Le grand appel du petit être - L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009

 

Vous

Vécu

Depuis plus d'un an, je désire un enfant. Au début, je ne m'en étais pas vraiment aperçue. Jusque-là, la question m'avait assez peu préoccupée, comme l'évocation d'un futur abstrait et lointain. Mais un jour, j'ai commencé à m'attendrir à la vue d'un bébé ou d'une paire de chaussures minuscules... Après un repas trop copieux, je me plaisais à regarder mon profil dodu dans le miroir et j'exagérais la rondeur de mon ventre en le gonflant davantage... Je ne prenais plus la pilule (soi-disant) pour me sentir mieux dans mon corps et j'avais aussi arrêté de fumer, (soi-disant) alarmée par une infection pulmonaire. Pourtant, malgré tous ces indices manifestes, il avait fallu encore quelques mois pour que parvienne clairement à ma conscience ce désir de grossesse.

Élan de vie

Puis, soudainement, au plus profond de ma chair, j'ai senti cette envie grandir et s'imposer. C'était comme une évidence : j'étais prête à accueillir un petit être dans mon ventre et à l'accompagner sur la planète. J'avais passé tant d'années à me construire et reconstruire, à chercher une harmonie avec moi-même et avec les autres, j'avais dépensé tant d'énergie pour tenter de me situer dans ce monde... J'avais enfin l'impression que je pouvais poser mes valises cabossées et que c'était le moment pour moi de devenir pleinement femme en portant un bébé, et de donner ainsi une direction et un sens immuables à mon existence. Un élan de vie me poussait vers lui, vers nous. Je voulais être maman.

Depuis, ce désir tenace est logé en moi, comme si un nouveau gène était venu s'inscrire en cours de route dans l'un de mes chromosomes. Il est là comme le bleu de mes yeux ou mes grains de beauté dans le dos ; il m'accompagne et se réactive plus ou moins selon les situations que je vis.

Cruelles rencontres

La plus cruelle des réactivations reste, bien évidemment, de croiser une femme enceinte. Or j'ai vécu presque tous les jours cette situation avec mon ancienne voisine de palier. Chaque fois, ma folle envie de bébé me mettait à rude épreuve. De loin, je les observais, elle et son gros ventre, et je m'attendrissais parfois. Mais de près, au contraire, naissait en moi comme une colère puis une douleur. Son visage lumineux et son air épanoui m'exaspéraient. Pourquoi elle et pas moi ? Une forme de jalousie en somme. Après son accouchement, j'ai eu droit à pire : non seulement on m'imposait la vue quotidienne de la poussette dans le couloir, mais j'entendais aussi le bébé pleurer et ses cris m'irritaient... Comme quoi la plus naturelle et la plus belle des envies peut mener à des sentiments pas très nobles... J'ai même décliné l'invitation pour fêter l'événement ! Je n'aurais pas pu, même le temps d'un verre ou deux, faire semblant de me joindre à leur bonheur.

Le désir d'enfant, quand il arrive à un certain âge, semble suivi d'une dose d'angoisse. Parfois, au moment de l'ovulation, je ressens de légères douleurs dans le bas-ventre ; j'ai consulté un gynécologue qui, après examen, m'a assuré que je n'avais rien et m'a dit : « Faites un enfant, vous n'aurez plus mal ! » J'y pense docteur, j'y pense...

Temps perdu

À 34 ans, je ne suis pas trop vieille, mais plus toute jeune non plus et j'ai lu que le taux de fécondité baissait de 50 % après 35 ans. En fait, j'ai peur que ça ne « marche » pas rapidement et que cette perte de temps recule encore le moment où je pourrai goûter au bonheur d'être maman. Pour me rassurer (ou m'effrayer encore plus !), j'ai parcouru différents sites Web sur la question, je me suis renseignée à nouveau sur tout ce que je savais déjà en ce qui concerne l'ovulation, sa période, les transformations qu'elle implique... Je note sur un calendrier le premier jour de mes règles, je compte, je compare et je me réconforte en constatant la régularité. Rien d'obsessionnel, juste un besoin de savoir que mon corps ne me fera pas défaut le moment venu.

Parallèlement, je peux au contraire éprouver une profonde certitude, celle de tomber enceinte sans aucune difficulté, dès la première fois, tant je me sens prête, physiquement et psychologiquement.

Certains jours, une triste langueur m'envahit car tout mon être lance un appel presque magique, mais celui-ci demeure sans réponse. Aujourd'hui, je crois que je n'aurais pas dû attendre si longtemps ; souffrir de l'absence de maternité révèle qu'il est déjà bien tard et je regrette de ne pas avoir conçu un bébé il y a quelques années déjà...

Malgré cette amertume (et celle à l'encontre des femmes enceintes), mon désir de grossesse reste chargé d'une énergie positive : la promesse d'un bonheur à venir.

Mystères de l'accouchement

Y a-t-il des ouvrages à lire avant ? Faut-il apprendre à respirer d'une certaine manière ? Faut-il opter pour une péridurale ? Il y a certainement un tas de choses à savoir avant de mettre au monde un enfant... Déjà, pendant la grossesse, certains aliments sont déconseillés, certains contacts à éviter (les chats, la terre... et puis quoi d'autre ?). Comment faisaient les femmes avant ? Avant que n'existe le « Parfait Manuel de la femme enceinte » ?

L'accouchement ne m'a jamais effrayé, peut-être parce que je n'ai jamais été enceinte. Pourtant, j'ai quelque part dans ma mémoire, comme un fond de conscience collective, des paroles de mégères décrivant cet instant en termes d'atroces souffrances à des jeunes femmes encore sans enfant. J'ai toujours trouvé cela d'une maladresse extrême, voire d'une vicieuse méchanceté. Mais je ne saurais dire si j'ai moi-même recueilli ces propos ou si je les tiens du cinéma ou de la caricature.

En revanche, je me souviens avoir entendu, à plusieurs reprises, une comparaison de la douleur provoquée par l'accouchement à celle causée par une crise de colique néphrétique. Je connais cette dernière à m'en être tordue par terre, et pourtant je continue de ne pas associer l'accouchement à la douleur. Certes, l'avènement de l'anesthésie péridurale a modifié notre perception mais, dans mon cas, c'est surtout l'indicible joie de ce moment qui efface l'appréhension du mal physique. D'ailleurs, je crois que je ne choisirai pas d'accoucher sous péridurale car j'ai envie de sentir dans ma chair la naissance de mon enfant, de sentir tout mon corps pousser pour lui insuffler la vie. Il paraît que beaucoup de femmes disent cela mais que les premières contractions les font changer d'avis...

Vie à trois

Cent fois j'ai imaginé la scène dans la salle d'accouchement. L'homme que j'aime est assis près de moi, son visage au niveau du mien ; il me tient très fort la main et me parle doucement. Son regard est un peu perdu parce qu'il a peur et qu'il n'aime pas me voir souffrir, mais je lis aussi dans ses yeux que c'est le plus beau jour de sa vie. Ensuite, les images se font moins précises, jusqu'au moment où une infirmière pose notre bébé sur ma poitrine. L'émotion s'empare de nous. Il tète. La vie à trois vient de commencer...