L'inopinée conception - L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009

 

déni de grossesse

Dossier

Quand une femme découvre qu'elle est enceinte après de longs mois, voire au moment d'accoucher, les soignants restent le plus souvent stupéfaits. Pourtant, le déni de grossesse n'est pas si rare qu'on pourrait l'imaginer, ni forcément tragique...

La première fois où elle a été confrontée à une femme faisant un déni de grossesse ? Lorsqu'elle en parle, Catherine, infirmière dans un service d'urgences parisien, semble ne pas avoir assez de mots pour tout dire. « Incroyable, inimaginable, déroutant... » les adjectifs se bousculent dans sa bouche.

« C'était une nuit. Une femme d'une trentaine d'années s'est présentée, se plaignant d'un terrible mal de ventre. "Colique néphrétique", a pensé un médecin. On lui a donné du Spasfon. Un moment après, elle s'est mise à vomir, se plaignant d'avoir toujours aussi mal. Un autre médecin l'a réexaminée, a senti qu'il y avait quelque chose qui clochait. On lui a fait des analyses de sang et d'urine... et là, stupeur, on a découvert qu'elle était enceinte ! Elle était toute menue ! À l'échographie, ça a été l'affolement : on a vu qu'elle était à terme alors qu'on pensait qu'elle faisait une fausse couche ! Quand on le lui a annoncé, elle n'a pas compris. Elle criait, n'arrêtait pas de dire que ce n'était pas possible, qu'elle avait eu ses règles il y a encore quelques semaines. Nous, ce qu'on ne comprenait pas, c'est qu'elle ait pu porter un enfant neuf mois sans s'en rendre compte... Trois heures plus tard, le bébé était là, un petit gars en pleine forme, 3,4 kilos pour 49 centimètres, si mes souvenirs sont bons. » Douze ans après, Catherine l'avoue, « la stupéfaction ne [l']a pas quittée ». Mais, souligne-t-elle, « cette femme ne mentait pas. Ce n'était pas une ado ignorante ou dissimulatrice. Elle était désemparée. Abasourdie. » Une femme qui accouche alors qu'elle n'avait pas conscience d'être enceinte ? Ou qui découvre sa grossesse, à cinq, six, voire huit mois ? Médecins, soignants - sans parler du grand public - nombreux sont ceux qui n'y croient pas. Pas vraiment. Ou pas du tout.

Prismes déformants

« Le genre d'histoires que racontent quelques vieux patrons de gynéco sans qu'on y croie vraiment », plaisantent des internes. « Pas très plausible », estime une collègue de Catherine. Ne leur en a-t-on pas parlé durant leurs études ? « Peut-être. Mais je ne m'en souviens pas », répondent la grande majorité des infirmiers. Les sages-femmes sont à peine plus armées. « Leurs études sont très obstétricales, techniques... les aspects psychiques de la grossesse sont souvent largement négligés », note Marie Fortuné, formatrice à Clermont-Ferrand. Même constat du côté des gynécologues. Même chez les psychiatres et psychologues, le sujet n'est pas toujours vraiment connu.

« Les soignants, et plus généralement les gens, ne connaissent le déni de grossesse que sous deux prismes déformants, l'histoire drôle ou l'histoire tragique », commente Félix Navarro, médecin de santé publique à Toulouse et cofondateur de l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG). L'histoire tragique, celle qui défraie la chronique judiciaire et médiatique, déchaîne les cris d'horreur... celle où l'enfant meurt. Parfois des mains de sa mère. Jusqu'au cas extrême de la répétition de l'acte, comme dans l'« affaire Courjault ». Résultat, lorsque les gens entendent parler du déni de grossesse, ils l'associent à l'infanticide. Alors que l'on sait, même si les études manquent, que le cas est extrêmement rare. Seuls 5 % des dénis de grossesse, estime-t-on, se concluent par le décès du nouveau-né, généralement faute de soins appropriés et non à cause d'un geste de la mère.

