au besoin par injection de bleu de méthylène ou fistulographie lipiodolée. Ces abcès ne guérissent jamais spontanément et il faut toujours mettre à plat la totalité du trajet jusqu'à l'orifice si l'on veut obtenir une guérison définitive. Il convient bien sûr de respecter l'appareil sphinctérien et cette mise à plat peut se faire grâce à une section lente par fil élastique en traction.

PRURIT ANAL

Le prurit anal, ou démangeaison, est une plainte fréquente des patients. Sa chronicité est souvent désespérante. Chez l'enfant et quelquefois chez l'adulte, le prurit anal est en rapport avec une oxyurose. Son diagnostic repose sur la recherche des oeufs d'oxyures sur la marge anale par scotch-test. Dans certains cas, le prurit anal est lié à une lésion dermatologique de type eczéma ou une candidose. Dans quelques cas, il existe une affection anorectale associée (fissure, fistule, hémorroïde procidente).

Le traitement de celle-ci est systématique mais ne suffit pas toujours à faire disparaître le prurit. Le plus souvent, le prurit apparaît essentiel. Il faut alors recommander aux patients d'éviter tous les facteurs irritants, en particulier l'usage de savons trop détersifs. L'important est de toujours bien débarrasser, par un rinçage soigneux, la peau de la marge anale des particules de selles qui jouent le rôle irritant. Le grattage entraîne souvent des lésions suintantes qu'il convient d'assécher à l'aide de bains de siège au permanganate (0,5 g pour 10 litres d'eau).

L'application de crèmes corticoïdes permet de soulager le prurit et de traiter l'inflammation.

CANCER DE L'ANUS

Le cancer du canal anal est un cancer développé aux dépens de la marge anale ; c'est un cancer épidermoïde beaucoup plus rare que le cancer du rectum, qui est un adénocarcinome.

Il se révèle par des rectorragies ou par des douleurs. Le motif de la consultation peut être aussi la sensation de masse anale. Paradoxalement, le diagnostic est fait souvent tardivement car les patients ont trop souvent tendance à rapporter ces manifestations à de simples hémorroïdes. Le diagnostic est affirmé par la biopsie.

Le traitement dépend de l'extension de la tumeur. Dans les formes limitées, on se contente d'une radiothérapie, ce qui permet de conserver le sphincter anal. Dans les formes plus évoluées, ou dans les récidives après radiothérapie, on est contraint de recourir à l'amputation de l'anus et du rectum avec colostomie définitive.

1- Technique de Milligan et Morgan :

- exérèse des trois paquets hémorroïdaires principaux ;

- ligature haute de leur pédicule vasculaire ;

- plaies laissées ouvertes ;

- cicatrisation en trois à six semaines.

2- Technique de Longo :

- réduction du prolapsus muqueux ;

- repositionnement de la muqueuse anale ;

- interruption des branches terminales de l'artère hémorroïdaire supérieure.