À l'assaut du premier poste - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

emploi

Enquête

À la sortie de l'Ifsi, les étudiants n'ont pas vraiment de difficultés à trouver un emploi. Face à leur embarras du choix et à leur goût pour la mobilité, les employeurs multiplient les initiatives pour les attirer.

Argumentaires alléchants, offres d'emploi omniprésentes sur les sites d'établissements, formulaires de candidature en ligne, possibilité d'abonnement aux offres d'emploi, « opérations séduction » dans les Ifsi... les établissements de santé rivalisent d'imagination pour attirer vers eux les infirmières tout juste diplômées. Contrairement à ce qui se passe sur le marché du travail « classique », la concurrence s'exerce plus du côté des employeurs que de celui des candidats ! « Je ne me faisais aucun souci quant aux possibilités de trouver un travail » à la sortie de l'Ifsi, se souvient Anne-France, diplômée en 2002. Idem pour Sébastien, de la promotion 2000 : là où il a fait ses études, « le marché était super ouvert. Il y avait de la place partout, de quoi largement absorber la promo. »

Face à la pléthore de postes qui leur tendent les bras, les étudiants ne se font pas réellement concurrence, observent des infirmières diplômées. Nicolas apporte une nuance : « Je pense qu'il y avait une concurrence mais cela ne se ressentait pas dans les relations interindividuelles. C'est comme pour les stages de DE, il y avait plus d'étudiants qui voulaient faire leur stage en réa que de places disponibles. Personne n'a lâché le morceau et on est allés jusqu'au tirage au sort. On se disait qu'on avait plus de chances de faire le stage dans la discipline qu'on voulait en passant par le tirage au sort qu'en renonçant... »

Concurrence inversée

Même si tous les postes vacants ne sont pas ouverts au recrutement, bien des régions, établissements ou disciplines peinent toujours à pourvoir les postes indispensables à leur fonctionnement. C'est le cas en Île-de-France, par exemple, région qui peut réserver des conditions de vie difficiles (loyers élevés, longs temps de transports). Mais aussi de régions plus ou moins rurales (comme celle de Nevers) ou éloignées d'une grande ville ou encore de régions où les infirmières sont peu mobiles (en Bretagne, par exemple). Une ville comme Nice, aussi attrayante puisse être sa situation géographique, attire peu du fait du niveau des loyers pratiqués... Sans parler des disciplines notoirement mal- aimées, à tort ou à raison, comme la gériatrie ou la psychiatrie.

« Certains étudiants ont des projets professionnels très précis, y compris dans ces disciplines, mais n'ont pas souvent envie de se fixer tout de suite et préfèrent aller voir ailleurs », constate Catherine Mercadier, qui a dirigé l'Ifsi de Montauban puis celui de Millau et prépare, dans le cadre de sa formation à la direction de soins, un mémoire sur la fidélisation des nouveaux diplômés sur leur territoire de formation. S'ils veulent travailler aux urgences, ils préfèrent commencer par un service de pointe où ils peuvent continuer de se former, que celui d'un petit établissement... Futurs et jeunes diplômés « ont un niveau d'exigence très différent de celui de ma génération », observe encore la directrice d'Ifsi. Encore jeunes, « ils ont aussi envie de vivre en ville, de pouvoir sortir, rencontrer leurs copains, ajoute-t-elle. Ils se disent qu'ils reviendront plus tard » dans leur (plus) petite ville. Et ils ont parfaitement compris qu'ils trouveraient du travail partout.

Opérations séduction

S'ils ne le savaient pas déjà, les établissements le leur ont fait bien comprendre lors des séances d'information qu'ils organisent dans les Ifsi. En 2008, Catherine Mercadier a ainsi eu la surprise d'être sollicitée par plusieurs hôpitaux, cliniques, maisons de retraite ou encore sociétés d'intérim qui souhaitaient faire connaître leurs débouchés aux étudiants en fin d'études. Des forums organisés ici ou là permettent aussi de rapprocher employeurs et futurs professionnels.

