Les noyades - L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009

 

urgence

Conduites à tenir

Outre une extrême rapidité d'intervention, la prise en charge d'un patient noyé requiert une analyse précise des causes de l'accident et de son degré de gravité.

En France, les noyades restent un enjeu de santé publique. Responsables de nombreux décès accidentels chaque année, elles sont aussi à l'origine de graves séquelles. Chez les enfants de 1 à 14 ans, elles représentent la deuxième cause de décès.

DÉFINITION ET SÉMIOLOGIE

La noyade est une asphyxie aiguë consécutive à la submersion dans un liquide, avec ou sans inondation alvéolaire. La conséquence in fine est la mort.

Lorsqu'on pense à une noyade, on imagine généralement que les poumons de la victime se sont remplis d'eau, empêchant donc l'hématose. Pourtant, chez certains noyés, on ne retrouve pas une goutte d'eau dans les poumons.

La pénétration d'eau, même en infime quantité, dans les voies respiratoires, provoque une apnée réflexe : l'épiglotte se ferme pour protéger les voies respiratoires, empêchant de respirer, même lorsque la tête se retrouve hors de l'eau, et provoque l'hypoxie. Les séquelles persistantes après la noyade de la victime sont fonction de l'importance de l'hypoxie et de sa durée, et l'éventuelle présence d'eau dans les poumons cause un oedème aigu du poumon. Cet oedème, ainsi que l'eau ayant pénétré, gêne les échanges gazeux au niveau de la paroi alvéolaire et maintient le déficit d'oxygène même si la personne respire spontanément.

À noter : il existe un réflexe vagal par contact avec l'eau et notamment sa température. La cinquième paire de nerfs crâniens est responsable d'apnée, de bradycardie et de vasoconstriction périphérique lorsque le corps est mis en contact avec un élément liquidien à une certaine température. L'action de cette paire de nerfs crâniens peut aller jusqu'aux troubles du rythme ventriculaire, l'asystolie et le décès.

Notre système nerveux peut donc être à l'origine d'une noyade syncopale.

Les risques immédiats sont les suivants :

- arrêt cardio-respiratoire (ACR) par hypoxie ;

- asphyxie et oedème cérébral ;

- hypothermie liée aux conditions d'immersion (convection augmentée en milieux aqueux) ;

- oedème aigu du poumon lésionnel par inhalation (différents mécanismes selon le type d'eau, salée ou non), puis syndrome de détresse respiratoire aiguë ;

- inhalation de liquide gastrique et future infection pulmonaire ;

- atteinte cardiovasculaire grave à type de perte liquidienne par augmentation du retour veineux (augmentation de la pression hydrostatique secondaire à l'augmentation de la pression de l'eau environnante), et secondairement, augmentation de la diurèse. Il y a donc une hypovolémie vraie et relative. Les troubles du rythme secondaires à l'hypothermie dès 32°C (notamment l'onde J « en crochet » de Osborn, figure ci-dessus).

- acidose métabolique sévère, troubles ioniques, coagulation intravasculaire disséminée, aggravée par l'hypothermie ;

- insuffisance rénale aiguë fonctionnelle et rhabdomyolyse.

ÉPIDÉMIOLOGIE

L'enquête Noyades 2004, menée entre juin et septembre 2004 relève en France 1 163 noyades, dont 368 suivies de décès (1) avec un âge médian de 38 ans pour le total des noyades, et 48 ans pour les noyades suivies de décès.

Celle de 2003 recense 1 154 noyades accidentelles suivies d'une hospitalisation ou d'un décès dont 435 décès (38 %). Enfin, celle de 2002 relève 3 141 noyades en France, entre le 1er juin et le 30 septembre 2002, dont 409 ont été suivies d'un décès. 90 % des noyades étaient d'origine accidentelle et ont entraîné la survenue de 252 décès (2).

Quinze pour cent des noyades accidentelles ont été observées chez des enfants de moins de 6 ans, et 42,3 % chez des personnes de plus de 45 ans. Deux noyés sur trois étaient de sexe masculin.

