Le soin joue l'unité de lieu - L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009

 

un centre pluridisciplinaire

24 heures avec

Le Centre médical spécialisé de l'enfant et de l'adolescent, à Paris, fait oeuvrer sous un même toit une douzaine de surspécialités pédiatriques.

Il est 10 heures. Au Centre médical spécialisé de l'enfant et de l'adolescent (CMSEA), c'est l'heure où commencent à affluer les jeunes patients et leurs parents. Le téléphone n'arrête pas de sonner au standard où Mary et Muriel, les secrétaires, jonglent en souriant entre combinés, accueil des nouveaux arrivants, comptes rendus à taper... « Les parents sont parfois stressés, alors on les réconforte... » Un bébé blotti dans les bras de son père sanglote, tandis que le visage d'une petite fille d'une dizaine d'années s'émerveille en découvrant les jouets de la grande salle d'attente, qui se remplit à vue d'oeil. Le mercredi est un jour particulier : nombre de rendez-vous sont pris ce jour-là.

Plateau polyvalent

Le centre, réputé pour la qualité de ses soins, est pionnier dans son domaine. Il réunit, en un seul lieu, treize spécialistes de l'enfant. De la gastro-entérologie à la chirurgie orthopédique en passant par l'art-thérapie, une large palette de surspécialités pédiatriques est composée sur ce plateau polyvalent. Une façon efficace et pointue de soigner l'enfant avec la possibilité immédiate de faire voir l'enfant, si besoin, à un confrère. La consultation prend une nouvelle dimension : la prise en charge se fait dans un réseau de soignants installés dans un même espace, aisément accessible dans Paris, à quelques pas de la place de la Bastille.

Cabinet-atelier

De la salle d'attente, le regard plonge, à travers une grande baie vitrée, sur les immeubles voisins, les toits en ardoise, un défilé d'antennes de télévision, de cheminées. Beaucoup de clarté. Le couvercle d'une malle en bois claque et reclaque, les volets d'une petite maison se ferment, s'ouvrent... un doux et chaleureux vacarme monte dans le vaste espace où parents et enfants attendent d'être reçus. Pas de blouses blanches. Corinne Troadec, pédiatre spécialisée en pneumologie, apparaît et s'adresse à son jeune patient : « Tu n'auras même pas eu le temps de jouer ! » Sur les murs, une exposition de photos de voyages. Fernando Bayro-Corrochano, psychanalyste et art-thérapeute, arrive au même moment. Alexandre (1), petit blond de 7 ans, le suit et entre dans son cabinet- atelier. Il s'allonge sur le sol entre jeux de construction et paravent. « Tu es fatigué, lui murmure le thérapeute. Tu as regardé la télévision tard ? » Fernando Bayro couvre l'enfant de sa doudoune. Sur son bureau, un portrait de Freud, un grand coquillage, une réplique de la fusée d'Objectif Lune.

« Combien de soirs t'es-tu couché tard ?

- Au moins mille.

- C'est presque autant de temps que depuis que tes parents ont divorcé... »

Du temps, du suivi

La matinée se déroule dans un va-et-vient continuel. Les consultations se succèdent d'un côté ou de l'autre du couloir dans les cabinets individuels, dont l'agencement et la décoration varient. Deux femmes chefs de clinique en pneumologie pédiatrique sont à l'origine des lieux : Valentine Marchac, rattachée à l'hôpital Necker, et Corinne Troadec, elle-même rattachée à l'hôpital Trousseau. L'idée de s'associer avec d'autres spécialistes est née en 2001. Le CMSEA a ouvert ses portes en 2003. La rencontre avec Fernando Bayro a été déterminante : « On a beaucoup réfléchi à quelque chose qui pallie les déficiences que l'on rencontre dans le secteur public : temps, rendez-vous suivis et proches les uns des autres, accueil... Le concept mis en place est tellement pertinent qu'on n'arrête pas de le découvrir. »

Collaboration pluridisciplinaire autour de l'enfant, lieu commun et large de soins, savoir-faire mis à la disposition des autres spécialistes... Il n'y a pas de pédiatre généraliste au CMSEA, mais un réseau complémentaire avec la médecine de ville : environ 350 correspondants à Paris et dans la région.

Concertation

Il est 11 h 30. Gaston, 2 ans et demi, est reçu par Valentine Marchac. L'enfant, qui fait régulièrement de la kinésithérapie respiratoire, vomit souvent ces temps-ci car il est encombré. La pneumologue porte un masque. Elle s'adresse à la maman, tout en auscultant l'enfant. « Gaston fait une poussée d'eczéma. Voulez-vous que Nathalie Bodak, la dermatologue, le voie ? » Si un petit patient présente un terrain allergique, il peut être examiné par un dermatologue (peau atopique, éruption atypique...), un gastro-entérologue (pour les allergies alimentaires), ou encore un pneumologue (si de l'asthme se développe). La concertation entre les confrères permet de cadrer et encadrer un patient. Avec un gain de temps énorme. Gaston, très tonique, récupère le masque du médecin et s'écrie : « C'est moi le docteur ! » Lignes téléphoniques internes, dossiers en commun, accessibilité aux ordonnances des confrères... l'interactivité permet de mieux aborder les pathologies pédiatriques et les maladies chroniques, notamment celles qui engendrent des pathologies annexes. Par exemple, pour des enfants asthmatiques, une psychothérapie peut être utile.