Beaucoup confondent aussi déni et dissimulation de grossesse. « Or, le déni n'a rien à voir avec le secret ni le mensonge », insiste Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste exerçant au CHU de Nantes. Alors que celles qui dissimulent leur grossesse savent qu'elles sont enceintes mais usent de mille stratagèmes pour le cacher à leur entourage, les femmes victimes d'un déni de grossesse sont enceintes sans en avoir conscience. On parle de déni partiel si le déni de grossesse prend fin avant le terme de la grossesse, et de déni total s'il se poursuit jusqu'à l'accouchement, voire le recouvre. À partir de quand l'évoquer ? Certains en parlent au-delà du premier trimestre de grossesse. Les études sur le sujet se concentrent plutôt au-delà de vingt ou de vingt-six semaines. Comme un seuil limite à partir duquel, dans une grossesse « normale », une femme ne peut plus ignorer son état.

Certains balaient le phénomène d'un revers de la main, d'un « le déni de grossesse ? c'est rien, une rareté. » Cas exceptionnel ? En fait plus fréquent qu'on ne l'imagine. Les données manquent, car rares sont ceux à s'être penchés sur le sujet. Quelques études existent quand même. Dont celle menée en 1995-1996 par un gynécologue-obstétricien allemand, Jens Wessel, dans dix-neuf maternités de Berlin et de son agglomération. Sur les 29 462 naissances observées, son équipe a répertorié 65 dénis de grossesse (41 partiels, 24 totaux). Soit une naissance sur 475. Menées - à une moindre échelle - en Autriche, aux États-Unis, ou encore en France dans les maternités de Denain et Valenciennes (Nord), ici et là les résultats sont proches : il y aurait 2 à 3 dénis de grossesse pour 1 000 naissances. Soit, en France, 800 à 2 400 dénis de grossesse par an - dont 300 à 350 dénis totaux. Et encore, remarque Marc-Alain Rozan, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), s'agit-il d'estimations basses, les études n'intégrant que les accouchements en structure hospitalière.

Pas de profil type

Autre idée fausse : croire que ce phénomène ne concernerait que de très jeunes femmes, ignorantes de leur corps et un peu paumées. Or, « le déni de grossesse n'a pas d'âge, ni de classe sociale », martèle Jens Wessel. Les 65 femmes suivies par son équipe avaient ainsi entre 15 et 44 ans... et 55 % d'entre elles avaient déjà des enfants ! Ces femmes vivaient par ailleurs à 83 % en couple, 50 % avaient fait des études (10 % étant diplômées du supérieur), et 50 % travaillaient.

Quant à ceux persuadés que le déni de grossesse ne peut être le fait que de malades psychiatriques, là aussi les études battent en brèche leur point de vue. À Berlin, seules 3 des 65 femmes suivies par Jens Wessel (4,6 %) étaient diagnostiquées comme schizophrènes. Parmi les autres, l'équipe n'a noté que 2 cas de signes de troubles de la personnalité, 3 probables retards intellectuels, et 5 cas de consommation de substances psychoactives. D'autres études font état de troubles psychiatriques en proportion plus élevée. Mais dans tous les cas, si ces troubles sont certes plus fréquents qu'au sein de la population lambda, toutes les recherches cassent le présupposé « déni égale malade psychiatrique ».

« Une réalité dérangeante »

Débarrassé des clichés, le déni de grossesse se laisse approcher... « tout en restant mystérieux. Et presque plus choquant pour certains, note Élisabeth Glatigny, psychologue travaillant à la maternité du CHU de Bordeaux. Peut-être parce que se rendre compte qu'il peut concerner n'importe quelle femme fait un peu peur. Sans parler du fait qu'il ne cadre pas du tout avec le mythe de la maternité radieuse et épanouie. » Énigmatique, « le déni de grossesse vient nous rappeler que toute grossesse est tout à la fois physique ET psychique », souligne Michel Delcroix, ancien professeur de gynécologie-obstétrique à Lille. « Une réalité qui dérange encore de nombreux professionnels », ajoute Israël Nizand, un de ses collègues professeur au CHU de Strasbourg. Car le déni désoriente... et dérange, tant il est signe que les connaissances obstétricales, aussi vastes soient-elles, ne permettent pas d'appréhender une grossesse dans sa globalité.

« Le désir d'enfant, qui peut paraître naturel, est en réalité un processus complexe », souligne de son côté Conchita Gomez, sage-femme au centre hospitalier d'Arras. Ce désir « provoque l'irruption de l'irrationnel et fait naître des histoires familiales, parentales, des liens parents-enfants nourris d'étrangeté et qu'il nous faut dépasser », explique Sophie Marinopoulos. « La maternité n'est pas instinctive mais appartient ainsi à l'histoire de chacune, poursuit-elle. Elle prend sens dans la construction de l'histoire de l'enfant, dans des repères filiatifs où père et mère occupent des places centrales. »

La maternité comme histoire particulière à chacune. Comme bouleversement... qu'il faut accepter. Mais il arrive que celui-ci soit inenvisageable, impensable. Et ce inconsciemment. Pour des raisons mystérieuses, propres à chacune - que la femme ne s'autorise pas elle-même à penser, et donc difficiles à appréhender. Le déni de grossesse ? Un phénomène inconscient né de la confrontation entre un désir complexe d'enfant et les multiples pressions exercées par l'environnement. De quoi dérouter nombre de soignants.

C'est oublier, poursuit Sophie Marinopoulos, que le déni est un mécanisme de défense bien connu de l'enfance. Et que, même adultes, ajoute Jacques Dayan, pédopsychiatre au CHU de Caen, il peut nous arriver à tous de « dénier » quelque chose. Que dire du mari trompé par sa femme mais qui ne voit rien, ne peut rien voir ? De la mère d'un adolescent au comportement addictif, que tout le monde perçoit sauf elle ? « Dénier, c'est éliminer de l'esprit des représentations désagréables, qu'elles soient bénignes ou terribles. En ce sens, le déni, et donc le déni de grossesse, est un phénomène de protection. Une protection non pas désirée, intentionnelle, mais qui est une réponse inconsciente à quelque chose d'inenvisageable », explique le pédopsychiatre.

La force du psychisme est telle que lors de ces grossesses non pensées, les corps des femmes se modifient à peine, comme censurés par l'inconscient ! Médecins, soignants, tous disent leur choc d'avoir vu arriver des femmes menues, en jean moulant, et qui accouchent quelques heures après. « Pour comprendre ce phénomène, explique Israël Nizand, il faut se dire que c'est l'inverse d'une grossesse nerveuse. Sous l'emprise de l'inconscient, les muscles abdominaux empêchent l'utérus de basculer vers l'avant et contraignent l'enfant à se développer à la verticale dans le ventre de sa mère, caché aux yeux de tous. » Opérant comme un commandant de bord, le psychisme ordonne au corps de ne pas se modifier. Les femmes qui sont dans le déni ne perçoivent d'ailleurs aucun des symptômes de leur grossesse, ni nausée, ni mouvement foetal. Parfois, elles continuent même à avoir leurs règles. Et si, par hasard, elles remarquent des changements corporels, elles ne les attribuent pas à une grossesse en cours. « Le ventre et les seins grossissent légèrement ? Simple prise de poids. L'absence de règles ? Cela arrive. Des saignements ? Un cycle mal réglé. Quelque chose qui "tape" dans le ventre ? Des coliques ou des gaz... elles ne peuvent se concevoir enceintes », observe Bénédicte Lacrose, sage-femme à la maternité du CHU de Bordeaux.

Le corps se faisant allié de l'inconscient pour annuler une réalité non pensable pour la femme, le déni de grossesse est par ailleurs contagieux : l'entourage d'une femme dont ni l'attitude ni le corps ne montrent les codes habituels de la grossesse ne prend généralement pas conscience de son état, d'autant que la façon dont les femmes décrivent leurs symptômes influe sur ceux qui les côtoient. Plus encore, les femmes vivant un déni en sont tellement empreintes que leur grossesse peut même échapper à leur médecin traitant, voire à leur gynécologue.

Abandons minoritaires

« Trouble grave de la représentation », comme le qualifie Sophie Marinopoulos, le déni de grossesse implique, logiquement, un risque vital plus grand, pour la mère et l'enfant, ne serait-ce que parce que la future maman n'est pas suivie en tant que telle. Certes. Mais, les études le montrent, lorsqu'ils sont nés à l'hôpital, la grande majorité de ces bébés, même en cas de déni total, vont bien. « Et les accouchements se passent sans problème obstétrique particulier. Ils sont souvent très rapides », note Laurence Gachassin, sage-femme au CHU de Bordeaux.

Surtout, relèvent les professionnels, la phase de sidération de l'annonce passée, l'enfant est généralement très bien accepté par sa mère. Accouchements sous x et abandons à la naissance sont certes plus nombreux qu'en cas de grossesse « normale », mais ils sont minoritaires (15 %), et surviennent surtout en cas de déni total. L'acceptation de la maternité a même sa traduction corporelle, comme l'illustre le fait que, « lorsque le déni est levé avant terme, l'annonce de la grossesse a un effet immédiat sur le corps qui brusquement s'arrondit et devient, en quelques heures, voire en quelques minutes, proéminent », note Marc-Alain Rozan.

Cas de détresse

Le risque vital majeur en cas de déni total de grossesse se situe en fait au moment de l'accouchement, quand celui-ci se produit à domicile, dans la solitude. « J'ai pris un bain car j'avais mal au ventre, je pensais que c'était mes règles. Et puis tout a claqué, il y avait du sang, du sang, et je suis restée dans le bain »... Les témoignages recueillis par l'AFRDG disent la détresse des femmes qui, alors, n'ont pas été capables de « reconnaître » l'enfant en train de naître. Douleurs que la femme tente de calmer par un bain, mal au ventre qui la fait aller aux toilettes... « et sidération. Car il y a comme un décalage entre l'événement physique - l'arrivée d'un enfant - et l'état psychique de la mère qui ne se sait pas enceinte », explique Conchita Gomez. Il y a danger pour le bébé, et pour la mère. Les accidents sont alors nombreux, l'enfant étant victime d'une chute ou du manque de soins parce qu'il n'est pas attendu.

Exceptionnellement, la mère peut tuer son enfant. Bref épisode psychotique ? Instants d'exacerbation du déni ? Les interprétations mises en avant pour tenter de comprendre ce geste divergent... Toutes mettent cependant en avant « le rôle du cri, comme une confrontation au réel que la femme est dans l'incapacité d'accepter », ainsi que l'explique Jacques Dayan. Face à ces situations extrêmes, le malaise de la justice est flagrant. « D'autant que le déni de grossesse n'est pas une pathologie répertoriée et que les experts ne s'accordent pas toujours », explique Hélène Franco, juge des enfants au tribunal de Bobigny. Légalement, ces femmes encourent la réclusion à perpétuité pour « homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans ». Mais dans les faits, la jurisprudence est très variée, les peines allant de la prison avec sursis - peine de principe - à des peines de l'ordre de quinze ans de prison ferme. Difficile de devoir juger le geste « coupable » d'une mère, commis quand elle-même est victime de déni de grossesse, « expression d'une souffrance », souligne la magistrate.

Difficile accompagnement

Pour exceptionnels qu'ils soient, ces cas mettent en lumière le fait qu'un déni de grossesse n'est pas un événement lambda. Certes, comme le relèvent les sages-femmes, après avoir accouché, les femmes ayant vécu un déni se révèlent très maternantes, le lien mère-enfant s'établissant généralement de lui-même. Mais, explique Jacques Dayan, « hyper-adaptation précoce ne veut pas dire intégration ». C'est que, déni partiel ou total, dans tous les cas, « la soudaineté de l'annonce oblige la femme à accepter le processus maturatif de la grossesse en un temps extrêmement court », comme le dit Sophie Marinopoulos. Devenir mère en deux ou trois mois, voire en quelques heures, en quelques minutes... peut se révéler très difficile. Pour la mère, comme pour ses proches d'ailleurs, particulièrement pour les pères, se sentant tout à la fois trahis et coupables de n'avoir rien vu. « Pourquoi n'ai-je pas senti mon bébé grandir dans son ventre ? Va-t-il m'aimer ? Va-t-il être mal dans sa peau à cause du déni de grossesse ?... ces questions taraudent les parents », souligne la psychanalyste Martine Teillac.

