Ils aident de bled en bled - L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009

 

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Horizons

Le champ d'action des soignants du centre de santé communal de Stehat, au Maroc, couvre 133 villages. Leur priorités : les vaccinations, l'amélioration des conditions d'accouchement, la prévention et le contrôle des naissances.

Dans le nord du Maroc, la commune de Stehat est blottie entre les contreforts du Rif et les eaux bleues de la Méditerranée. Dans le centre-ville, une ambulance aux couleurs défraîchies est garée contre un bâtiment crépi de blanc, aux fenêtres et aux portes délicatement ouvragées et peintes en bleu clair. Un jeune homme atteint de tuberculose, carnet de suivi en main, entre dans le patio bordé de lauriers sauvages. Il vient se faire examiner au centre de santé communal. Sa guérison est en bonne voie.

Ce matin, dès huit heures, trois infirmiers sont partis avec l'un des deux véhicules du centre. Ils ne rentreront qu'en début de soirée. Dans une région mon- tagneuse aux routes tortueuses et endommagées par les importantes variations climatiques, ce sont les fonctionnaires de santé publique qui se déplacent vers leurs patients. Ceux-ci disposent rarement des moyens de locomotion nécessaires pour se rendre à Stehat en cas de besoin. À tour de rôle, la petite dizaine de médecins et d'infirmiers du centre partent en équipe mobile dans les 133 villages dont ils ont la charge. « Chaque année, nous nous rendons trois à quatre fois dans chacun des villages. Quand nous garons notre véhicule, les villageois se pressent autour de nous. Ils nous montrent tout ce qui ne va pas », s'amuse Youssef Bouzid, l'infirmier major du centre.

Au Maroc, les infirmiers majors sont les responsables administratifs des centres de santé communaux. Dans son bureau, Youssef Bouzid déploie d'immenses registres. Rougeole, méningite, hépatite, DT, chaque vaccin a son cahier. L'ensemble de la population y est consignée, ainsi que les différentes dates de rappel. Une des premières tâches des équipes mobiles est de veiller à ce que la population soit à jour dans ses vaccinations. Elles se rendent dans les établissements scolaires et profitent de la séance pour réaliser un bilan de santé. Quand des enfants en retard dans leurs rappels sont introuvables à l'école, les soignants vont frapper à leur porte pour leur administrer le vaccin à domicile. Environ une fois par mois, l'infirmier major part pour trois heures de route, aller-retour, pour aller se réapprovisionner auprès de l'hôpital général, à Chefchaouen.

Mortalité maternelle

Dans la salle de planification familiale et d'échographie, Nadia Chairich, l'une des deux infirmières sages-femmes de Stehat, est en conversation avec une future maman. Les femmes enceintes bénéficient de quatre visites de contrôle. Comme l'ensemble des prestations assurées par le centre de santé, ces consultations sont gratuites. Une échographie de contrôle est pratiquée à chaque visite. Nadia Chairich insiste sur l'importance du dernier rendez-vous : « Lors de la dernière visite, nous leur montrons l'unité d'accouchement. Beaucoup de femmes ont peur de venir accoucher ici. En les familiarisant avec le lieu, et en leur expliquant comment ça se passera, nous pouvons les convaincre de se rendre au centre, afin d'accoucher en milieu médicalement contrôlé. » L'accouchement dans les centres de santé est une question cruciale dans les campagnes marocaines, qui connaissent une surmortalité maternelle. Actuellement, le taux de mortalité moyen est de 227 femmes pour 100 000 naissances. Il est prévu que ce chiffre soit réduit de près d'un cinquième à l'horizon 2012.

L'enclavement des villages décourage souvent les femmes de venir accoucher au centre. « Nous essayons de convaincre les familles de descendre à Stehat quelques jours avant le terme, quand sa date est prévue, explique Nadia. Mais cela nécessite bien sûr qu'ils connaissent des gens ici. » Pour pallier cet obstacle, il est prévu qu'une maison des femmes soit construite à proximité du centre de santé, à condition que les financements soient au rendez-vous... Connaissant les contraintes et les habitudes des populations dont ils ont la responsabilité, les soignants de Stehat ont conscience qu'ils doivent collaborer avec les accoucheuses traditionnelles. Ces femmes, plus ou moins expérimentées, sont venues à Stehat. Elles y ont reçu une formation de base et du matériel adéquat.

