Santé mentale
Éthique
Récemment, un colloque tenu à l'Espace éthique méditerranéen, à Marseille, relançait le débat autour du risque en psychiatrie, un enjeu de soin mais aussi de société.
« La psychiatrie peut-elle travailler en zone démilitarisée ? » C'est sur ce ton quelque peu sarcastique que le philosophe Pierre Le Coz a ouvert le colloque organisé le 30 janvier à l'hôpital de la Timone, à Marseille, sur le risque en psychiatrie. Le discours prononcé le 2 décembre par le chef de l'État à Antony après le meurtre d'un étudiant grenoblois par un patient schizophrène (cf. L'Infirmière magazine n°245, pp. 12-13) transpirait encore dans les différentes interventions.
Alors que Nicolas Sarkozy annonce « la réforme de l'hospitalisation d'office », les professionnels réunis à Marseille s'interrogent sur la stigmatisation actuelle des malades mentaux, et leur propre stigmatisation. « Il est humain de vouloir se prémunir d'un péril, admet Nicole Cano, psychiatre des hôpitaux à Marseille. Mais est-ce dans l'intérêt du patient, de l'institution ou de la société ? »
Analysant la logique de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté, Blandine Richard, docteur en droit de la santé, observe que « le malade mental est vu comme une personne dangereuse dont il faut se protéger ». Or, « les malades mentaux sont essentiellement des victimes avant d'être acteurs de violences. Il ne faut pas confondre maladie mentale et criminalité », avertit pour sa part Daniel Zagury, psychiatre expert à l'EPS de Ville-Évrard (Neuilly-sur-Marne, 93).
Reste néanmoins à évaluer les risques. Pour Denis Bressan, médecin du travail chargé de cours en master d'ingénierie des risques à l'université de Paris 5, « il s'agit d'abord d'un partage. C'est ainsi qu'on optimise les précautions et la prudence ». Le dialogue entre professionnels est d'autant plus crucial que « le risque est fonction de celui qui le perçoit », poursuit le médecin. Les intervenants ont donc pointé une série de risques, à commencer par la désorganisation des soins en raison d'une thérapie de secteur qui, d'après le psychanalyste marseillais Jacques Félician, « est en train d'être détruite ».
S'ajoute l'éventuel état dangereux du patient. Certains facteurs y contribuent, comme « les antécédents de violence, l'arrêt du traitement, la prise d'alcool ou de drogues, l'association de troubles de la personnalité et de démence psychotique », observe Daniel Zagury. Pour ce dernier, « le repérage de l'état dangereux se joue surtout sur l'analyse des contre- attitudes induites » chez le patient, mais aussi le soignant. Nicole Cano distingue ainsi les risques liés à la pathologie de ceux impliqués par le soin. Sur ce second aspect, le médecin rappelle que « l'autonomisation du patient renforce l'estime de soi. Mais elle implique un risque ».
À l'heure où la recherche du risque zéro devient un credo, la psychiatre dénonce un recours trop fréquent « à l'isolement, voire au fait d'attacher les patients aux urgences sans qu'il y ait de légitimité tenant à un état clinique ou thérapeutique ». Et Jean-Pierre Leca, psychiatre des hôpitaux à Aix-en-Provence, de conclure : « Vouloir absolument éviter le risque, c'est se rendre incapable d'aller à la rencontre de l'autre, et donc de soigner. »
« Il m'est arrivé d'avoir un patient qui venait d'une unité pour malades difficiles (UMD), confie Émilie Lagarde, IDE dans les Bouches-du-Rhône. Il était agressif, très impressionnant physiquement et présentait un passif de violence. Un soir, en pavillon, nous étions deux jeunes infirmières. Il jouait avec notre autorité. On sentait la tension monter parmi les patients. Nous avons donc décidé d'appeler un homme infirmier sous un autre prétexte. Lorsqu'il est arrivé, il a discuté avec une autre patiente. Sa simple présence a désamorcé la situation. Si tout s'est bien terminé, j'avoue cependant que j'ai eu peur de l'agression physique, voire sexuelle. Le patient en question m'avait déjà menacée.
Même s'il faut s'en dégager, on doit toujours garder en tête un voyant allumé, en particulier face à des patients présentant un passif. Comme ce jour, au début de ma carrière, où je me suis retrouvée seule avec un patient psychotique. Il était très tôt. J'étais fatiguée et mal réveillée. Quand le patient s'est énervé parce que le café n'était pas encore prêt, j'ai réagi aussitôt et je me suis emportée, en oubliant le petit voyant ! Il m'a attrapée violemment... Depuis ce jour-là, je reste vigilante en permanence. »