Il n'y a pas que la pharmaco ! - L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009

 

alzheimer

Enquête

Signes des évolutions que connaît la lutte contre la maladie d'Alzheimer, les approches non médicamenteuses (cognitives, psychosociales, sensorielles...) ont permis de réaliser des avancées encourageantes.

Il ne prononce jamais le mot « Alzheimer ». Résiste même face à celui de « maladie ». Les premiers symptômes sont apparus il y a cinq ans, longtemps masqués par une profonde dépression. L'ancien sportif de haut niveau, à la démarche élancée et au verbe haut, s'est peu à peu « recroquevillé », commente Madeleine, son petit bout de femme. Il a un temps fulminé de ne plus savoir taquiner correctement le ballon rond, puis s'est tu. A cessé ses promenades matinales le jour où il s'est perdu à hauteur de la maison des voisins. Rage et désespoir mêlés. Il a voulu « partir »... mais ce soir il sourit. « Son sourire, il ne l'a retrouvé que depuis qu'il participe aux ateliers de réhabilitation cognitive et de musicothérapie de l'accueil de jour, confie Madeleine. J'ai même l'impression qu'il fait des progrès : l'autre jour on a cuisiné ensemble, des crêpes. Ça ne nous était pas arrivé depuis des années ! »

Exercices visant à permettre aux patients d'exploiter leurs capacités mémorielles ou langagières restantes, thérapies prenant appui sur l'évocation des souvenirs anciens souvent mieux préservés, activités de stimulation sensorielle, musicothérapie... les soignants accompagnant les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer sont de plus en plus nombreux à recourir à une vaste palette de thérapies dites « non médicamenteuses », en complément des traitements médicamenteux existants.

Remèdes insuffisants

« Un peu comme une évidence de l'intérêt d'une réponse globale à une maladie elle-même globale, tant elle dévaste tout sur son passage », commente Béatrice Daniau, infirmière coordinatrice du réseau parisien Mémoire Aloïs. Car, précise Hélène Amieva, chargée de recherche à l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (Isped) à Bordeaux-2, « même si la maladie d'Alzheimer se caractérise au premier plan par une diminution des capacités cognitives, les difficultés des malades ne se limitent pas à la sphère cognitive ». La détérioration des fonctions cognitives - mémoire, langage, attention, fonctions visuo-spatiales, conscience de soi et de son environnement, praxies, gnosies... - a un retentissement chaque jour plus lourd sur les réalités sociales et psychologiques de chaque malade. Et elle s'accompagne généralement très vite de troubles du comportement et de la personnalité.

En réponse à ces troubles, une réponse pharmacologique existe. Mais elle est limitée. Si certains médicaments parviennent à freiner un temps le déclin cognitif, le constat est surtout valable à un stade précoce de la maladie, et certains patients n'y répondent pas. Quant aux psychotropes... s'ils ont un intérêt réel en certaines circonstances précises, « ils sont surtout trop souvent utilisés pour éviter d'avoir à affronter la réalité des souffrances psychiques des malades », souligne Pascale, infirmière en maison de retraite. Pour le moment, rien n'y fait : les traitements pharmacologiques ne peuvent empêcher l'inexorable évolution de la maladie. Selon une étude réalisée en 2005 par l'équipe de l'Isped pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, si « les médicaments occupent une place prépondérante dans la prise en charge de la maladie d'Alzheimer, leur efficacité reste limitée et ne peut être optimisée que s'ils sont intégrés dans une démarche globale de prise en charge du patient. » (1)

Stimulations variées

Concrètement, « la palette des thérapies possibles est on ne peut plus large », souligne Judith Mollard, psychologue à l'Union France Alzheimer. L'étude réalisée par l'Isped récapitule les plus courantes d'entre elles. Les thérapies cognitives, souvent fondées sur des exercices répétés mobilisant les capacités de chacun, selon une approche voisine de la rééducation fonctionnelle. Les thérapies non cognitives fondées sur une approche psychosociale : traitements par la rééducation de l'orientation, consistant à adapter l'environnement du patient afin de pallier ses difficultés à s'orienter, en particulier dans l'espace et le temps ; thérapies par évocation du passé (réminiscence) faisant appel aux souvenirs anciens de chacun, souvent réalisées en groupe pour faciliter la prise de parole, la socialisation ; ou thérapies par empathie visant à améliorer la compréhension des besoins et des émotions des sujets. Et... toutes les autres : stimulation comportementale, exercice physique, musicothérapie, luminothérapie, stimulations sensorielles, aromathérapie.