La prévention est l'activité prioritaire du centre de santé. La région souffre d'une mauvaise alimentation en eau. Certains villages sont à sec pendants plusieurs mois, d'autres ne disposent pas de sources saines. Des employés, dépendant directement du ministère de la Santé, viennent déposer dans les villages, tous les cinq jours, des capsules purifiantes. Les cas de diarrhée sont fréquents. Lors de chaque consultation, le personnel du centre prend soin de rappeler aux adultes les règles élémentaires d'hygiène : faire bouillir l'eau, faire cuire les légumes...

Les maladies contagieuses, comme la tuberculose, sont surveillées de près. Quand un cas est détecté, le malade est envoyé à l'hôpital général, à Chefchaouen, où son traitement lui sera administré. L'équipe de Stehat veille ensuite à ce qu'il le suive scrupuleusement, d'où l'importance du carnet de suivi. Si le patient est en abandon de traitement, l'équipe de Stehat fera comme pour les vaccins : elle ira frapper à sa porte. Pour les cas extrêmes, quand un patient refuse de se laisser raisonner, les soignants font appel aux forces de l'ordre.

Contraception

Le centre est également très actif en ce qui concerne le planning familial. Au centre, tous les types de contraceptifs sont disponibles. L'infirmière sage-femme passe beaucoup de temps à dialoguer avec les femmes et leurs maris pour les convaincre de recourir à la contraception. « Il ne faut pas oublier les maris. Ce sont souvent eux qui décident. Je me rends régulièrement chez les familles. Nous prenons le thé. C'est à ce moment qu'ont lieu les vraies discussions. En fonction de la position de mes interlocuteurs, j'essaie de trouver l'argument qui pourra les convaincre. Je peux faire peur à une femme, en lui disant que son mari se remariera avec une autre, si elle a trop d'enfants. Ou je fais allusion à une voisine plus moderne qui, elle, prend un contraceptif. Pour un couple particulièrement attaché à la religion, je fais allusion au fait que l'espacement des naissances est prôné dans l'islam », explique Nadia Chairich, un sourire aux lèvres.

L'eau, un problème

La salle de réunion du centre est couverte de tableaux affichant des courbes, des statistiques : évolution des maladies, naissances effectuées au centre. Pour satisfaire aux objectifs, les fonctionnaires de santé effectuent souvent des journées de douze heures, surtout lorsqu'ils sont d'équipe mobile. Même si le ministère a réhaussé récemment une partie des rémunérations, les soignants qui travaillent dans des centres ruraux doivent faire preuve d'abnégation. Le Dr Rabi'a Bougaltaya évoque la satisfaction du travail bien fait. Nadia Chairich apprécie le contact fort qu'elle entretient avec la population. Quand l'infirmier major sent que ses troupes s'affaiblissent, il accorde des moments de récupé- ration supplémentaires. L'équipe de Stehat est particulièrement soudée. Tous les vendredis, une réunion de débriefing est organisée. Le temps d'évoquer les problèmes en cours et de se parler. Autour d'une tasse de thé, comme il se doit.

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Exode rural chez les soignants

Les centres de santé communaux peinent à retenir leur personnel. Ils ont été conçus afin de diffuser les programmes de santé publique jusque dans les villages les plus reculés. Mais la charge de travail des fonctionnaires de santé est particulièrement lourde dans les zones rurales. Ainsi, les huit soignants de Stehat ont la responsabilité de plus de 50 000 habitants. Lors de chaque affectation annuelle, les fonctionnaires de santé travaillant dans des zones rurales demandent leur mutation pour se rapprocher des grands centres urbains, mieux dotés. Selon Abdelaziz Boum'az, coordinateur du Service d'infrastructure et d'action ambulatoire de la province de Chefchaouen, « à peine formé aux techniques de travail dans les zones rurales, notre personnel nous quitte. » L'an passé, dans la province, le quart des soignants est parti pour une autre région. Il y a deux ans, le ministère a amélioré les conditions de travail dans les centres de santé pour freiner cet exode. Les indemnités de déplacement et d'astreintes ont été améliorées, et le logement est gratuit.

contact

- Youssef Bouzid, infirmier major, Centre de santé communal avec unité d'accouchement, Stehat, Chefchaouen, Maroc.

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