Comme sur des roulettes - L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009

 

hôpital

Enquête

Avec un simple chariot pour véhicule, l'hôpital d'Arras a opéré un profond virage dans la vie des services... Depuis la mise en place du projet de soin individuel au lit du patient, les infirmières passent cinq fois plus de temps auprès des malades.

Un mètre dix de haut pour un mètre de large et 50 centimètres de profondeur ; pâlichon ; température stable ; fermeture totale... le chariot autour duquel toute l'approche du soin au patient a été repensée au centre hospitalier d'Arras ne paie pas vraiment de mine. À peine si on le remarque dans les chambres au mobilier tout neuf. Il est pourtant l'élément central d'une révolution dans la prise en charge infirmière des patients. La reconstruction de l'établissement (le nouveau bâtiment principal a ouvert en février 2007) a donné lieu, en amont, à une intense réflexion sur l'organisation des soins, jusque dans ses moindres détails.

Autour du directeur des soins, Jean- Michel Dericquebourg, un projet de « soin individuel au lit du patient » a émergé en 2004. « Une étude évaluait que sur la durée d'un poste de travail, une infirmière ne passait que huit minutes auprès du patient », rappelle Valérie Guillemand, cadre supérieure du pôle « Urgences, pharmacie, biologie », qui a mené l'expérimentation du chariot dans son ancien service, en gynécologie. L'étude montrait qu'une infirmière passait beaucoup de temps au poste central de soin en préparation, ou en déplacement entre deux points du service... redonner toute sa place au soin relationnel et plus de temps infirmier au lit des malades a donc été l'objectif du nouveau projet de soin.

Tout sous la main

Un an et demi plus tard, le projet était conçu et le chariot de soin choisi : la première étape d'un grand changement. Une série de tests, d'expérimentations, de formations a suivi. Le jour du déménagement, tout était prêt et deux ans après, il fait littéralement « partie des meubles ». Une surface plane pour préparer les soins, avec un support pour poser le container à objets piquants, coupants et tranchants, une boîte de gants et une tablette escamotable pour noter ce qui est nécessaire. Dessous, se trouvent cinq tiroirs. Le premier contient des compresses, des petites aiguilles à dextro, de quoi faire des frictions, des électrodes, des étiquettes au nom du patient et un stéthoscope, celui qu'utilisent les médecins lors de leur tour. Dans le second : du désinfectant, un garrot, des compresses et du sérum physiologique. Le troisième est dédié à la thérapeutique spécifique du patient : il doit contenir juste ce qu'il faut pour assurer son traitement pendant vingt-quatre heures. Le quatrième contient le linge nécessaire et le dernier les containers à aiguilles (jetés à la sortie des patients), des sacs poubelles, des lingettes désinfectantes, des chiffons et un spray nettoyant. Le tout est fermé par un code : une formule fixe, commune à tous les services, ce qui facilite les éventuels transferts de personnel.

Grâce à ce chariot, les infirmières préparent les soins dans la chambre de chaque patient et non au PC de soin, puisqu'elles disposent sur place de tout ce dont elles ont besoin. De ce fait, « elles passent désormais en moyenne dix minutes toutes les deux heures auprès de chaque patient », estime Valérie Guillemand. Soit quarante minutes sur un poste de huit heures... cinq fois plus que dans le schéma de soins classique ! « C'est une énorme différence », confirme la cadre supérieure. Cela change même tout.

Conversation

« Il a fallu qu'on change notre comportement de soignant, ajoute-t-elle. On fait désormais les soins et les préparations sous les yeux du patient ! » Audrey Travaux, infirmière en surveillance continue, renchérit. Là où autrefois il était impossible d'entamer une vraie conversation, des discussions se nouent facilement. « Les patients sont très intéressés par les soins, souligne l'infirmière. Ils nous demandent : "Qu'est-ce que c'est, cette bouteille, cet appareil ? À quoi servent-ils ?" Ensuite, la conversation s'enchaîne naturellement. » Certains qui restent plus longtemps ont si bien intégré certains gestes qu'ils proposent parfois de s'en charger !

Présente plus longtemps qu'avant dans les chambres, l'infirmière se voit également poser des questions sur les remarques du médecin pendant sa visite, et elle a ainsi la possibilité de reformuler, d'expliquer. « Les patients deviennent plus facilement acteurs de leur prise en charge, résume Valérie Guillemand. On n'a plus du tout le même genre de relation qu'avant ! » Le modèle « patient passif-soignants actifs » est totalement modifié. Même la famille, qu'on ne fait pas systématiquement sortir lors des soins, pose davantage de questions. Les patients et leurs proches commentent également certains gestes des infirmières, ou comparent la façon dont l'une ou l'autre se lave les mains à la solution hydro-alcoolique... « On intervient un peu comme des infirmières libérales, ajoute la cadre. On entre dans la chambre des patients un peu comme à domicile, et on les connaît bien mieux. » Audrey Travaux, quant à elle, apprécie de préparer ses soins en conversant avec le patient « au lieu d'être seule dans le PC de soins ».

Meilleur repérage

Les infirmières développent peu à peu une meilleure connaissance de la personnalité des patients et de leurs conditions de vie. « Cela permet, par exemple, de mettre en relation certains patients avec une assistante sociale pour instaurer un suivi », remarque Audrey Travaux, et de mieux préparer les sorties. Cette présence plus longue et régulière au lit du patient permet aussi aux infirmières d'être plus attentives au comportement des patients... « On remarque plus facilement s'ils sont lucides ou au contraire incohérents, estime l'infirmière. Un jour, je parlais à un monsieur qui n'avait pas l'air d'aller bien : il faisait un accident vasculaire cérébral devant moi ! J'ai passé quinze minutes dans la chambre avec lui et il a été pris en charge très rapidement. » En prenant son temps auprès d'un patient qui dit ne pas avoir mal, elle détecte aussi plus facilement le moindre rictus de douleur lors du soin et « au bout d'un moment, il finit par dire qu'il a mal... » En passant en coup de vent, l'infirmière n'en aurait jamais rien su et le patient aurait souffert en silence.