Convivialité

C'est l'heure du déjeuner. L'équipe est quasiment au complet dans la cuisine, installée autour d'une grande table. Les couleurs vives font écho aux conversations animées. Fernando Bayro rappelle le cas de cet adolescent de 14 ans, avec des problèmes de poids, que lui a adressé Franck Iserin, le cardiologue : « Il a fait un dessin extraordinaire avec un coeur coupé en deux, retenu par un petit fil. Il avait un conflit tel avec ses parents qu'il somatisait. Quelques mois plus tard, son souffle et la tache qu'il avait au coeur ont disparu. La souffrance est passée par un mal au coeur. »

Et quand nous leur demandons quelle serait la philosophie des lieux, chacun s'accorde à dire la convivialité, sans oublier d'essayer d'être à la pointe et d'égaler la qualité hospitalière. D'ailleurs, les services hospitaliers leur envoient des jeunes patients, notamment pour les urgences. Ils sont reçus plus rapidement et les médecins du centre prennent plus de temps, entre autres pour expliquer clairement la situation aux parents.

14 heures. Le cabinet d'Alexis Ferrari, chirurgien orthopédiste pédiatrique et ostéopathe, se distingue des autres par un mobilier design et original. Une orchidée et des senteurs d'encens donnent le ton. Max, 13 ans, a la main droite dans le plâtre. Sa mère explique au médecin : « J'avais pensé l'emmener chez mon orthopédiste, mais on attend toujours une heure au milieu de personnes âgées, alors qu'ici on est dans le monde des enfants et de la jeunesse. » Le spécialiste, voix posée, répond : « Ici, le mode d'exercice est équivalent à celui du libéral mais dans un esprit particulier. On peut prendre plus de temps qu'à l'hôpital, car on n'est pas pris dans un système. » Outre son implication à l'hôpi-tal Robert-Debré et à la clinique pédiatrique de Boulogne-Billancourt, il est présent au CMSEA quatre fois par semaine. Pour lui, c'est la relation humaine et l'interactivité qui rassemblent les treize spécialistes. Il raconte : « J'ai reçu un enfant d'un an et demi qui souffrait de troubles de la marche. Je trouvais son ventre bizarre... j'appelle la gastro-entérologue qui, après des examens complémentaires, décide de l'envoyer à un confrère neurologue, à l'extérieur. C'est vraiment génial. Tout cela se fait dans une cohésion qui permet aux parents d'avoir des réponses souvent immédiates à leurs questionnements. Nous traitons la maladie réelle en intégrant des approches complémentaires. C'est un peu un défi, finalement. »

17 heures. Une maman aide sa fille à se laver les mains dans l'un des petits lavabos mis à la disposition des enfants. À quelques mètres de là, Franck Iserin, pédiatre spécialisé en cardiologie, reçoit une petite fille de 3 ans, polyhandicapée avec un retard cérébral important. Il écoute les battements de son coeur. Le calme du médecin, avec une pointe de légèreté, contraste avec la peur de la petite et l'investissement extraordinaire de la maman. « Ma fille est très surveillée. Elle est suivie par plusieurs médecins du centre et la plupart de ses visites de contrôle se font ici. C'est plus simple, confortable et rassurant pour ma fille de venir dans un seul lieu, dit-elle. Ça m'évite, comme à l'hôpital, d'avoir toujours à tout réexpliquer à chaque spécialiste. » Franck Iserin la regarde tout en asseyant délicatement l'enfant : « Il faut pouvoir répondre rapidement au ressenti des parents. C'est vrai qu'il y a moins de tension ici qu'à l'hôpital. »

Nouveau concept ?

Le CMSEA serait-il un modèle ? Même si le concept de maison médicale se développe, c'est le seul à déployer un tel éventail de spécialistes autour de l'enfant. « On voudrait s'agrandir et accueillir de nouveaux associés : ophtalmologiste, neurologue, pédodontiste..., s'enthousiasme Nathalie Bodak, tout en enfilant son manteau pour quitter les lieux. C'est enthousiasmant, dynamique et convivial. » À 19 heures, le téléphone sonne encore, mais la salle d'attente est comme endormie. « On tient un concept énorme, glisse le cardiologue, à qui il arrive de rester souvent tard au centre. Il faut voir grand et rassembler toutes les compétences sur un seul plateau technique. Une infirmière également, comme dans un service hospitalier. Cela permet de valider et de concrétiser l'interface avec de vrais gestes de soins. » Créer des ponts et des liens. Et suivre l'enfant de façon plus globale.

1- Les prénoms des patients ont été modifiés.

Centre médical spécialisé de l'enfant et de l'adolescent, 17, rue Froment, 75011 Paris

Tél. : 01 43 55 17 17

http://www.cmsea.com