L'éducation au voyage - L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009

 

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À l'hôpital Avicenne de Bobigny (93), une consultation de médecine des voyages accueille un public composé en majorité de migrants. En accord avec le chef de service, les infirmières y jouissent d'une grande autonomie.

Vous savez ce que c'est, le paludisme ? », demande l'infirmière Delphine Leclerc à une jeune femme venue se faire vacciner avec son enfant en vue d'un séjour au Cameroun. La patiente acquiesce. « C'est quoi ? », insiste l'infirmière. « Moustique », lâche finalement la patiente dans un français hésitant. Le public qui fréquente la consultation de médecine des voyages de l'hôpital Avicenne est constitué à 70 % environ de migrants d'Afrique subsaharienne qui retournent au pays pour un séjour plus ou moins long. En cinq ans d'existence, cette consultation, montée par le Pr Olivier Bouchaud, vice-président de la Société de médecine des voyages, et par l'IDE Delphine Leclerc, a rencontré un succès fulgurant, jusqu'à atteindre quelque 6 000 consultations par an. L'organisation de la consultation (ouverte tous les jours de 8 h à 14 h 30) a été pensée par Delphine Leclerc, ancienne aide-soignante passionnée de cultures africaines, devenue infirmière en 2002.

Lové dans des préfabriqués en face des urgences de l'hôpital Avicenne, l'endroit, plutôt exigu, n'en est pas moins chaleureux. À l'entrée, un panneau souhaite la bienvenue au visiteur dans une trentaine de langues. Dans la salle d'attente, une vitrine avec des objets africains et des assortiments de graines et, au mur, des tableaux, des photos d'ailleurs et des affiches sur le lavage des mains, les symptômes du paludisme ou encore la conduite à tenir pour éviter la diarrhée. « Ce sont les voyageurs qui m'ont fait adapter la déco, l'aménagement de l'accueil, dit Delphine Leclerc. On a adapté le discours et la méthode. »

Pas de rendez-vous

Le service se compose de deux infirmières, une aide-soignante et neuf médecins rattachés. Pas besoin de prendre rendez-vous, « on ne refuse personne. Quelqu'un qui arrive à midi, on le prend », affirme l'infirmière, tant il est difficile de « faire prendre rendez-vous à des gens qui travaillent énormément dans la journée et la nuit ». Lorsqu'un patient arrive, c'est l'infirmière qui, par un petit interrogatoire, en cerne le profil et l'oriente : à l'infirmière les cas simples, au médecin les voyageurs malades et les consultations de retour.

Lors des entretiens, le bureau ne sépare pas les interlocuteurs, car il est disposé le long du mur. « On est proches de nos patients », revendique Delphine Leclerc, qui, en consultation, prend « toujours les petits sur les genoux ». Résultat de cette attention particulière, « les gens reviennent tous les ans pour des choses qui ne sont pas forcément liées au voyage car ils sont contents de l'accueil, ils se sentent en confiance, ils ne sont pas jugés », observe-t-elle, tout en admettant que « certains médecins ont eu du mal au début ».

Faire émerger les questions

D'autant qu'ici, les infirmières, triées sur le volet et formées spécifiquement, jouissent d'une grande autonomie. « J'avais envie que les infirmières soient très partie prenante, très investies, car c'est le champ idéal pour ça », explique Olivier Bouchaud. « Il y a belle lurette que je suis convaincu que les paramédicaux, notamment les infirmières, sont bien plus performants que nous en matière d'éducation à la santé », insiste-t-il.

« Les Africains sont très impressionnés par la figure du médecin, du coup les questions n'émergent pas », renchérit Delphine Leclerc. Pas sûr par exemple que sa patiente camerounaise aurait osé demandé au médecin s'il est possible de « boire » lorsque l'on prend un traitement antipaludique préventif... « Ah oui, il fait chaud à Douala, c'est vrai qu'une petite bière fraîche, c'est pas de refus ! », plaisante l'infirmière. Avant de poursuivre : « Je peux boire avec modération, mais attention, je ne dégueule pas mon médicament ! » Message reçu.

S'assurer que les patients ont bien compris la consigne, est l'un des rôles essentiels de l'infirmière. Quand on prescrit trois quarts de comprimé de malarone par jour écrasé dans un yaourt pour un enfant, encore faut-il être sûr que la maman sache ce que signifie un quart. « Les gens qui ne parlent pas ma langue, ce n'est pas un problème, assure Delphine Leclerc. Il existe d'autres moyens de se faire comprendre : par les gestes, le dessin, en montrant tout simplement ou encore grâce à la vidéo. » Du coup, une consultation peut durer vingt minutes, note-t-elle.