Sur les trois étés de 2002 à 2004, 5 000 personnes (dont 15 % d'enfants) ont été hospitalisées pour un motif de noyade, et 1 000 sont décédées. Ces études ne relèvent les décès que sur la période juin-juillet-août-septembre de chaque année.

En référence, on retiendra que 10 à 24 % des personnes noyées et réanimées décèdent des suites de l'accident, lequel entraîne des séquelles lourdes chez 6 % des personnes réanimées et non décédées.

Globalement, on dénombre 3 000 décès par an en France :

- 50 % en période estivale ;

- 75 % concernent le sexe masculin, avec deux pics : avant 5 ans et avant 20 ans ;

- 1 vivant pour 9 décès sur place.

Et dans le monde :

- 140 000 à 500 000 décès par an ;

- 2 000 000 d'incidents menant à une hospitalisation.

SIGNES CLINIQUES ET CLASSIFICATION DE LA NOYADE

Première phase : l'aquastress

La victime va paniquer, effectuer des gestes désordonnés, et faire ce qu'on appelle « le bouchon» . C'est-à-dire, tour à tour, s'enfoncer dans l'eau puis remonter à la surface.

Deuxième phase : la petite hypoxie

La victime commence à être épuisée, elle est toujours à la surface de l'eau, toujours consciente mais elle a déjà inhalé et/ou bu plusieurs fois de l'eau.

On parle aussi de phase « presque noyé » où l'on observe une restauration rapide des systèmes de vigilance quand la victime est sortie de l'eau.

Troisième phase : la grande hypoxie

La victime ne se maintient plus à la surface, elle est complètement épuisée. Elle a déjà inhalé beaucoup d'eau et est de moins en moins consciente.

Quatrième phase : l'anoxie

La noyade dure depuis un certain moment. La victime n'est plus consciente, ne respire plus, et ne montre plus de signe d'activité cardiaque.

Remarques. Les victimes ne passent pas forcément par toutes ces étapes. Dans des cas extrêmes choc thermo-différentiel (anciennement hydrocution), d'arrêt cardiaque ou autre, l'inconscience, l'absence de respiration et de circulation sont immédiates.

Cette phase est aussi appelée « noyé avec mort apparente, après submersion ».

CIRCONSTANCES

Il existe « deux types de noyades » :

- noyade primitive (épuisement, sports sous-marins) ;

- secondaire (y penser !) : traumatisme crânien, noyade syncopale ou choc thermo-différentiel...

Les circonstances varient :

- facteurs extérieurs (vagues, courant, épuisement...) ;

- jeunes enfants (piscines...) ;

- alcoolisme (jusqu'à 25 %) ;

- traumatisme (accident de la voie publique, rachis cervical) ;

- sports subaquatiques (apnée ou scaphandre).

PARTICULARITÉ DE L'ALERTE

L'accident de plongée reste principalement maritime, et si l'on doit intervenir en mer, les moyens d'alerte diffèrent, que l'on soit sur la terre ferme ou en pleine mer.

En mer :

- Radio VHF ;

- Canal 16.

Sur terre :

- Téléphone filaire (112, 15, 18).

CONDUITE À TENIR SECOURISTE ET BILAN

Primordiale et rapide (engagent le pronostic vital et neurologique).

Usuellement, on suivra l'organigramme « neuro/respi/cardio » (cf. figures ci-dessous).

- Évaluation du score de Glasgow (indicateur de l'état de conscience), de l'orientation temps-espace, des réponses sensitive et motrice...