« Ce qui m'étonne, souligne Catherine Mercadier, c'est qu'on cherche à répondre au manque de soignants en augmentant les quotas et pas en prévenant certains abandons. Par rapport aux quotas de départ, il y a 20 % de déperdition. Il faut se demander pourquoi des infirmières quittent la profession. Et faire en sorte de maintenir sur le terrain les infirmières formées pour éviter cette déperdition de compétences. Je trouve que les stages ne donnent souvent pas assez envie aux étudiants de travailler sur place. Il y a un gros travail à mener en direction des Ifsi et sur les terrains de stage. Certaines régions y mettent des moyens en fonction de leurs besoins. Sur le plan national, le projet de tutorat devrait y contribuer. »

Le CHU auquel était adossé l'Ifsi de Nicolas, diplômé en 2005, a communiqué auprès des futures infirmières, diligenté son DRH pour présenter l'établissement, ses opportunités de carrière « et nous inciter à rester travailler sur un lieu qu'on connaissait déjà, où on avait déjà des repères », se souvient-il.

À plus grande échelle, le conseil régional de Bourgogne s'est engagé aux côtés des établissements (et des patients !) pour inciter les jeunes diplômés des Ifsi à rester travailler dans leur région de formation. Son dispositif Réciprosanté, mis en place en 2004, « vise à rapprocher les besoins en emploi des territoires et des établissements de santé et les étudiants » en leur permettant de conclure un contrat « gagnant-gagnant », explique Christelle Cordier, responsable des formations sanitaires et sociales au conseil régional bourguignon. Son service recense chaque année les postes qui seront disponibles à la sortie des étudiants en Ifsi, et publie dans chacun la liste des établissements qui en proposent (sans préciser les disciplines).

Pré-embauche

Les étudiants intéressés peuvent contacter les responsables du recrutement de trois établissements, les rencontrer et passer un véritable entretien de pré-embauche. Si les deux parties s'accordent, elles signent un contrat selon les termes duquel l'étudiant perçoit chaque mois jusqu'au DE une allocation d'études en échange de l'engagement à travailler dans l'établissement pendant 36 mois s'il est en deuxième année d'Ifsi, et 18 mois s'il est en troisième année. Le montant de cette allocation, financée par le conseil régional et les établissements de santé concernés, varie. Il s'élève à 465 euros mensuels pour les étudiants qui s'engagent à travailler dans un hôpital ou une clinique situé en zone urbaine, et à 600 euros si leur futur employeur est situé dans un secteur rural ou s'il relève de la gérontologie ou de la psychiatrie.

Près de 500 contrats Réciprosanté ont été conclus depuis 2005, dont la quasi- totalité par des étudiants infirmiers (le dispositif concerne aussi les étudiants kinés et sages-femmes). Et le taux d'échec ne s'élève qu'à 10 %, observe Christelle Cordier. Il peut s'agir d'abandons de scolarité ou de démission en cours de contrat. Dans ce cas, un échéancier est fixé afin que la personne rembourse une partie de ce qu'elle a touché pendant ses études, au prorata du temps de travail non effectué. Si une infirmière est mutée au sein du même hôpital, son contrat continue. Mais en cas de changement d'établissement, elle peut demander à son nouvel employeur de racheter la part « établissement » de l'allocation à l'hôpital qu'elle a quitté, et qu'elle n'a donc pas besoin de rembourser. Si son nouvel hôpital (ou clinique ou autre) est situé en Bourgogne, elle n'aura pas à rembourser la part « conseil régional » de son allocation... Un dispositif pionnier, judicieux, qui repose sur une information intense auprès des étudiants et des établissements et sur leur capacité à prendre en compte les désirs des uns et les besoins des autres. À défaut d'une telle organisation régionale, certains établissements proposent un type de contrat un peu comparable qui lie une allocation d'études à l'obligation de travailler au sein de l'hôpital pendant une durée négociée.

