À la pointe du mieux-être - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

le Centre de Perharidy

24 heures avec

Auprès d'enfants et adolescents porteurs de maladies graves et de séquelles d'accidents, comment allier la réadaptation fonctionnelle à la réinsertion familiale et scolaire ? Illustration à Roscoff.

Une presqu'île du Finistère nord entourée de plages de sable fin et de rochers. Au large, l'île de Batz et, en face, le port de Roscoff. Pour s'y rendre, il faut contourner une baie découverte à marée basse. Là, au milieu d'arbres centenaires, le Centre de Perharidy (1), importante structure médicale de 270 lits, propose soins de suite et rééducation fonctionnelle. L'objectif ? Accompagner les patients vers plus d'autonomie. Parmi les différents domaines de compétence de l'établissement, le service de médecine physique et de réadaptation pédiatrique dispose de 37 lits pour des hospitalisations complètes, et de cinq places à temps partiel. Il est 7 heures. Tandis que l'équipe de nuit s'éclipse, les enfants se réveillent. Les levers s'échelonnent. « Tout est personnalisé : école, rééducation, visite médicale... On articule tout ça et on veille à obtenir une harmonie, explique Anne Baron, cadre de santé. Ici, on bénéficie d'un service central de planification. »

Les patients ont entre 3 et 18 ans. « Nous ne recevons pas de tout-petits, ou alors c'est exceptionnel. » Le service est réputé pour son savoir-faire, une grande maîtrise et des installations orthopédiques de pointe. L'équipe, d'une quarantaine de personnes, est animée par des médecins spécialisés et dispose de plateaux de kinésithérapie, d'ergothérapie, d'orthophonie et de neuropsychologie, ainsi que d'équipements spécifiques et d'un centre de balnéothérapie. « Ce qui est important, c'est de ne pas sortir l'enfant du temps fort qu'est la scolarité et de lui laisser un temps pour lui, pour souffler », ajoute-t-elle. Le centre dispose de structures d'enseignement allant de la maternelle aux études supérieures. L'équipe pédagogique est constituée d'instituteurs et de professeurs de l'Éducation nationale.

Au fil des saisons

Les mois se suivent sans se ressembler. Entrées, sorties, périodes chargées ou non... « L'effectif soignant s'adapte à ces fluctuations en fonction de la charge de travail, avec des récupérations ou une présence dans d'autres secteurs du centre. Cette gestion n'est pas évidente », ajoute Anne Baron. Sur les 37 lits que compte le service, 14 sont affectés à la rééducation : maladies évolutives, traumatologie simple ou complexe... Le reste concerne la surcharge pondérale et les maladies chroniques aux conséquences nutritionnelles.

Les motifs d'admission en rééducation sont très diversifiés : suites post-chirurgicales, traitements orthopédiques, maladies neuro-musculaires, rééducation post-traumatique, affections congénitales... « Nous voulons que les enfants poussent droit », résume Sylvaine Rumeur, médecin rééducateur et responsable du service. À ses côtés, Céline Faurite (qui exerce la même fonction), pédiatres, néphrologues et pneumologue constituent l'équipe médicale. Les équipes soignantes, éducative et de rééducation travaillent de concert, aux côtés d'une psychologue et d'une assistante sociale, pour une prise en charge pluridisciplinaire de chacun.

La famille sur place

Dès 8 h 30, le service est en pleine activité. Anne Baron et Jacqueline, auxiliaire de puériculture, se transmettent des informations sur les patients dans la salle de soins, une pièce centrale où se trouve la pharmacie, les dossiers des jeunes patients, la planification murale. Certains éléments sont mis en réseau partagé. « C'est le petit point du matin, on récupère le courrier, les messages du soir, les transmissions », explique Hervé Le Mer, infirmier. À quelques mètres de là, dans sa chambre, Sophie, 5 ans, regarde un dessin animé. Immobilisée depuis un an, elle souffre d'une ostéochondrite de hanches avec une inflammation articulaire. « C'est ce qu'on appelle le rhume des hanches. Elle a déjà fait un séjour ici avec un traitement par traction. Elle vient d'être opérée, à Brest, et va rester ici deux mois », explique Brigitte Gresset, kinésithérapeute. Ses deux jambes sont plâtrées. Au centre, Sophie va à l'école allongée sur un chariot. Sa maman et sa grand-mère se relaient pour rester près d'elle. Le week-end, elle rentre à la maison. « C'est le type de famille avec lequel la prise en charge est positive. Certaines familles sont trop absentes et il faut aller vers elles. Il y a pourtant des lits d'appoint dans les chambres ou la possibilité de loger dans l'hôtel des familles, insiste Anne Baron. La clef, c'est la famille qui nous la donne. »

Situé au même étage, le plateau de rééducation. À travers ses baies vitrées, la grande salle plonge sur la mer. « C'est très intéressant d'avoir une salle de kiné à proximité du service, les enfants sont plus autonomes pour venir », opine Franck Le Bihan, kinésithérapeute. Il fait travailler l'épaule de Marion, 18 ans, qui a une luxation récidivante depuis plusieurs mois. « J'ai fait plusieurs séjours à Perharidy après une chute, puis après un accident de mobylette... », raconte-t-elle. Au même moment, Katerina entre dans la salle. Elle a 22 ans et se déplace en chaise roulante. « L'interaction avec le patient est énorme, notamment pour un spina bifida », explique le kiné. Katerina pétille. « Ça fait dix-huit ans que je viens ici », dit-elle avec un accent italien. