La bioéthique dans tous ses états - L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 248 du 01/04/2009

 

Débat

Éthique

Voulus par Nicolas Sarkozy, les états généraux de la bioéthique ont été lancés en février dernier. Objectif : associer les citoyens à la révision de la loi de bioéthique. Pas si simple.

Site internet spécifique (1), rencontres, conférences, débats... les états généraux de la bioéthique sont sur les rails depuis février dernier. Enfin presque... L'organisation et la coordination ont été confiées à un comité de pilotage, présidé par le député Jean Leonetti. Rassurant.

Depuis, chacun est appelé à alimenter la réflexion en confiant ses craintes et attentes, et en formulant des propositions sur les cinq grands thèmes au coeur de la révision de la loi de bioéthique : le prélèvement et la greffe, la médecine prédictive, la recherche sur les cellules souches et l'embryon, l'assistance médicale à la procréation (AMP) et les diagnostics prénatal et préimplantatoire.

En juin, trois forums réuniront en régions un panel d'une vingtaine de citoyens, tirés au sort sur les listes électorales. Après une formation intensive de deux jours sur les sujets précités, ils seront amenés à interroger des spécialistes et « grands témoins » de ces questions afin de se forger une opinion et d'avancer, eux aussi, des propositions. Belle gageure...

Le point d'orgue des états généraux aura lieu le 23 juin, à Paris, sous la forme d'un colloque au cours duquel sera effectuée la synthèse des travaux précédents. Puis un rapport sera transmis aux députés qui plancheront sur la révision de la loi, programmée en 2011. Voilà pour la forme.

Et le quotidien ?

« Jusqu'ici, la parole a été confinée, jusqu'à en devenir consanguine, entre scientifiques et parlementaires. Je suis donc favorable aux états généraux car ils participent d'un esprit d'ouverture et favorisent le jeu démocratique », affirme Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique de l'AP-HP. Même son de cloche chez Pierre Le Coz, vice-président du Comité consultatif national d'éthique : « Les états généraux permettent d'éviter que le débat soit confisqué par les médias et les groupes de pression présents à l'Assemblée nationale. On peut cependant regretter que des nouveaux champs, comme les neurosciences, ne soient pas abordés dans ce cadre. »

Regret aussi chez Emmanuel Hirsch. « C'est bien qu'on s'obsède sur les cellules souches embryonnaires, mais parlons aussi du quotidien. Je crois qu'il ne faut pas qu'on s'englue dans les débats intellectuels et bioscientifiques alors que de, plus en plus, les patients sont laissés à la marge. L'"éthique d'en bas" est aussi recevable au niveau des enjeux de société et du débat public que les questions de bioéthique qui, à mon sens, sont d'abord intéressantes dans leur dimension ordinaire. »

Tous deux s'interrogent sur le calendrier. Emmanuel Hirsch doute que cinq mois suffisent à développer une dynamique sur des sujets aussi importants que la recherche sur l'embryon ou l'AMP. « Le risque, observe-t-il, est que ça parte dans tous les sens. Avec, par exemple, la remise en cause de la loi sur l'IVG. On est dans un domaine où la science fascine mais inquiète également. »

Église omniprésente

Inquiétante aussi la place qu'occupe l'Église catholique dans ces états généraux, y compris dans sa composante la plus conservatrice (Opus Dei, etc.). Via ses diocèses, elle est aux avant-postes et multiplie les initiatives depuis février. Cette omniprésence est d'autant plus marquante que les partis politiques et le mouvement associatif, qu'on pourrait attendre dans le débat sont très discrets, pour ne pas dire absents. Vous avez dit états généraux ?

1- Sur le Web : http://www.etatsgeneraux delabioethique.fr.

TÉMOIN

Aurélie Royer « Une information large, transparente... »

« J'ai toujours eu la chance de travailler au sein d'équipes de réanimation où la démarche éthique était au coeur de la pratique et du soin, et en cela fidèle aux principes de la loi Leonetti. Dans ce contexte, je n'ai d'ailleurs aucun souvenir d'une mauvaise condition de fin de vie, le respect et la dignité de la personne étant notre préoccupation première, explique Aurélie Royer, cadre de soins au service de réanimation chirurgicale du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Aujourd'hui, les progrès scientifiques et médicaux sont tels qu'ils interrogent profondément la société sur les limites éthiques qu'elle doit poser à leur développement. Je pense notamment aux recherches sur les cellules souches. L'information sur le don d'organes est aussi un vrai défi. Elle doit être large, pédagogique et transparente. Cet effort évitera des situations effroyables, et de faire perdurer de fausses croyances, voire des fantasmes, autour de cette pratique. J'espère que la crise que nous vivons aujourd'hui ne va pas éclipser les enjeux sociétaux confiés aux états généraux. »