Ordinaire solidaire - L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 251 du 01/07/2009

 

Monique Delannoy

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Rencontre avec

Engagée de longue date dans l'aide d'urgence aux migrants, Monique Delannoy, infirmière libérale, leur dispense repas et conseils administratifs au sein de l'association La Belle Étoile, à Calais, aux portes de l'Angleterre.

Le film Welcome (1), elle a fini par le voir. Pas le soir de la première avec l'équipe de tournage et les médias parisiens, non. Cette soirée-là, Monique Delannoy l'a passée au commissariat pour soutenir un bénévole pris en flagrant délit de solidarité... Elle l'a vu un peu plus tard, à Béthune, au cours d'une projection suivie d'un débat. « Le plus dur, dans ces moments-là, c'est d'entendre les gens me dire que je suis extraordinaire. Je ne fais rien qu'un autre ne puisse faire à ma place. »

Née près de Lens, Monique a atterri il y a vingt-cinq ans dans le Calaisis. « J'étais infirmière psy de nuit dans le Nord. J'ai lu une annonce qui proposait un rachat de clientèle. Un ami m'a dit que ce n'était pas pour moi. Pour le contredire, j'ai téléphoné. Le lendemain j'étais à Audruicq ! » Le libéral, elle y prend goût très vite dans cette petite ville rurale. Loin des corons où elle a grandi. « J'y ai appris que la solidarité n'était pas un vain mot... On était mineur avant d'être polonais ou marocain », se souvient-elle.

Un bref passage au cabinet pour relever les rendez-vous du matin. Elle est déjà attendue. Par cette vieille dame, mère de huit enfants par exemple, qui perd un peu la tête. « Je passe chez elle quinze minutes le matin et le soir, je sais bien que ça ne suffit pas pour la reconnecter à la réalité. » Par ce couple aussi, à la demeure peuplée de statues et de biches en plâtre. Monique soigne l'épouse, qui souffre d'un cancer. L'époux refuse d'utiliser son arrêt maladie pour dépression « à cause du trou de la Sécu qui est déjà si important ». Monique le gronde, l'incite à passer du temps avec sa femme.

« Bras de fer »

Après la tournée du matin, Monique prend la direction de Calais pour le local où les marmites de l'association La Belle Étoile bouillonnent déjà (2). Au menu : un ragoût de poulet, pâtes, patates et tomates. « Ça leur tiendra au corps », plaisante Nadine, salariée de l'association. Un Tunisien arrivé à Calais voici quatre mois lui prête main-forte pour tourner l'énorme cuillère en bois. Il fait chaud dans le local. Les esprits s'échauffent autour du campement programmé des militants de No Border, la semaine prochaine. Faut-il ou non s'associer à ces militants de sensibilité anarchiste qui manifestent pour l'ouverture des frontières ? « La cause est belle, mais les sans-papiers et les migrants auront plus à perdre qu'à gagner s'ils manifestent », s'inquiète Monique. Il est treize heures, les gros bras de l'équipe emportent les fait-tout dans la camionnette.

Sur le quai de Moselle, deux cents mètres derrière la mairie et la statue des six Bourgeois de Rodin, trois cents migrants attendent la distribution. Il y a quelques mois, les bénévoles servaient les gamelles, dans un modeste préfabriqué. Mais la mairie a supprimé ce maigre confort. « Le bras de fer est permanent », soupire un bénévole. Depuis quelques mois, le Secours catholique, qui prenait à sa charge un système de rotation vers des douches, a dû cesser son activité. Et sa demande de permis de construire reste bloquée.

Aujourd'hui, les migrants ne sont pas tous au rendez-vous. Depuis peu, ils effectuent des rotations à l'heure des repas, pendant que d'autres surveillent la « jungle ». Ces derniers viendront à la distribution alimentaire du soir, menée par l'association Salam près du port. La « jungle », c'est un bidonville aux portes de la ville, un petit bois sur un sol sablonneux où s'érigent des abris de fortune. Il y a quelques semaines, le ministre de l'Immigration Éric Besson a annoncé qu'il allait « fermer la "jungle" avant la fin de l'année ». Depuis, c'est l'angoisse. Mais quand, et comment ? Dans la file d'attente, le ton monte. Joël, qui assure le service d'ordre avec Paula, menace d'arrêter la distribution. Cela arrive de plus en plus souvent. La tension est palpable.

