Un deuxième printemps - L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 252 du 01/09/2009

 

handicap

Reportage

Chaque année, des membres et bénévoles val-de-marnais de l'Association des paralysés de France partent quelques jours en voyage, repoussant les frontières entre valides et handicapés.

Ce matin, toutes les unités de la délégation APF 94 (Association des paralysés de France du Val-de-Marne)(1), se retrouvent à 6 h 30 au presbytère d'Alfortville. Alors que nous parvenons au lieu du rendez-vous avec la PAM (Paris Accompagnement Mobilité), se dessinent dans la pénombre de petits groupes épars, heureux de se retrouver, déchirant le silence du jour par quelques éclats de rire. Une atmosphère de joie enfantine et chaleureuse se dégage de ce petit monde un brin assoupi. Un sympathique capharnaüm de bagages et véhicules en tous genres, qui se dispersent sur le parvis. En quelques instants, ils trouveront place à bord d'un véhicule, portés par la promesse de dix jours hors du commun. Départ pour les Alpes-de-Haute-Provence, direction La Bréole, un petit village surplombant le lac de Serre-Ponçon.

La genèse du groupe remonte à novembre 1968. Liliane, Jean-Pierre et Gérard cherchent un moyen d'offrir à toutes personnes souffrant d'un handicap moteur la possibilité de prendre des vacances. Comme tout le monde. Ce « comme tout le monde » semble être le protocole de départ, la clé de voûte de l'existence de la délégation du 94. Ils recrutent les premiers vacanciers parmi les adhérents de l'APF.

Non à la « vie de con » !

Avant d'être contacté par l'équipe, Vladimir a passé la moitié de son existence dans un hospice. « Ma vie était une vie de con... et puis un jour, j'ai reçu une lettre de M. Rousseau, premier délégué Val-de-Marne, qui me conviait à la délégation... Bon ! Pourquoi pas ? Et puis j'ai rencontré Liliane et les autres. Ils ont fait une réunion avec moi pour créer le groupe. J'avais trente ans. » À la suite de cette rencontre, il est logé avec quatre autres personnes dans deux appartements loués par l'APF à Ivry-sur-Seine. Vladimir vit aujourd'hui avec son épouse dans un centre à Bouffémont (Val-d'Oise).

Pendant les premières années, les personnes handicapées s'occupent d'autres personnes handicapées. La personne directement concernée n'est-elle pas la mieux placée pour savoir ce qui lui convient le mieux ? Les valides n'ont-ils pas souvent tendance à victimiser les personnes en situation de handicap ?

L'arrivée en 1974 de Bernard Le Ligné, figure de proue des premiers bénévoles valides, sollicité par son épouse Michèle, change la donne. « À l'époque, c'était une bande de copains qui sortaient, confie Bernard. Un dortoir, une douche par semaine. Avec le temps, tout a changé. Il a fallu mieux s'organiser. Les gens vieillissent, et puis un jour, nous avons eu les premières personnes atteintes par la sclérose en plaques... C'est fragile. Ce ne serait plus envisageable aujourd'hui de prendre des chambres sans douche... Avant, on louait une maison. On employait une cuisinière du village et on tournait comme ça. »

Autour de l'Hexagone

L'histoire du groupe demeure gravée dans les innombrables albums photos réalisés minutieusement au fil des années. Les châteaux d'Auvergne, Noirmoutier, l'Alsace, plus récemment Annecy et maintenant les Alpes-de-Haute-Provence. Au programme de ce séjour : rafting, balade dans la ville de Sisteron, en bateau sur le lac de Serre-Ponçon...

« Personnes normales »

Le paysage défile sur l'autoroute, au rythme de la radio. Nous sommes cinq à bord du véhicule de Nicolas, grand gaillard aux airs un peu gallois, seul capitaine à bord. Bénévole depuis une bonne dizaine d'années, Nicolas, jardinier de profession, offre l'équivalent d'un mois de son temps par an pour accompagner des groupes de personnes handicapées. Son credo : « Je me suis toujours dit que c'étaient des personnes normales, qui avaient besoin d'aide. »

En fin de journée, le groupe se réunit sur le site. Nous sommes une petite soixantaine... quand même ! Les bénévoles viennent d'horizons professionnels très variés : recherche scientifique (Nicolas et Marion), jardiniers (Nicolas et Marc), étudiants (Émilie), jeune infirmier en réanimation et chirurgie (Julien), informaticien (Hervé), étudiante psychomotricienne (Mathilde)...

Comme le souligne Ambre, atteinte d'un « handicap de l'équilibre », la force du groupe réside dans l'abolition des frontières entre les bénévoles et les handicapés. Tout le monde loge à la même enseigne. Cependant, les anciens veillent à ne pas associer un bénévole inexpérimenté avec une personne trop handicapée. La force du groupe repose aussi sur l'énergie des personnes handicapées. Celle de Jean-Pierre, atteint de sclérose en plaques depuis quarante ans, soucieux d'être toujours actif. Depuis quinze ans, il apprécie au sein du groupe « une très belle ambiance d'entraide, une profonde solidarité qui s'exerce dans le temps et sur la durée ».

Tout le monde cotise

Tous les membres s'accordent à dire qu'ils n'ont rencontré aucun autre groupe de ce type. Outre l'engagement exceptionnel de certains bénévoles, la culture de l'égalité qui règne parmi les membres est à l'origine de cette cohésion. Pour participer au séjour, tout le monde cotise. La relation employeurs-employés n'existe pas et la notion de service est totalement estompée du fait de la cotisation et de l'engagement de chacun à respecter l'autre. « Si quelqu'un est pénible, tu peux le lui dire », estime Bernard.

Garder le souffle

En revanche, la pérennité d'un groupe engagé dans l'aventure depuis quarante ans pose question. Les jeunes auront-ils la même dynamique que les anciens, leur régularité, leur organisation ? Ce n'est pas l'avis de tout le monde... Mais les plus âgés ne doivent-ils pas apprendre à faire confiance aux jeunes, qui se rapprochent de la trentaine pour la plupart ? Un défi attend la « relève » : continuer à innover, tout en préservant la simplicité et la convivialité du groupe. La piste n'est pas toute tracée, mais elle réserve encore bien des promesses.

1- Contact : Bernard Le Ligné (b.leligne@gmail.com).