Position de force

Dans cette situation de pénurie, même inégalement répartie, les étudiants et jeunes diplômés se retrouvent dans une indéniable position de force. Sébastien, par exemple, n'a postulé qu'auprès d'un seul établissement, le CHU dont dépendait son Ifsi. « C'était ça ou rien », se souvient cet ancien manipulateur radio, qui avait hâte d'être « lâché sur le terrain ». La procédure de recrutement très légère (il avait déjà effectué des stages dans la maison) le conduit directement en réanimation pédiatrique, quinze jours après sa sortie de l'Ifsi ! Nicolas a suivi quasiment le même parcours : stage en réanimation, proposition d'un poste, candidature auprès du CHU, entretien d'embauche informel où il s'est plus agi de recueillir ses desiderata que d'évaluer sa compétence ou sa personnalité... Sauf qu'au moment de signer le contrat, le poste en réanimation avait été attribué à un autre. Il accepte un CDD de trois mois en pneumologie contre l'assurance d'intégrer la réanimation ensuite. Mais après avoir patienté encore trois mois, il claque la porte et change de région sans aucune hésitation.

Liberté chérie

Elle aussi attirée par les activités très techniques, Anne-France a postulé dans trois gros établissements de province alors qu'elle avait étudié à Paris. Pas question de retourner dans sa Bretagne natale (les offres d'emploi y sont moins nombreuses qu'ailleurs) ni de rester en Île-de-France. L'un des trois lui a d'emblée proposé un poste en réanimation, et elle a déménagé à 800 kilomètres de là...

De son côté, Séverine (diplômée en 2006), qui ne savait pas du tout dans quel type de service elle voulait travailler, s'est lancée dans l'intérim dès sa sortie d'Ifsi. « Avec toutes les difficultés que cela peut comporter », précise-t-elle, notamment en termes d'adaptation et d'irrégularité. Mais « je voulais tester différents services avant de me fixer. Et puis je n'étais pas sûre de rester dans la région », explique-t-elle. Alléchée par le salaire d'un poste de nuit en CDI, elle peine à suivre le rythme et démissionne : « Tout le monde, autour de moi, me disait que j'étais folle de faire cela ! »

Nourrie par la certitude de trouver du travail facilement, cette position de force se consolide pendant les premières années de carrière : les infirmières sont de plus en plus nombreuses à quitter un poste quand les conditions de travail ne leur conviennent plus. « C'est une jeunesse qui a intégré la mobilité et n'hésite pas à démissionner pour trouver un poste plus conforme à ses aspirations », note Catherine Mercadier. Anne-France n'a ainsi pas hésité à faire jouer la concurrence entre deux établissements. Alors qu'un hôpital un peu éloigné lui proposait un poste qui l'intéressait, elle a demandé à l'établissement le plus proche de lui offrir mieux... « Quand on sait qu'on n'a pas à s'en faire pour avoir un emploi et de quoi manger, les priorités ne sont plus les mêmes et on peut relativiser », remarque Nicolas, en cours de formation d'Iade.

Même assurés - ô luxe - de trouver un emploi, les tout jeunes diplômés se retrouvent tous dans la même situation. Solidaires face aux difficultés des débuts mais seuls, tout de même, face au poids des responsabilités et des conditions de travail qui n'ont plus rien à voir avec l'individualisme et le rythme étudiants, et à ces passionnants patients.

vrai/faux

DES RÊVES À L'EMPLOI

> Les jeunes diplômés veulent tous commencer dans un service « technique ».

FAUX. Selon Catherine Mercadier, beaucoup d'étudiants se projettent dans les disciplines où le relationnel prime sur la technique.

> Des régions ont mis en place des dispositifs incitatifs pour « fixer » les étudiants sur leur territoire.

VRAI. Le conseil régional de Bourgogne a créé un contrat liant la perception d'une allocation d'études à l'engagement de l'étudiant à travailler dans un établissement de la région. D'autres régions s'en inspirent.

> Les jeunes diplômés trouvent toujours un poste dans la discipline de leurs rêves.

VRAI et FAUX. Dans les zones les plus déficitaires en infirmières, ils ont plus de chances de trouver un poste correspondant à leur souhait, mais ils doivent le plus souvent faire preuve d'un peu de patience ou de mobilité.