À l'épreuve du refus - L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009

 

relation au patient

Enquête

Les infirmières sont souvent confrontées aux décisions de patients ne souhaitant pas, ou plus, recevoir de soins. Les réponses à apporter relèvent surtout des échanges avec les malades et de la réflexion collective des équipes.

À 92 ans, Madame Bernard ne veut ni se traiter ni vivre. Elle pèse plus de cent kilos. De mobilité réduite, elle est traitée pour une hypertension artérielle et un diabète non insulinodépendant. Elle suivait un traitement pour ces deux maladies depuis des années. Elle est entrée avec son mari dans une maison de retraite médicalisée, où elle vit depuis six ans. Sans enfant, le couple ne recevait pas de visites. Il ne participait pas aux activités proposées. Monsieur Bernard est décédé il y a un mois. Depuis, madame Bernard pleure. Elle refuse de boire, de manger, de se laver et de se lever. « Je veux mourir, dit-elle. Ayez pitié ! Je n'ai plus de raison de vivre. » Le médecin prescrit alors une réhydratation et une alimentation parentérales. Trois fois de suite, cette dame enlève sa perfusion. À la place, le praticien prescrit la pose d'une sonde nasogastrique. Elle l'arrache. La patiente est attachée, à la demande du médecin, pour reposer la sonde. Elle crie : « Je vous supplie de me libérer ! » À son arrivée, l'infirmière de nuit détache madame Bernard. La sonde nasogastrique valse de nouveau. L'infirmière se refuse à la lui remettre.

La loi et l'éthique

« Que feriez-vous si vous preniez votre poste à 6 h 30 du matin ? questionne Dominique Letheuil-Berry, infirmière et membre de l'Espace de réflexion éthique de la région Basse-Normandie. Comment vous situer devant ce refus de soins ? Quelles questions vous poseriez-vous ? » Cette situation réelle prête à réflexion (1). « Quel est le sens des propos de cette patiente ? poursuit Dominique Letheuil-Berry. Refuse-t-elle de souffrir ? Veut-elle mourir ? » Il faudrait identifier la vraie difficulté, et son lien avec un grand isolement social ou une dépression.

Le refus de soins est un droit garanti par les textes. Nombre d'infirmières disent y être confrontées « tous les jours ou presque ». La loi précise en effet qu'on ne peut traiter un patient sans son consentement, même si un pronostic vital est engagé, sauf s'il est jugé non responsable (lire l'encadré p. 30). Cette infirmière de nuit avait le droit de respecter la volonté de cette patiente. En le faisant, elle ne va pas à l'encontre de la loi du 4 mars 2002, qui le permet.

On peut se demander comment cette infirmière peut « ne rien faire ». Il faut rappeler son « droit » à l'absence de geste technique. Dans l'esprit du décret de compétence (2), le soin comme le rôle propre infirmiers sont autant constitués d'accompagnement, d'écoute et de soutien que de gestes techniques.

Chacun ses raisons

« [Des patients] réagiront ainsi devant une mastectomie ou une colostomie avec poche de recueil, explique le Dr Françoise Maylevins, cancérologue et coordinatrice des groupes de paroles pour patients de la Ligue contre le Cancer. Certains traitements hormonaux sont associés à la peur de grossir. La chimiothérapie fait aussi très peur aux malades. Son seul nom évoque à beaucoup la survenue de vomissements et la perte des cheveux. Nombre de patients la refusent. À l'inverse, les traitements par rayons sont mieux acceptés. »

Michelle Brun, présidente de l'Association des infirmières de neurologie, distingue les refus de soins infirmiers, comme la toilette, et les refus de soins médicaux, comme un traitement. Ils peuvent avoir de nombreuses causes. « Un malade peut être effrayé par un examen, note-t-elle. Il peut avoir peur d'avoir mal. Il y a la personne qui s'ennuie et ne veut plus vivre. Il y a celle qui dit "Je veux mourir" parce sa maladie la fait souffrir. Il y a celle qui refuse un examen ou un traitement qu'elle n'a pas compris. » Les patients de neurologie peuvent être aptes ou non à donner leur avis sur les soins proposés. La capacité de choisir et d'exprimer son consentement demeure chez les malades qui gardent conscience, comme ceux souffrant de sclérose en plaques ou de maladie de Charcot. Quant aux patients hémiplégiques, ils présentent souvent des troubles de la déglutition et de l'expression. Ils comprennent ce qui leur est proposé mais ne peuvent s'exprimer, avec difficulté, que par la communication non verbale et, dans certains cas, par l'écriture. Enfin, les patients souffrant de démence ne peuvent choisir.