- Fréquence, amplitude et qualité de la ventilation ;

- Qualité, fréquence et rythme du pouls ; prise de pression artérielle (fig. 1) ;

- À ce moment, il faut que l'alerte soit effective ;

- Mobilisation (fig. 2) en respectant l'axe tête-cou-tronc et pose d'un collier cervical, ou « maintien tête latéro-latéral » seul, si secouriste isolé (potentiellement traumatisé du rachis) ;

- Libération des voies aériennes supérieures (fig.3) (pas de Heimlich systématique) ;

- Sortir de l'eau si besoin et sécher (pas de frictions afin de limiter les mouvements liquidiens et vasculaires, la mobilisation du volume sanguin secondairement au réchauffement peut poser problème (désamorçage de la pompe cardiaque, ou augmentation des pressions cardiaques de remplissage) ;

- Oxygénation précoce (fig. 4) : masque haute concentration (aquastress ou petit hypoxique), voire insufflateur manuel (Bavu, pour grand hypoxique ou anoxie) ; les débits d'oxygène nécessaires sont référencés dans le Guide national de référence PSE 1 (3) ou dans les recommandations concernant la formation aux gestes et soins d'urgence (FGSU) niveau 1+2, partie technique ;

- Réanimation cardio-pulmonaire en cas d'arrêt cardio-respiratoire (ACR). Pour l'adulte, c'est une des exceptions où la réalisation de cinq insufflations préalables au massage cardiaque externe seront nécessaires, l'ACR étant probablement d'origine hypoxique (4). Mise en place du défibrillateur automatisé externe si disponible ;

- En l'absence d'ACR, position demi- assise, ou latérale de sécurité (PLS) ;

- L'accompagnement psychologique doit trouver sa place dans la prise en charge technique, afin de rassurer la victime et réduire son stress. L'explication de l'action de secours permettra de la faire adhérer à la prise en charge en cas d'agitation.

Le bilan doit être précis et faire passer plusieurs éléments. En plus de la « photo de situation » à transmettre au permanencier ou à l'opérateur, il faut transmettre toutes les actions de secours entreprises (y compris l'éventuelle protection), et les résultats obtenus après ces actions, ainsi que les antécédents médicaux, chirurgicaux, éventuellement obstétricaux, ainsi que les allergies de la victime, s'ils sont disponibles.

Prudence. Les secouristes prendront soin d'avoir à disposition immédiate une aspiration fonctionnelle et efficace, et une quantité suffisante d'oxygène (au minimum 1 m3, soit une bouteille de 5 litres à 200 bars).

La prudence sera également de mise tant pour le brancardage (mouvements de liquides intravasculaires dans un corps où les réflexes sympathiques et parasympathiques d'accommodation sont perturbés), que sur le plan du réchauffement, qui doit être médicalement guidé.

CONDUITE À TENIR INFIRMIÈRE

Réévaluation générale de l'état clinique et paraclinique du patient, des gestes de secours entrepris et de l'évolution générale de la situation.

En fonction des protocoles ou de prescriptions médicales (5), l'infirmière pourra par exemple poser une voie veineuse, préparer des drogues d'urgence telle que l'adrénaline, effectuer la pose précoce d'une sonde nasogastrique ou orogastrique pour vidange digestive (6). Ces gestes ne seront réalisés que lorsque les soins de secourisme seront commencés, voire effectués.

Particularités :

- Prudence en cas d'hypothermie (notamment pour les mobilisations) ;

- Risque d'incompétence myocardique ;

- Amines (qui peuvent être inefficaces en cas d'hypothermie) ;

- En cas d'ACR persistant : poursuivre la réanimation cardio-pulmonaire jusqu'à l'hôpital...

- L'oxygénothérapie hyperbare (OHB) peut être envisagée en cas de noyade au cours d'une plongée en appareil.

En plus de son rôle de « préventionniste », en santé publique, quant aux risques de la vie courante, l'infirmière doit savoir prendre en charge de manière précoce, efficace et complète la victime d'un accident à type de noyade. La chaîne de secours n'en sera que consolidée, et l'avenir de la personne amélioré.

1- Enquête Noyades 2004 publiée par l'Institut de veille sanitaire (InVS) en 2005.

2- Enquête Noyades 2002 publiée par l'Institut de veille sanitaire en 2002.

3- « La défibrillation automatisée externe », Référentiel national Premiers secours en équipe 1 (PSE 1), janvier 2007, disponible sur http://www.interieur.gouv.fr.

4- Guide national de référence PSE 2, également téléchargeable librement.

5- Article 13 du décret de compétences IDE 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier.