Infirmière en vue - L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009

 

Huê Thi Nguyen

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Rencontre avec

L'oeil aguerri par trente ans de métier, « miss Hué » exerce au sein d'un service d'ophtamologie de pointe à l'Hôpital franco-vietnamien d'Hô Chi Minh-Ville. Son itinéraire a épousé les mutations profondes vécues par son pays.

Miss Hué est une gourmande. Quand elle parcourt du regard les cuisines de plein air qui encadrent les tables d'un restaurant à la mode, où elle n'a pas l'habitude d'aller, ses brillantes prunelles noires n'expriment pas la convoitise, mais la satisfaction d'initier son invitée à la richesse de la cuisine vietnamienne. Du haut de son mètre cinquante-six, elle passe scrupuleusement en revue les stands qui proposent les spécialités des différentes régions ; elle examine, hume, puis se décide. Précise la cuisson souhaitée au préposé aux fourneaux. Et revient s'attabler, ravie.

Ce souci de l'apprêt, cette minutie ludique, miss Hué les cultive aussi au travail : elle est infirmière senior au centre de chirurgie réfractive au laser du service ophtalmologique de l'Hôpital franco-vietnamien, le FVH, inauguré en avril 2003 dans le sud d'Hô Chi Minh-Ville (sud du Vietnam). Recrutée en octobre 2002, Huê Thi Nguyen y a gagné son surnom - « miss Hué », ainsi que tout le monde l'interpelle dans les couloirs de l'unité de soins, dont elle a participé au lancement. « Je connaissais peu l'ophtalmologie, mais j'ai commencé par faire les traductions pour la doctoresse française à la place de la secrétaire médicale et j'ai beaucoup appris sur les pathologies de cette spécialité », raconte-t-elle dans un français châtié.

La première année, elle est seule avec les deux médecins du service. Elle décide de consigner les protocoles de consultations et de soins. Angiographie, instillation oculaire, suture d'une plaie à la paupière : chaque geste fait l'objet d'une fiche détaillée, qu'elle conserve dans un gros classeur bleu. Sa « bible » qui l'aide, afin de pouvoir prendre un congé au bout de deux ans, à former une remplaçante...

Vietnam en guerre

Miss Hué y met un point d'honneur à faire toute chose « bien comme il faut »... sans doute les réminiscences de son enfance à l'école catholique du Bonheur céleste, chez les soeurs du prieuré de Thien Phuoc. « J'y ai appris votre langue et j'ai reçu une éducation à la française, pour se tenir en bonne fille instruite. C'était strict et sévère, mais comme le souhaite aussi la culture traditionnelle vietnamienne. » Miss Hué est née en 1953 dans le delta du Mékong, à Sadec, la ville de L'Amant de Marguerite Duras. La mère de miss Hué y est revenue finir sa grossesse, chez ses parents paysans. Puis est repartie à Saïgon. La deuxième guerre d'Indochine, dite « guerre du Vietnam », éclate en 1959, opposant le Nord au Sud du pays, ce dernier étant soutenu par l'armée américaine à partir de 1964. « Il y avait des bombardements dans la ville, mais à cette époque, la vie était facile, nous avions de l'argent », se souvient miss Hué. 30 avril 1975 : Saïgon tombe aux mains de l'armée du Nord-Vietnam. La guerre est finie, et la réunification du pays proclamée. En l'honneur du leader des communistes victorieux, Saïgon s'appellera désormais Hô Chi Minh-Ville. Le nouveau gouvernement nationalise les entreprises, les écoles, les terres. Le changement de régime est brutal par la population du Sud.

Surcharge à l'hôpital public

Miss Hué est alors en deuxième année de faculté de lettres. Il faut trouver du travail, adieu chères études. Une amie de sa mère conseille d'en faire une secrétaire. Deux ans plus tard, la jeune femme demande à intégrer le centre de formation et de perfectionnement des infirmières. Sitôt diplômée, elle trouve une place à l'hôpital d'État Trung Vuong. Elle y restera vingt-trois ans « et six mois » et deviendra l'infirmière en chef des urgences. En 2002, elle entend parler du projet de l'hôpital franco-vietnamien. « Comme je parle français, je me suis dit : pourquoi ne pas passer de l'autre côté ? » L'autre côté, c'est le privé. « Dans les hôpitaux d'État, on est submergé de travail. C'est une excellente expérience, ça encourage la responsabilisation et l'esprit d'initiative, mais on n'a pas assez de temps pour rentrer dans les détails avec les patients. Alors qu'ici, c'est cette disponibilité qui nous distingue. »