Émotions réveillées

Impossible d'être réellement exhaustif, souligne l'étude. « Mais de l'art-thérapie au travail avec une orthophoniste, toutes ces thérapies ont un même objectif : soutenir les capacités de la personne, son autonomie et sa qualité de vie à tous les stades de l'évolution de la maladie », relève Judith Mollard. C'est pourquoi, précise-t-elle, « je préfère parler d'interventions ou de thérapies psychosociales plutôt que de thérapies non médicamenteuses car une définition en creux par rapport au médicamenteux a un côté peu valorisant. » Et cette question de vocabulaire n'est pas si anodine, souligne à son tour Marie-Jo Guisset, chargée de recherche à la Fondation Médéric Alzheimer, « car parler d'interventions psychosociales, c'est mettre en avant le fait que l'on travaille sur les capacités des personnes et non sur leurs déficits. »

Variété et donc richesse des pratiques. Mais attention, insiste Marie-Jo Guisset, cette hétérogénéité peut aussi avoir des inconvénients. Elle met en garde contre la tentation de vouloir mettre en place ces thérapies sans en avoir les moyens, notamment en termes de formation, voire de qualifier tout et n'importe quoi de thérapies non médicamenteuses. Un constat essentiellement valable au regard de ce qui peut exister dans certaines maisons de retraite, souvent du fait de l'insuffisance en termes de personnel formé et soutenu. « C'est que, précise-t-elle, ces interventions ne sont pas des animations ! » Sans nier le bénéfice de ces dernières, l'objectif des interventions psychosociales est autre : thérapeutique. D'ailleurs, si ces interventions peuvent être développées en maison de retraite, elles le sont surtout en hôpitaux de jour, en services de rééducation, voire en unités de soins de longue durée (USLD), en accueils de jour, dans les centres mémoires, ou en libéral (auprès d'orthophonistes, de kinés...) tant « elles imposent de pouvoir disposer de compétences pluriprofessionnelles ».

Agir au stade précoce

Le constat est partagé par Bernard Michel, médecin directeur de la clinique des Jardins de Sophia à Castelnau-le-Lez (Hérault), dont l'hôpital de jour expérimente depuis plus de quinze ans un programme de stimulation cognitive intensive pour des patients, souvent assez jeunes, encore au stade précoce de la maladie. Entourés par une équipe pluridisciplinaire - neuropsychiatre, neuropsychologues, psychologue clinicienne, orthophoniste, ergothérapeutes, musicologue, infirmière, aide-soignante, animateur - une vingtaine de personnes participent deux fois par semaine à des ateliers où ils travaillent l'attention, la concentration, la mémoire auditive, visuelle... Mémoriser des images simples (un bateau, un piano) et reconnaître le mot associé parmi un choix de possibilités proposé par un logiciel ; travailler concentration et dextérité lors d'un atelier de vannerie animé par l'ergothérapeute ; réfléchir à un fruit et tenter de le faire deviner aux membres du groupe accompagnés par un psychomotricien... les médiations proposées ici sont multiples, l'essentiel étant de « proposer à chaque patient des stratégies compensatoires adaptées à son état pour faire face au déclin de ses capacités », explique Céline Foare, psychologue.

L'accueil de jour a aussi monté un projet baptisé Émotion et mémoire, fondé sur des rencontres exceptionnelles : virées en mer avec le skipper Bernard Gallay - et suivi de ses courses lors du Vendée Globe - créations culinaires avec Éric Cellier, chef gastronomique, ou herborisation avec un ingénieur agricole. « À partir de ces événements récents, souvent les premiers oubliés, on cherche à créer chez les patients des émotions profondes. Puis, via la vidéo, la photo, on les fait retravailler ces moments », explique Bernard Michel.

