«Mon anniversaire n'est pas une fête » - L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 250 du 01/06/2009

 

Tribune libre

« Infirmière scolaire, c'est cool comme job... entre bouillotte, tisanes et bobos, vous devez être tranquille », déclare un père d'élève jovial venu déposer la Ventoline de son fils.

Dans le bureau, Lisa, 15 ans, pleine d'épines, est muette. L'infirmière reprend l'entretien.

« Tu es la seule de ta classe à ne pas avoir participé au voyage à Paris...

- Mes parents ont prévenu.

- Oui, ton père a prévenu. Tu étais malade ? Qu'est-ce que tu avais ? »

L'infirmière a le dossier médical de Lisa entre les mains. « C'était ton anniversaire hier. Joyeux anniversaire Lisa. » Silence.

« Qu'est ce que tu as fait ? Comment tu as fêté ça ?

- Mon anniversaire n'est pas une fête.

- Pourquoi ?

- Parce que je suis née le même jour que ma mère.

- Vous ne les fêtez pas ensemble ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce qu'elle est morte et que je pue la mort. »Les pourquoi ouvrent parfois des portes que l'on aimerait laisser fermées. L'infirmière se répète tous les jours qu'elle n'est pas psy, mais elle choisit de différer le classique « Tu te fais aider ? »...

« Pourquoi tu dis que tu pues la mort, Lisa ?

- Je l'ai toujours connue malade. Y avait son lit médicalisé dans la salle à manger.

- Elle est morte quand, ta maman ?

- Y a dix ans... »

Lisa pleure. « Au lieu d'aller à Paris, j'étais en bateau avec mon père pour disperser ses cendres et maintenant que l'urne n'est plus là, j'ai plein de cendres dans la tête, surtout depuis qu'il m'a dit qu'il n'avait plus... que moi.

- Ta mère veillera toujours sur vous, Lisa, risque l'infirmière.

- Mais vous comprenez rien, ma mère, j'veux qu'elle me lâche !...

L'infirmière se tait.

Les larmes sèchent au bout d'un long moment et le souffle de Lisa s'apaise.

« Faut que j'y aille, sinon je vais rater mon contrôle de maths.

- D'accord, ne rate pas ton contrôle, mais je n'ai pas les dates de tes derniers rappels de vaccins ; tu reviendras avec ton carnet de santé s'il te plaît. »

Lisa acquiesce et quitte l'infirmerie avec le masque recomposé d'une collégienne venue coller un pansement sur une ampoule.

Entre bouillotte, tisanes et bobos, la journée s'achève gentiment. Cool !