Prodiguer des soins de qualité accessibles aux Vietnamiens, c'est effectivement la vocation initiale de l'Hôpital franco-vietnamien : imaginé en 1997 par dix médecins français, financé par la Banque mondiale et l'Agence française de développement (pour un coût global de 33 millions d'euros), l'établissement est le premier hôpital général privé aux normes internationales du Vietnam. Et après six ans de fonctionnement, il reste unique en son genre. Car si le système public vietnamien a pu bénéficier d'un vaste programme de réhabilitation, notamment grâce à la reprise des relations de coopération avec la France , ses établissements restent très spécialisés. « Institut du coeur », hôpital de traumato-orthopédie, de neurochirurgie : aucun n'offre de prise en charge complète aux patients.

Salaires élevés

Au FVH, les soins restent cependant destinés à une clientèle solvable : les classes aisées et moyennes. « En ophtalmo, les patients qui nous arrivent sont souvent des cas difficiles, ils ont fait beaucoup d'hôpitaux avant et ont de gros espoirs, car l'hôpital est réputé pour son savoir-faire », explique miss Hué. Un savoir-faire progressivement transmis par les expatriés au profit du personnel local : aujourd'hui, le FVH emploie 69 médecins vietnamiens pour 20 médecins français, et 120 infirmières vietnamiennes pour cinq cadres vietnamiens et trois français. Un transfert de compétences fructueux : « En dix ans, nous avons réussi à faire ce que l'on a mis vingt-cinq ans à faire en France », se félicite Patricia Vignetta, la surveillante générale. Avant de déplorer : « C'est parfois rageant, car nous formons des gens qui nous sont ensuite "piqués" par des structures vietnamiennes. Mais nous faisons la différence sur la culture du salaire notamment. » Au FVH, le salaire mensuel moyen d'une infirmière est de 450 dollars (324 euros) - quand le revenu moyen des ménages vietnamiens tourne autour d'une trentaine de dollars.

En 2008, le FVH accueillait 170 000 patients et procédait à 14 589 hospitalisations. L'établissement prospère : il a ouvert début 2009 un sixième étage d'hospitalisation, quelques mois après avoir inauguré le centre de chirurgie réfractive au laser, au sein du service d'ophtalmologie. Là encore, miss Hué s'est formée sur le tas : « J'ai assisté aux premières opérations, alors j'ai consigné les protocoles, les instruments. » Le soir, avant de tricoter un peu, de croiser autant que possible son fils qui travaille de nuit, l'infirmière revoit ses cahiers annotés, potasse les termes techniques. « Je regarde l'intranet, j'ai le temps de relire quelques pages. » Éternelle studieuse que celle qui dut mettre de côté la littérature pour parer aux lendemains de guerre qui déchantent. Au fait, de 1975 à 2002, lorsqu'elle travaillait pour l'hôpital public vietnamien, comment a-t-elle préservé son français, si correct aujourd'hui ? « J'ai lu et relu mes quelques livres de jeune fille ! » Les romans pour enfants d'Hector Malot, Sans famille et En famille ; la tragique épopée amoureuse de Graziella, d'Alphonse de Lamartine... Miss Hué est aussi une romantique.

moments clés

- 1953 : naissance à Sadec, dans le delta du Mékong (sud du Vietnam).

- 1975 : fin de la guerre du Vietnam. Quitte l'université pour travailler comme secrétaire.

- 1977-1978 : formation d'infirmière à Hô Chi Minh-Ville (anciennement Saïgon).

- 1979-2002 : exerce à l'hôpital d'État Trung Vuong et devient infirmière en chef des urgences au bout de vingt ans.

- Octobre 2002 : est recrutée pour travailler au futur Hôpital franco-vietnamien (FVH), en ophtalmologie.

- Novembre 2008 : est affectée en tant qu'infirmière senior au centre de chirurgie réfractive au laser, tout juste inauguré.

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