La sonnette n'en est pas devenue obsolète pour autant, mais son fonctionnement, là aussi, a été modifié. Lorsqu'un patient l'actionne, son appel arrive sur le téléphone portable de l'infirmière, qui le rappelle et lui demande l'objet de sa requête. En fonction du degré d'urgence et des priorités de soins du moment, elle prévient le patient qu'elle passera dans deux, cinq, dix minutes... Ce qui limite à la fois la pression sur l'infirmière et la frustration chez le patient !

La mise en place du chariot de soin et plus généralement du projet de soin individuel au lit du patient « redonne tout son sens au soin infirmier, dans toutes ses dimensions, souligne Valérie Guillemand. Avec les soins en série, les infirmières étaient davantage devenues des techniciennes et on avait négligé le soin relationnel et l'éducation du patient. Aujourd'hui, ils ont repris toute leur place. »

Indispensable rigueur

Cette profonde mutation repose sur une organisation sans faille. Après le tour du médecin, les infirmières préparent au PC de soins ce qui sera nécessaire au traitement de chaque patient pour les prochaines vingt-quatre heures en fonction des prescriptions, des éventuelles modifications que le médecin y aura apporté et de ce qu'il y a déjà dans le chariot de la chambre (ou ce qui y manque). Elles déposent le tout dans les paniers au nom des patients disposés dans un chariot mobile dédié à chaque secteur de soin (dix à quinze lits en général) et donc à l'infirmière qui en est responsable.

Triple filtre

Ce chariot-là (verrouillable lui aussi) l'accompagnera tout au long de la journée. Il lui sert à réapprovisionner le chariot des patients et contient aussi du petit matériel courant, au cas où, pour lui éviter de multiples allers-retours au PC de soins. Le poste de soin central, d'ailleurs, est réduit à sa plus simple expression, et ne contient désormais aucune paillasse ! Il sert tout au plus de zone administrative, de point de « cueillette » et à peine de lieu de stockage puisque la pharmacie a été réorganisée « en dotation plein-vide » (1), explique Valérie Guillemand, et que les médicaments (et les prélèvements) sont acheminés par voie pneumatique et le linge, comme les repas, par des robots automatiques. « On a de nouveau réparti les fonctions », résume la cadre supérieure de santé, en faveur du soin proprement dit et de la relation de soin dans son ensemble.

Ce dispositif semble aussi favorable à la réduction des erreurs. Une première vérification de l'adéquation de la prescription avec l'approvisionnement se fait au moment de la « cueillette », au PC de soins. Un autre « contrôle » a lieu lorsque le traitement est transféré du chariot mobile au chariot des patients. Enfin, l'infirmière qui prépare un traitement sur le chariot d'un malade dispose de la prescription et vérifie à nouveau si le traitement concorde... Toute erreur peut donc être détectée à trois moments différents.

Échange d'idées

Toute cette organisation a fait l'objet d'une préparation et d'une formation à grande échelle en amont (lire l'encadré). Un important travail de sensibilisation et d'accompagnement a été nécessaire pour que les infirmières et les aides-soignantes s'emparent de ces nouveaux outils et modifient ainsi le cadre de leur intervention. Beaucoup d'échanges entre professionnels, aussi, pour glaner les bonnes idées d'organisation des uns ou des autres et mettre en place une organisation adaptée à chaque service : selon l'heure du tour du médecin, le planning des infirmières ou des spécificités de prise en charge, les modalités d'approvisionnement du chariot, par exemple, peuvent changer.

Naturellement, des résistances ont émergé ici ou là face à ce profond changement des habitudes de travail. Mais le projet de soin individuel au lit du patient s'est finalement imposé au profit d'une relation au patient plus humaine.

1- La dotation plein-vide consiste à ranger dans des armoires spécialement aménagées des bacs remplis de la dotation du service en un produit donné pour une certaine période (en général une semaine, voire dix jours). Quand les bacs prioritaires sont vides, les bacs suivants peuvent être utilisés. Ce système évite d'avoir à faire le décompte hebdomadaire des quantités à commander (Le Moniteur hospitalier n° 214, mars 2009, p.5).

témoignage

« DES ATELIERS POUR SE FORMER »

« La direction des soins a saisi l'occasion de la recontruction de l'établissement pour mettre au point le projet de soin individuel au lit du patient, explique Valérie Guillemand, cadre supérieure de santé du pôle Urgences, pharmacie, biologie au centre hospitalier d'Arras. J'y ai adhéré tout de suite car ça allait être formidable pour le patient et sa famille. Nous avons travaillé deux ans sur ce projet. Il a fallu choisir le matériel, le tester... Pour être dans cette dynamique, il ne faut pas être dans les chemins cliniques mais presque. En gynécologie, nous avions déjà bien protocolisé les chemins cliniques et nous avons testé le chariot. Nous avons présenté cet essai à l'ensemble de l'établissement bien avant le déménagement pour que l'ensemble des cadres et des infirmières s'imprègnent du projet et en comprennent le fonctionnement. Le chariot en est la pièce maîtresse. Nous avons réalisé un film pour montrer au reste de l'établissement comment cela fonctionnait.

Avant l'ouverture du nouvel hôpital, des ateliers ont été organisés dans tous les services pour présenter le projet de soins, le chariot, le matériel et leur mode d'emploi, qui peut s'adapter à chaque organisation de service. Ensuite, il a fallu que tous les soignants se les approprient. »