La complexité de ces vécus impose ainsi une prise en charge vigilante de la part des équipes soignantes. Ou plutôt imposerait, car celle-ci n'est que rarement mise en place. Un peu car « elle demande du temps, que nous n'avons pas toujours », fait observer Nadine Malaviole, sage-femme à Bordeaux. D'autant que ces femmes sont souvent l'objet de jugements marqués par l'incompréhension, « vécus de façon tragique tant le regard des soignants constitue pour elles le premier regard de la société », souligne Élisabeth Glatigny. Alors, ici ou là, sous l'impulsion de quelques-uns, un accompagnement est créé. Non sans difficultés : il faut vaincre les réticences des équipes, et celles des femmes elles-mêmes, souvent mutiques sous le choc d'un vécu pétrifiant. À Caen, Bordeaux, Strasbourg ou ailleurs, selon les maternités, ses modalités peuvent différer, mais il engage généralement des équipes pluriprofessionnelles : médecins et soignants des services, psychiatres et psychologues, infirmières et assistantes sociales de PMI, qui pourront continuer le suivi dans la durée.

L'enjeu de l'acceptation

L'objet de la prise en charge n'est pas tant d'évoquer le « pourquoi » du déni - question qui taraude les soignants mais qui, « de par sa nature même, est tue, impensable par la femme elle-même », comme le rappelle Jacques Dayan. Il est plus important de suivre et d'évaluer les liens naissants ou à naître entre mère et enfant. « En ce sens, souligne Marie Fortuné, les "outils" de la prise en charge sont plutôt simples, alliant accompagnement classique (mais particulièrement vigilant) et proposition d'aides à celles qui en ont besoin. » Avec une sage-femme, apprendre et apprivoiser les gestes de mère ; grâce au soutien de l'assistante sociale, pouvoir déclarer son enfant à l'état civil, acheter de la layette, ou tenter de dénouer une situation sociale ou familiale souvent compliquée ; avec un psychiatre ou un psychologue, dire sa souffrance, ses angoisses... « Dans les cas où le lien mère-enfant ne s'établit pas, ou mal, il est impératif de tenter de poursuivre l'accompagnement, même si les mères y sont réticentes », note Jacques Dayan. Mais, précise-t-il, « ces cas sont rares. Généralement, le déni de grossesse n'influe pas sur l'attachement, sur le devenir des mères et des enfants. » Reste à le faire savoir. Et donc à faire connaître le déni de grossesse. À le faire accepter aussi, lui qui vient bousculer les préjugés des uns et des autres, et laisse entrevoir combien la maternité reste un territoire mystérieux.

À retenir

> Le déni de grossesse touche des femmes de tout âge, de tout milieu social... et dans près de la moitié des cas des femmes qui sont déjà mères.

> En France, entre 800 et 2 400 femmes seraient victimes chaque année d'un déni de grossesse.

> Ce « trouble grave de la représentation », signe de souffrance à laquelle s'ajoute la culpabilité, n'a pour autant que rarement une incidence sur l'établissement du lien mère-enfant.

points de vue

QUEL SUIVI PROPOSER ?

- « À la maternité du CHU de Caen, nous avons mis en place un suivi systématique en cas de déni de grossesse, explique Jacques Dayan, pédopsychiatre. Chaque femme a au minimum un entretien avec un psychiatre ou un psychologue de l'équipe. Pas toujours plus, tant il est difficile pour elles d'évoquer leur vécu de déni. Mais ce temps d'échange permet parfois de mettre à jour des difficultés autres que le déni, et surtout d'évaluer la mise en place du lien mère-enfant. En la matière, il est important que les équipes soignantes fassent confiance à leur intuition pour détecter d'éventuelles difficultés, et qu'elles puissent faire appel à d'autres professionnels - psychiatres et psychologues, PMI... Le protocole de prise en charge doit être tout à la fois gradué et souple. »

