« La famille ne se décrète pas » - L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009

 

Adoption

Questions à

La bonne intégration d'un enfant adopté au sein d'une famille d'accueil dépend d'une certaine alchimie... mais aussi de l'attitude des parents, qui surinvestissent souvent leur mission.

Lorsque vous travailliez avec Françoise Dolto, quelle était votre approche de l'adoption ?

Elle disait qu'en adoption, on a affaire à « l'Autre maternel » : cette femme, cette personne, capable de s'adresser à un bébé, de s'intéresser à lui, d'entendre et de reconnaître quelque chose de son désir de sujet. Une femme est mère pour un enfant dans la mesure où elle sait entrer en contact avec lui. Une femme qui lui parle, qui lui raconte une histoire, qui lui chante une berceuse, peu importe la langue qu'elle parle... « Si le tout-petit cesse de pleurer, la regarde, fait des mimiques, se tend vers elle, on peut être sûr, m'a-t-elle dit, qu'il y a rencontre. »

Cette rencontre avec l'Autre maternel est la première ligne d'une adoption, estimait-elle. Le reste est la vie ensemble. Pour une candidate, ne pas savoir s'adresser à un enfant est un mauvais signe : il ne faut pas lui confier l'enfant.

N'est-on pas extraordinairement exigeant avec les candidats à l'adoption ?

Peut-être en effet, dans la mesure où des témoins, des acteurs sont présents, et font que les parents ne sont pas seuls. Bien des mères sont maladroites, non désirantes, déprimées, bien des pères sont absents ou abandonnent femme et enfant, bien des couples se séparent... On ne peut pas demander aux familles adoptives d'être meilleures que les autres. Mais tout simplement d'être des parents, avec leur histoire, leurs points positifs et leurs difficultés.

Beaucoup de familles adoptives veulent prouver qu'elles sont à la hauteur de cette tâche et ont tendance à idéaliser le rôle de parents. Quelques-unes d'entre elles éprouvent un sentiment d'illégitimité, elles ont besoin qu'on reconnaisse ce qu'elles font auprès de l'enfant adoptif. Mais à qui veulent-elles prouver qu'elles sont de bons parents ? Aux travailleurs sociaux, à l'enfant lui-même ? Ou à la société ? Peu importe. Quand on entre dans une telle épreuve, on entre dans une voie sans issue.

Je crois que c'est pour cette raison que des couples adoptifs en difficulté avec leur enfant ont du mal, parfois davantage que les parents biologi- ques, à admettre les problèmes qu'ils rencontrent en famille. Lorsque les difficultés persistent, on consulte. Mais si, pour une raison ou une autre, ces difficultés perdurent, on accuse l'histoire - celle d'avant l'adoption - ou les travailleurs sociaux de leur avoir caché la vérité sur l'enfant.

Que disait Françoise Dolto sur ce point ?

Elle est allée jusqu'à dire qu'il faut savoir relativiser la question de l'hérédité biologique parce qu'un enfant adopté depuis son jeune âge reçoit un « bagage culturel » de sa famille adoptive. Peu importe son histoire précoce, il est éduqué à l'image de ses parents adoptifs, il reçoit leur amour autant que leur angoisse.

L'identification aux parents va beaucoup plus loin qu'on ne le pense. Le mimétisme fonctionne de manière étonnante. L'enfant finit par leur ressembler physiquement, et il arrive qu'il pousse l'identification si loin qu'il développe les mêmes symptômes qu'eux. J'ai connu un bébé qui faisait de l'eczéma parce que sa mère adoptive en souffrait.

Si le lien familial est d'abord reconnu légalement, la famille elle, en revanche, ne se décrète pas. Il y a tout à construire et des complexes à vivre. Il faut du temps et surtout ne pas confondre la fonction avec la personne. L'enfant qui arrive dans un couple a besoin de s'appuyer sur eux pour faire son deuil, celui de sa première séparation - au risque de ne pas adopter ses parents ou de leur en faire payer le prix.

Que pensez-vous des évolutions actuelles en matière d'adoption ?

À partir du moment où l'enfant devient un droit, cela implique un dispositif qui permet à chaque demande d'aboutir. On organise alors l'adoption comme un marché dans lequel on légalise le recours à l'« utérus porteur ». On est en train d'induire quelque chose d'inéluctable qui touche aux rapports entre les sexes et modifie le regard porté sur l'enfant. L'enfant est le fruit d'un désir entre un homme et une femme certes, mais certaines rencontres ne sont pas fructueuses.

Si je ne suis plus contraint de passer par la rencontre avec l'autre sexe, tout un chacun peut revendiquer son droit à l'enfant. On entérine un changement symbolique essentiel : l'enfant n'est plus la rencontre entre deux désirs féminin et masculin mais l'on devient son propre Pinocchio, son propre créateur. Le mythe fondateur (Dieu crée l'homme à son image) est en passe de devenir réalité.

Nazir Hamad Psychanalyste

Directeur d'un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) dans l'Essonne, Nazir Hamad travaille auprès d'enfants et d'adultes et est spécialisé dans les questions liées à l'adoption. Il a travaillé comme psychologue à l'Aide sociale à l'enfance où il s'occupait essentiellement du recrutement des familles d'accueil et des candidats à l'adoption. Il a été supervisé par Françoise Dolto et a publié un livre issu, entre autres, d'entretiens avec elle (Destins d'enfants, Gallimard, 1995). Il est aussi l'auteur d'Adoption et parenté : questions actuelles (Érès, 2008).