Pour le médecin, le bénéfice de ces interventions est évident. Particulièrement au stade précoce de la maladie, mais même plus tard. Chaque membre de l'équipe de l'accueil de jour anime ainsi à tour de rôle un atelier en USLD. Ce qu'il faut, c'est adapter son intervention à l'état du patient. Ainsi, l'orthophoniste travaillera beaucoup sur la déglutition, devenue difficile. « La maladie d'Alzheimer reste incurable, oui, mais ces thérapies peuvent participer à ralentir son évolution et procurer du bien-être », insiste le praticien. Un constat partagé ici et là, souligne Yves Rolland, gériatre au CHU de Toulouse, par l'ensemble des soignants, des patients et de leurs familles pour qui « rationnellement, l'évidence est là : les patients vont mieux... ça marche. »

Ces dernières années, différentes études illustrant les bénéfices de ces thérapies dans la maladie d'Alzheimer ont été publiées : diminution de la symptomatologie dépressive dans le cas de la thérapie par empathie, déclin moins rapide de certaines mesures de la cognition par technique de rééducation de l'orientation, atténuation de certains troubles du comportement avec la thérapie par réminiscence ou les techniques de stimulation motrice, etc. Des résultats encourageants. Mais encore insuffisants pour faire office de « preuves scientifiques », relève Marie-Jo Guisset, autant car les résultats ne sont pas tous probants que parce que nombre de ces études n'ont pas été menées selon des protocoles d'évaluation stricts (lire l'encadré). Résultat, souligne l'étude réalisée en 2005 par l'Isped, si « le recours à ce type d'approche est croissant, la justification et l'intérêt clinique de ces actes ne sont pas unanimement reconnus ».

Choix politique

Alors ? Développer la recherche afin de répondre au hiatus entre la faiblesse des preuves scientifiques et le ressenti des patients et équipes soignantes, oui. En ayant conscience, note Yves Rolland, « que les thérapies non médicamenteuses, qui chaque jour nous obligent à penser ce qu'est le soin, nécessitent peut-être en termes d'études, d'imaginer des critères d'évaluation non calqués sur ceux habituellement utilisés pour tester des médicaments. » L'enjeu est de taille, souligne-t-il, car ces thérapies coûtent relativement cher. Et que les développer suppose un choix de société, un choix politique.

1- Rapport sur la maladie d'Alzheimer et les maladies apparentées, Opeps, juillet 2005.

initiative

DU TEMPS POUR L'ÉVALUATION

Les preuves manquent ? Allons les chercher ! C'est ce qu'ambitionne l'étude ETNA3 (pour Évaluation de trois thérapies non médicamenteuses dans la maladie d'Alzheimer), coordonnée par l'équipe bordelaise de l'Isped-laboratoire CNRS-Inserm. Née d'une commande ministérielle, l'étude, entamée début 2008, veut évaluer selon un protocole scientifique strict l'efficacité de la stimulation cognitive, de la thérapie par réminiscence, et d'un programme de prise en charge individualisé adapté. Et cela sur le long terme : deux ans. Quarante établissements hospitaliers sont mobilisés, les équipes ayant toutes suivi une même formation en lien avec l'étude. Huit cents patients atteints d'Alzheimer à un stade léger ou modéré participent. Objectif : déterminer si une ou plusieurs de ces thérapies permettent de retarder l'entrée dans la phase modérément sévère à sévère de la maladie. Le critère de jugement principal sera la survie à deux ans sans démence modérément sévère à sévère, mais - oui ! bien sûr, souligne Hélène Amieva, chargée d'étude - des critères de jugement « secondaires » seront également évalués : la cognition, les troubles du comportement, les capacités fonctionnelles, la qualité de la vie, l'apathie, la dépression, le fardeau de l'aidant, et les coûts médicosociaux.