En neurologie comme ailleurs, le rôle de l'infirmière, en matière de refus de soins, peut être souligné, par exemple, par une tâche aussi fréquente que distribuer les médicaments et s'assurer de leur prise. Le refus peut être explicite, ou constaté quand la soignante retrouve des comprimés cachés dans un tiroir. L'attitude la plus simple, si le patient est en mesure de comprendre, consiste à lui réexpliquer les raisons du traitement ou de sa modification, que l'infirmière doit connaître grâce aux transmissions.

Déni de la maladie

Chez nombre de diabétiques, le refus de soins provient d'un déni. « Ils font penser à des originaux qu'il faudrait amener à se soigner sans paraître les forcer, précise François Bernard, bénévole de l'Association française des diabétiques (AFD). Il s'agit d'obtenir, avec délicatesse, qu'ils consultent un diabétologue, un ophtalmologiste, un cardiologue, un spécialiste du rein ou du pied. » Ce bénévole cite l'exemple d'un homme, diabétique depuis quinze ans. « Il se soignait mal. Il fonçait à la boulangerie voisine plusieurs fois par jour et mangeait des gâteaux. Il ne contrôlait pas sa glycémie. Il ne faisait qu'une ou deux piqûres d'insuline par jour au lieu de quatre. » Aux soignants et aux bénévoles de l'AFD, il répondait : « Je m'en fiche si je crève ! » Sa femme se battait pour qu'il se soigne. « Mais ils se disputaient, poursuit François Bernard. Cela devenait invivable et elle a renoncé. Il fallut à cet homme deux grosses alertes avec hospitalisation à Toulouse pour qu'il suive, mais un peu tard, les conseils donnés. Il admet maintenant qu'il est diabétique. Il tient compte des complications possibles, notamment cardiovasculaires, et accepte les contraintes des soins de prévention. »

Les exemples cités montrent que le refus de soins peut survenir pour des traitements dont l'absence est susceptible d'entraîner la mort. Il peut aussi porter sur un traitement dont l'absence susciterait des conséquences néfastes pour la santé. Il s'agira de la prise en charge d'un adolescent diabétique. Il s'agira de l'absence d'hystérectomie en cas de saignements, causés notamment par un fibrome, chez la femme. Il s'agira de l'oubli d'une consultation recommandée, comme en dermatologie pour un grain de beauté par exemple. L'absence de traitement peut aussi porter sur des maladies contagieuses, comme la tuberculose, les hépatites ou le sida.

Refus des parents

Enfin, des parents peuvent exprimer un refus de soins pour leur enfant malade. Daniel Oppenheim, psychiatre à l'Institut Gustave-Roussy, centre de lutte contre le cancer de la région parisienne, note l'extrême diversité des familles reçues en oncologie pédiatrique. « Nous recevons des parents sans problème de santé mentale, note-t-il. D'autres présentent des phobies ou des paranoïas. D'autres encore disposent de capacités de compréhension limitées. Les refus peuvent venir de parents qui ne comprennent pas la logique des soins, l'importance ou l'efficacité du traitement. » Certains réagissent en fonction d'idées préconçues. « Ils disent : "Cela ne sert à rien. Mon petit ne va pas guérir." Chez des enfants qui ne présentent aucun signe de cancer, il arrive aussi que la maladie soit découverte par hasard sur une radio faite pour une autre raison. Certains parents pensent que cela ne peut pas arriver dans leur famille et refusent de croire à l'existence de la maladie. D'autres croient que les enfants ne guérissent pas du cancer. Des parents affirment aussi : "C'est inutile, même si l'enfant guérit, les séquelles lui rendront la vie impossible !" »

Ces croyances se dissipent en prenant conscience de la réalité de la maladie. Pour cela, des entretiens d'annonce longs sont nécessaires. « Ils permettent au médecin d'expliquer au patient sa situation, ce qu'il doit faire et ne pas faire. Ce travail se poursuit quand le jeune patient et sa famille rencontrent d'autres professionnels : l'assistante sociale, le psychiatre ou le psychologue du service, l'infirmière... »

À son arrivée dans le service de la maison de retraite, l'équipe du matin accepte de ne pas reposer la sonde de madame Bernard. Elle attend la discussion avec toute l'équipe, prévue plus tard. « La consignation des interrogations de la personne depuis son entrée dans l'unité, note Dominique Letheuil-Berry, permet de voir s'il s'agit d'un rejet des soins ponctuel ou répété... si elle présente des troubles de l'humeur ou des troubles psychiatriques. Le dossier infirmier aide à savoir alors si elle relève de la loi de 1990 sur les majeurs incapables. Si cette personne persiste dans son rejet, l'équipe peut se demander si elle ne lui a pas porté trop peu d'écoute ou tissé trop peu de liens avec elle. »

En cas de refus d'examen ou de traitement par incompréhension de son utilité, l'infirmière doit tenter de l'expliquer, selon Michelle Brun. « Elle le fera avec franchise, ajoute-t-elle, sans dramatiser ni minimiser. » Parfois, il faut qu'un soignant s'y reprenne à plusieurs fois pour parler à un patient, ou que plusieurs le fassent. « Enfin, ne relevant pas d'un seul soignant, les décisions ne doivent pas être prises par un seul. En discuter avec les collègues permet souvent d'acquérir des informations complémentaires pouvant aider à mieux expliquer le refus de soins. »

Soutien mutuel

Aujourd'hui, la Ligue contre le cancer propose une soixantaine de groupes de paroles pour patients en France. Mensuels, ils sont animés par un psychologue et un soignant. « Ils ne visent pas à donner des informations médicales aux participants, indique Françoise Maylevins. Ils offrent une aide s'ajoutant à celle des soignants, des formes d'amitié et de soutien. Elles permettent à des patients de trouver entre eux une sorte de "volonté de se battre". »

1- Voir aussi Situation d'un refus de soins, regards d'une équipe infirmière, Dominique Letheuil-Berry, Éthique et santé, 2005, n° 2, pp. 130-132. Nous avons interrogé l'auteur pour cette enquête.

2- Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004. Voir aussi la section «Actes professionnels » du Code de la santé publique concernant les infirmières ( articles R. 4311-1 et suivants).

religion

« DES COMPROMIS ACCEPTABLES »

Des refus de soins peuvent avoir des causes religieuses, culturelles ou liées à une incompréhension. « Cette opposition des parents peut être dépassée ou désamorcée, souligne Daniel Oppenheim, psychiatre et psychanalyste au centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à condition que la situation n'évolue pas vers un rapport de force, mais vers une collaboration avec recherche de compromis acceptable. Si le refus porte sur des questions religieuses, solliciter un référent religieux - sauf s'il s'agit d'une secte - peut être utile. De même, un autre membre de la famille, investi par elle d'une autorité dans ce domaine, peut dire que la cause présumée de refus n'est pas justifiée. Cela favorise une compréhension de la pertinence thérapeutique. »

Les refus peuvent provenir des interdits d'un groupe ou d'une secte. « Pour les Témoins de Jéhovah, le refus peut porter sur un aspect du traitement, poursuit-il. Dans certains cas, le juge décharge les parents de leur responsabilité pendant le seul temps de la transfusion. Cette "ruse" peut constituer un compromis acceptable pour tous. »

Certaines situations rares s'apparentent à une maltraitance d'enfants. « On peut alors faire appel au juge, précise Daniel Oppenheim. Il peut prendre la responsabilité d'autoriser le traitement d'enfants mineurs. »