- « La prise en charge du déni de grossesse est complexe, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas codé en tant que tel dans le PMSI (1) et qu'il peut donc ne pas être repéré... voire ignoré, estime Élisabeth Glatigny, psychologue au CHU de Bordeaux. À la maternité, un entretien avec une psychologue, ainsi qu'avec une infirmière et une assistante sociale de PMI sont toujours proposés. Les femmes restant rarement plus de trois ou quatre jours, engager un travail en profondeur n'est pas évident, tant elles sont réticentes à se confier, surtout car elles sont encore choquées et culpabilisent beaucoup. Mais il est important de proposer, d'engager un accompagnement quitte à ce qu'il prenne vraiment forme un peu plus tard... »

1- Programme de médicalisation des systèmes d'information.

Bibliographie

> Psychopathologie de la périnatalité, Jacques Dayan, Gwenaëlle Andro, Michel Dugnat, Masson, 2003.

> Déni de grossesse, essai de compréhension psychopathologique, Naïma Grangaud, thèse, faculté de médecine, Paris, 2001.

> Maman, pourquoi tu pleures ? Les désordres émotionnels de la maternité, Jacques Dayan, éditions Odile Jacob, 2002.

> Le Corps bavard, Sophie Marinopoulos, Fayard, 2007.

> « Le Déni de grossesse à propos de 56 cas observés en maternité », Colette Pierronne, Marie-Annick Delannoy, Carole Florequin, Michel Libert, Perspectives psychiatriques, juillet 2002, vol. 41.

> Je ne suis pas enceinte, Gaëlle Guernalec-Lévy, Stock, 2007.

> Le Déni, Victoria Bedos, Plon, 2007.

initiative

CONTRE LE DÉNI DU DÉNI

Confrontés au déni de grossesse dans leur pratique professionnelle - voire, pour certains, dans leur entourage personnel - un petit groupe de médecins et soignants a créé à Toulouse l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG) (1), présidée par Félix Navarro, médecin en santé publique. Objectif majeur pour sa dizaine d'adhérents : « informer l'opinion publique et les professionnels de santé, et venir en aide aux femmes qui souffrent ou ont souffert d'un déni de grossesse - notamment via des rencontres de femmes - ainsi qu'à leurs familles », explique Isabelle Jordano, cadre de santé et membre de l'association. Les 23 et 24 octobre derniers, l'AFRDG a organisé le premier colloque français sur le déni de grossesse, qui a réuni médecins, soignants, psychologues et juristes investis dans le sujet. L'association entend également proposer aux soignants une formation.

1- AFRDG, 28, rue François-de-Born, 31000 Toulouse. Tél. : 05 61 32 17 20. Internet : http://www.afrdg.info.

témoignage

« TU N'AS RIEN À ME DIRE ? »

« Il y a quelques années, un soir vers 23 heures, une élève sonne à l'infirmerie, vêtue d'une simple chemise de nuit. Une gamine de 15 ans, un peu forte mais toute mignonne. Elle avait mal au ventre, pensait avoir bientôt ses règles, et voulait un cachet », se souvient Jacqueline Le Roux, infirmière alors en poste dans l'internat d'un lycée. Par précaution, Jacqueline décide de l'examiner. « J'avais à peine soulevé sa chemise de nuit que j'ai vu qu'elle avait déjà perdu les eaux ! "Tu n'as rien à me dire ?" lui ai-je répété plusieurs fois. Elle, ne semblant pas réaliser ce qui lui arrivait, ouvrait de grands yeux et me répétait "Non, rien, j'ai juste mal au ventre". » Coup de fil en catastrophe au médecin scolaire, transport à l'hôpital... une heure et demi après, l'adolescente donnait naissance à une petite fille. Des années après, Jacqueline n'a rien oublié. « Personne n'avait rien soupçonné. Question lancinante : et si je m'étais contentée de la laisser repartir se coucher avec un Spasfon... que se serait-il passé ? » Ce qui est important ? « Être vigilante. Et ne pas juger. Bien entourée par sa famille, ses amies, la jeune maman a gardé son enfant, et est revenue en cours quelques mois plus tard. Le lycée était en état de choc mais, heureusement, personne ne l'a montrée du doigt. Ce n'est pas toujours le cas. »