Au chevet des sans-toit - L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009

 

précarité

Reportage

Les médecins et infirmières bénévoles de l'association Soins pour tous parcourent la ville de Rouen pour écouter, soigner et orienter les gens de la rue, trop souvent laissés en marge du système de santé.

«J'ai pas de maux de dents ! », s'exclame Florence, dans un beau sourire où il manque justement deux ou trois dents. C'est pour aller au-devant d'une population souvent en piètre condition, physique comme psychique, que l'association Soins pour tous est née à Rouen il y a plus de dix ans. Composée d'une quinzaine de bénévoles, tous médecins ou infirmières, cette unité de soins mobile se joint deux soirs par semaine aux maraudes de L'Autobus, l'association qui fait office de Samu social dans la capitale haut-normande.

Âgée de 39 ans, Florence est venue avec une bonne vingtaine d'autres personnes en grande précarité se réchauffer au contact d'un gobelet de soupe, mais aussi au sourire de Nicole, infirmière bénévole de Soins pour tous. Sur la place de l'Hôtel-de-Ville, l'un des trois points fixes où s'arrête chaque soir le camion jaune, des hommes et des femmes prématurément vieillis se pressent pour recevoir un sandwich, un café, ou pour choisir un vêtement parmi ceux qui sont classés dans des casiers de bois à l'arrière du véhicule. Florence jette son dévolu sur un blouson rose tout en éconduisant aimablement l'infirmière qui s'enquiert de sa santé. « Tout va bien ! », lâche-t-elle pour clore ce sujet qui lui importe bien moins qu'un autre : « Je vais être grand-mère ! », souffle la jeune femme. « Et vous êtes contente ? », demande Nicole. « Bah oui, hein ! », répond Florence dans un haussement d'épaules.

Contact plus facile

« On comprend vite qu'il n'y a pas de discussion. C'est uniquement de l'écoute », avertit Nicole, formatrice en Ifsi. De fait, les bénévoles de Soins pour tous mettent à profit le contact établi autour de besoins vitaux tels que se nourrir et se vêtir, pour, dans un second temps, aborder le thème de la santé, que les gens de la rue négligent souvent par la force des choses.

Sans les neuf litres de soupe, trois litres de café et sans la soixantaine de sandwiches distribués tous les soirs par les bénévoles de L'Autobus, la plupart des sans-toit ne rencontreraient de professionnels de santé qu'en cas d'urgence. Et même s'ils ne saisissent pas l'occasion à chaque fois, cette démarche permet non seulement de « répondre aux besoins urgents, mais surtout de changer le mode d'accès aux soins des personnes très défavorisées », explique Chloé Argentin, médecin bénévole.

En assurant un suivi médical de première intention délivré directement sur le lieu de vie, Soins pour tous se veut une courroie de transmission entre la rue et le système de soins normal. D'une semaine à l'autre, les médecins et infirmières de l'association revoient certaines personnes : à l'aide d'un cahier de transmission, les bénévoles consignent la date de la « consultation », le prénom et la date de naissance de la personne, les plaintes exprimées, les soins pratiqués, les médicaments distribués et le niveau de couverture sociale.

Caisse à outils

Le « cabinet médical » embarqué, plutôt sommaire, contient l'essentiel. Un stéthoscope, un tensiomètre, du matériel de petite chirurgie. Une pharmacie composée d'antibiotiques, antalgiques, antipyrétiques, mais exempte de psychotropes. Une trousse à pansements et tout le matériel de soins infirmiers rangé dans une caisse à outils. Des doses de vaccins antigrippaux et antitétaniques, des préservatifs, des kits d'hygiène, des collecteurs de seringues usagées. Et en guise de table d'auscultation, faiblement éclairée, la banquette arrière du camion, que de petits rideaux dérobent aux regards extérieurs.

Poux tenaces

De nuit, par - 5 °C, exercer la médecine ou pratiquer des actes infirmiers dans ces conditions est un défi... que Soins pour tous relève avec un budget dérisoire de 4 500 euros par an, grâce à des professionnels motivés comme Alice, 24 ans, infirmière diplômée depuis un peu plus d'un an. La jeune bénévole se propose d'examiner Pierrette et Marguerite, venues voir le « docteur », exceptionnellement absent ce soir. Pierrette se plaint de « boutons » et de démangeaisons dans le cou.

Aidée par sa collègue Nicole, qui use de son téléphone portable pour éclairer le cuir chevelu, Alice inspecte la tête de Pierrette. Rien de grave cette fois : ce ne sont que des poux, mais ils seront difficiles à éliminer tant les conditions de vie de Pierrette sont précaires.

Langage adapté

La quadragénaire repart avec une bouteille de shampoing et un papier. « Je lui ai écrit ce qu'il faut qu'elle achète en pharmacie, explique Nicole. Le problème, c'est que les produits antipoux efficaces coûtent rapidement une dizaine d'euros. Et quand on n'a déjà pas de quoi se payer à manger... »

Marguerite, elle, se plaint de démangeaisons aux mains. Nicole reconnaît entre les doigts de sa patiente les sillons caractéristiques de la gale. Le médecin avec lequel Marguerite a rendez-vous le surlendemain pourra lui administrer un traitement, mais en attendant, l'infirmière recommande de laver tous les vêtements et tout le linge de lit à 60 degrés et d'éviter de « dormir avec le mari ». Ce conseil fait sourire Marguerite. « A-t-elle bien compris ? », s'interroge Nicole une fois sa patiente partie. « Adapter le niveau de langage à la personne » fait partie des missions les plus délicates et essentielles de l'infirmière, note-t-elle.

Après s'être arrêtée au dernier point de rendez-vous, la maraude poursuit son parcours en sillonnant les rues de Rouen à la recherche de personnes en détresse. Sur la place du Vieux-Marché, l'équipe repère une dame couchée sous un porche d'église. Martine s'apprête à dormir dans son sac de couchage, sur un banc de pierre, à peine abritée du vent.

En route pour l'hôtel

Si nul ne peut contraindre un sans-domicile fixe à rejoindre un foyer d'hébergement d'urgence, le Plan grand froid oblige les bénévoles à proposer une alternative à ceux qui dorment dehors. « Si on vous trouve une place avec le 115, vous y allez ? », demande Jean-Paul, bénévole de L'Autobus. La dame est sceptique mais acquiesce. Le temps de passer les coups de fil, Nicole propose à Martine une couverture de survie neuve pour remplacer la sienne, toute fripée. Un hôtel finit par répondre. Alors les bénévoles aident Martine à se lever et à rassembler ses affaires qui tiennent dans un carton. « Je ne réalise pas, là », lâche la jeune femme quand le camion s'ébranle.