Réponses adaptées

Les médecins sont souvent moins vigilants sur l'intelligibilité du message ou alors ne sont tout simplement pas conscients de certaines réalités. Tel médecin envoie un patient modeste acheter une moustiquaire imprégnée de répulsif « chez Décathlon parce qu'elles sont moins chères, à 63 euros » alors qu'il en existe souvent de bien meilleur marché dans la capitale du pays d'arrivée. Tel autre suggère à son patient, visiblement pas très « branché », de se renseigner sur Internet...

A contrario, le risque d'erreur est faible pour l'infirmière. « La médecine des voyages se prête bien à une fonction d'infirmière "consultante" car l'éducation à la santé est prédominante, et pour l'aspect plus médical, tout est protocolisé », observe le Pr Bouchaud. Le champ des prescriptions préventives en médecine des voyages est bien délimité : quelques médicaments antipaludiques et quelques vaccins dont la liste est fermée et les effets secondaires connus des infirmières, ce qui permet l'utilisation d'ordonnances préétablies, par poids et par âge. Un logiciel informatique spécialement conçu recense par ailleurs toutes les questions à poser pour assurer la sécurité des patients. Quelques règles de bon sens font le reste. « Si un enfant se présente sans carnet de santé, je ne le vois pas, remarque Delphine Leclerc. Et lorsqu'un patient séropositif vient se faire vacciner, je lui demande de revenir avec son taux de CT4 et en fonction, je fais valider par le médecin. »

Pour Delphine Leclerc, la fonction d'infirmière en médecine des voyages telle qu'elle s'exerce à Avicenne est tout à la fois « informative, éducative et technique » et suppose plusieurs conditions : plusieurs années d'expérience clinique, des formations (continues et universitaires) et « une capacité à reconnaître les limites de son champ de compétences ». « Il y a toujours un médecin sur place. On ne fera jamais quelque chose dont on doute », insiste-t-elle. À l'inverse, « cela ne peut marcher que si l'infirmière a envie de sortir de son strict champ », note le Pr Bouchaud. Ce qui implique de faire accepter aux médecins un certain « partage du pouvoir... dans leur intérêt », ajoute-t-il.

Un pas vers l'envol

Problème : en l'absence de véritable statut d'infirmière référente et consultante en France, les infirmières qui s'investissent dans ce genre de pratiques avancées ne peuvent espérer - pour l'instant - aucune reconnaissance salariale. Mais en attendant, Delphine Leclerc a trouvé à Avicenne un moyen d'exercer son métier tout en mettant au service de la santé des migrants sa passion pour les cultures africaines. L'infirmière, qui a formé des consoeurs africaines au Burundi et s'apprête à recommencer au Mali, va passer un diplôme universitaire d'ethnopsychologie transculturelle. « Je finirai mes jours en Afrique, comme infirmière dans un dispensaire », prédit-elle déjà.

- Consultation de médecine des voyages,

Hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad,

93000 Bobigny. Tél. : 01 48 95 54 21.

zoom

« Pas une "sous-médecine" ! »

« Le nombre de voyages dans le monde a été multiplié par 26 entre 1950 et 2000 avec une augmentation moyenne de 7 % par an », rappelle le Pr Olivier Bouchaud, fondateur de la consultation de médecine des voyages à Avicenne.

Cette inflation rend plus précoccupante la question de l'impact du tourisme sur les pays hôtes, qu'il s'agisse de l'accès à l'eau ou du tourisme sexuel, pour ne citer que ces deux exemples. « Je suis persuadé qu'on peut avoir un impact là-dessus, rien qu'en en parlant en consultation infirmière ou médicale », insiste Olivier Bouchaud.

Dans la mesure où elle « s'inscrit essentiellement dans le champ de la prévention », la médecine des voyages est considérée à tort comme « une sous- médecine » alors qu'on va « éviter aux gens d'attraper des maladies qui ont un impact colossal sur la collectivité ! », observe-t-il. Cette « éducation du voyageur » requiert une forte « curiosité intellectuelle » et dessine idéalement, selon lui, les contours d'un futur « statut d'infirmière référente ».