Permanence de soins

Un Kurde irakien s'approche en montrant son pied maintenu dans un plâtre crasseux. Un bénévole l'emmènera jusqu'à la permanence d'accès aux soins (Pass). Cette Pass, c'est la grande fierté de Monique. Pour en mesurer l'enjeu, il faut remonter au 5 novembre 2002, lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, annonce la fermeture du camp de Sangatte. Du jour au lendemain, c'est la fin des permanences de soin tenues par la Croix-Rouge depuis 1999.

« Quand on est fille de mineur, l'engagement politique, c'est la vie. On ne peut pas ignorer les gens qui souffrent à trente kilomètres de chez soi. » L'infirmière lance alors des soirées de maraude pour distribuer de la soupe aux migrants. « On pensait que ça ne durerait que quinze jours. » Il y a urgence : les plaies, les coupures causées par les barbelés, les fièvres et les maux de ventre doivent être soignés.

En toute illégalité

Alors, le rituel prend place et sept jours sur sept, Monique soigne seule dans une camionnette, en plein courant d'air. Et en toute illégalité. « Je risquais quatre à dix ans de prison et l'interdiction d'exercer mon métier. Mais je savais que ce que je faisais était juste. Il fallait donc tenir, tenir jusqu'à l'ouverture de cette permanence. » Quatre ans plus tard, fin 2006, la Pass ouvrait enfin. Et depuis, Monique ne sort plus sa mallette que pour « la clientèle du cabinet ».

Mi-juin, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s'est implanté à Calais. « Les associations locales pourront se délester de l'accompagnement administratif pour les demandes d'asile, c'est un grand soulagement. Je veux y croire », lance Monique. La couleur bleue des gilets bloque un peu les migrants. « Police ? » demande, inquiet, un Afghan venu pour la distribution alimentaire. Sous son gilet jaune estampillé Belle Étoile, Monique oriente les éventuels demandeurs d'asile vers Marie-Noëlle Thirode, représentante du HCR. Et lorsque celle-ci l'informe de sa prochaine visite dans la « jungle », Monique lui conseille de passer le message par le bouche à oreille. ça lui épargnera un mauvais accueil. Ses sept ans de connaissance du terrain, elle les partage. Comme tout ce qu'elle a, d'ailleurs.

Elle doit filer, ses patients l'attendent pour la tournée du soir. Pendant trois ou quatre heures encore, elle soignera les plaies, les âmes. À l'aise dans ses baskets, elle ne se prend pas pour le sauveur du monde. « Le jour où la Belle Étoile n'existera plus, que je ne serai plus qu'une infirmière, c'est qu'une page se sera tournée dans la galère des migrants. Ce sera une bonne chose. »

« Petit-fils »

Ce soir-là, il est 20 heures lorsqu'elle pose sa mallette dans sa maison de briques rouges. Des oies l'accueillent bruyamment. Deux chats, deux chiens, des oiseaux, un lapin, l'arche de Noé n'est pas loin. Réza ne tarde pas à rentrer à la maison, lui aussi. Traducteur à la Pass depuis deux ans, il a rencontré Monique pendant la période de soins infirmiers à la sauvage : il l'a aidée à comprendre les blessés. Elle l'a accueilli chez elle comme un fils. L'infirmière ne résiste pas à l'envie de montrer la photo de son « petit-fils ». C'est le fils de Dawoed, un autre « fils » qu'elle a recueilli tout jeune chez elle. Il n'a jamais repris la route vers l'Angleterre. Aujourd'hui, il a fondé son propre foyer avec une jeune fille de la région. Ce petit-fils-là, « il sait déjà ce qu'il veut, il a un sacré caractère. » La « grand-mère » est bien mal placée pour s'en étonner.

1- Welcome, par Philippe Lioret, avec Vincent Lindon.

2- Vous pouvez soutenir l'association La Belle Étoile en envoyant vos chèques à Monique Delannoy, BP 34, 62370 Audruicq.

moments clés

- 1957 : Monique Delannoy naît à Sallaumines, près de Lens.

- 1978 : Elle obtient son DE à Lille. Elle travaille de nuit et suit des cours de droit le jour.

- 1984 : Monique s'installe en libéral à Audruicq, petite ville du Pas-de-Calais.

- 2002 : le camp de Sangatte, ouvert en 1999, est fermé par Nicolas Sarkozy. À bord de sa camionnette, Monique part soigner les migrants.

- 2006 : le 4 décembre, ouverture de la permanence d'accès aux soins (Pass), rattachée à l'hôpital de Calais.