La zélée des lésés - L'Infirmière Magazine n° 249 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 249 du 01/05/2009

 

Chantal Strauss

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Depuis quinze ans, Chantal Strauss est l'infirmière unique des Amis de Laurence, un centre qui accueille, à Paris, de jeunes patients polyhandicapés. Au-delà des soins, elle s'attache à améliorer leur qualité de vie.

Menue et droite, ainsi apparaît Chantal Strauss. Des cheveux châtains coupés dans un carré court encadrent des yeux très bleus dans lesquels se lit un malicieux appétit de la vie et de l'humain. Chantal, adolescente, rêvait de devenir infirmière ou puéricultrice pour pouvoir s'occuper d'enfants. À 52 ans, son rêve est largement réalisé. Elle est depuis quinze ans l'unique infirmière de l'institut médico- pédagogique Les Amis de Laurence, qui accueille trente-six enfants polyhandicapés âgés de 3 à 20 ans, 206 jours par an, de 8 h 30 à 17 heures.

Parcours à rebondissements

Cet institut, créé en 1974 à l'initiative de parents, accueille des enfants et adolescents lourdement handicapés. Tout comme la MAS (maison d'accueil spécialisée pour adultes) et le foyer de vie Myriam situés à la même adresse, avenue Denfert-Rochereau, l'institut émane de l'association Notre-Dame de Joie. Il fonctionne grâce à un prix de journée (327 euros) perçu pour chaque jeune pris en charge.

Avant de rejoindre Les Amis de Laurence, Chantal a exercé de service en service à l'Hôtel-Dieu puis à l'hôpital Laennec (Paris) pendant une dizaine d'années : médecine générale, médecine cardiaque, réanimation de chirurgie cardiaque, service de médecine soignant des patients atteints de sida. Sur cette dernière expérience, elle confie : « ça a été éreintant. J'en ai eu assez. » C'est pourquoi, en 1990, elle rompt avec le milieu hospitalier pour se tourner vers le maintien à domicile des personnes âgées dans le cadre associatif. Là, elle se trouve confrontée à la grande dépendance. Puis, après un bref nouvel intermède en milieu hospitalier, elle rejoint Les Amis de Laurence en 1994.

Monde à part

« Le contact avec l'équipe pluridisciplinaire m'a plu d'emblée, se souvient-elle. C'est un travail où les relations humaines jouent un rôle prépondérant. » Aux Amis de Laurence, Chantal découvre « un monde totalement à part » : des enfants qui ne parlent pas, ne marchent pas, ne se tiennent pas assis, ni ne tiennent leur tête, des enfants qui ont besoin de corsets et d'attelles. Des enfants, enfin, qui ont des retards mentaux et des troubles sensoriels importants et qui sont confrontés à des complications médicales multiples (épilepsie, ostéoporose, infections urinaires...). « J'ai trouvé beaucoup de similitudes entre ces jeunes polyhandicapés et les personnes âgées très dépendantes que j'avais soignées », souligne-t-elle.

Chantal avoue s'être sentie décontenancée à son arrivée dans l'établissement. « Au début, le fait de ne plus avoir de soins techniques à effectuer m'a déconcertée. Plus de pansements ou de seringues électriques à manier au pas de course et dans le stress. »

Au bout de quelque temps, elle comprend que travailler auprès d'enfants handicapés implique d'autres aptitudes : une disponibilité totale à la relation humaine et surtout un sens aigu de l'observation en raison de l'absence de communication verbale : « Il m'a fallu six mois au moins pour observer et commencer à comprendre les jeunes. Leur handicap est tel que l'évolution est lente et parfois difficile à cerner. »

Quel rôle joue-t-elle précisément ? Depuis 15 ans, tous les matins ou à peu près, vers 9 h 30, l'infirmière se déplace dans les différents groupes : le jardin d'enfants (3-6 ans), les petits (6-11 ans), les adolescents (11-15 ans), les « jeunes adultes » (15-20 ans). « Je démarre la journée en lisant les cahiers de correspondance remplis par les familles. Comme les jeunes ne parlent pas, c'est le seul moyen pour nous de savoir ce qui s'est passé hors de leur présence au centre. »

Demandes tous azimuts

Fièvres, rhinopharyngite, gastro-entérite, complications respiratoires, digestives, orthopédiques, neurologiques, escarres... pour ces multiples pathologies, Chantal est la personne à qui parler. « Il n'est pas toujours simple de gérer toutes ces demandes au quotidien, explique-t-elle. Ici, tel enfant a, dès le matin, une fièvre importante. Là, tel autre a une grosse rhinopharyngite et enchaîne depuis quinze minutes plusieurs crises d'épilepsie ; dans le groupe des grands, c'est une jeune fille qui fait une grosse colère, se plaint d'un mal de ventre sans doute dû aux règles. Même si cela relève le plus souvent de la "bobologie", toutes les demandes ont leur importance puisqu'elles participent au bien-être des enfants. » Le plus ardu pour l'infirmière est donc de parvenir à s'organiser, à « bien gérer les temps creux ». D'une manière plus générale, elle se trouve au centre d'un réseau de personnes qui la sollicitent et d'autres à qui elle doit rendre des comptes : trente-six enfants, c'est autant de familles, auxquelles il faut ajouter la cinquantaine de collègues.

« En tant qu'infirmière, je dois aussi être capable de faire face à des situations d'urgence nécessitant l'intervention du Samu ou des pompiers. Cela survient peu souvent, mais il est impératif de savoir repérer les situations critiques », ajoute-t-elle. Hors situations d'urgence, Chantal planifie les consultations avec le médecin, suit les dossiers médicaux de tous les enfants, met à jour les traitements, et fait le lien entre les médecins, les familles, l'équipe pluridisciplinaire et les services hospitaliers extérieurs. Elle gère la pharmacie et veille à l'entretien du matériel médical acquis au fil du temps pour sécuriser la prise en charge : matériel d'aspiration, oxygène, oxymètre, aérosol...

Goûter les plats

Car le rôle de Chantal est tout autant curatif que préventif. Elle veille à ce que les jeunes soient suffisamment hydratés et que la nourriture proposée ait une texture adéquate, que les plats soient variés. « Je suis une goûteuse », glisse-t-elle. Elle peut aussi être amenée à aider ses collègues à bien installer un jeune pour un repas en trouvant un bon positionnement de la tête pour déglutir. « Ma formation généraliste d'infirmière me permet d'appréhender la prise en charge dans sa globalité. »

Apprivoiser le corps

Cette formation lui permet de participer à la cohérence de la prise en charge des différents intervenants : pédiatre, médecin de rééducation, équipe éducative (rééducateurs, éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs...), et équipe paramédicale (orthophonistes, kinés, psychomotriciennes, ergothérapeutes, infirmières, psychologues). « Entre nous, pas de hiérarchie, mais beaucoup d'observation et d'écoute. Chacun essaie de s'approprier un peu du métier de l'autre. Nous sommes dans un échange permanent. » Avec l'aide des orthophonistes et des éducateurs spécialisés, Chantal apprend à repérer les oui et les non des enfants par le biais de pictogrammes.

« L'essentiel, poursuit-elle, est de bien connaître les enfants. Pour cela, chacun doit accomplir des tâches en dehors de ses strictes prérogatives. » Comme ses collègues, Chantal donne à manger aux enfants, leur brosse les dents, change les couches. Car avant de se déployer sur le plan de l'intellect, la rencontre avec les enfants a d'abord lieu au niveau du corps : il faut toucher l'enfant, le prendre, le lever, l'habiller, le nourrir, le masser, le mobiliser, le faire respirer... Tout cela avec douceur et tendresse.

Pas de fatalisme

Travail varié, intéressant, valorisé, équipe conviviale... expliquent la longévité de carrière de Chantal dans ces lieux. La section des 3-6 ans, créée en janvier 2008, l'enthousiasme particulièrement. « Ils sont très attachants. Leur arrivée dans l'établissement a redynamisé les équipes car à leur âge, beaucoup d'acquisitions sont encore possibles. » La relation nouée avec les enfants est un rempart contre le fatalisme. « Je me souviens d'une petite fille. La relation n'existait pas pendant des années. Un jour, enfin, elle m'a reconnu. Elle m'a souri. »

Si, à ses débuts, Chantal est partie travailler en ayant le sentiment de pénétrer dans un lieu déconcertant, ce n'est plus le cas : « Avant d'être une institution, nous sommes un lieu de vie. Nous fêtons les anniversaires, les fêtes... Les enfants disposent de temps pour jouer : peinture, cuisine, piscine, poney, balnéo... Ils sont très malades. Mais à la longue, on l'oublie. »

moments clés

- 1977 : obtient son diplôme d'infirmière.

- 1977-1980 : médecine générale à l'Hôtel-Dieu (Paris).

- 1980-1986 : réanimation cardiaque, adultes et nourrissons, consultations de médecine pré et postopératoire.

- 1986-1990 : exerce à nouveau en médecine générale.

- 1988 : se présente sans succès au concours de puéricultrice en formation continue.

- 1990-1992 : intègre l'association Vivre à domicile (destinée aux personnes âgées).

- 1992-1994 : cardiologie à l'hôpital Boucicaut.

- 1994 : rejoint « Les Amis de Laurence ».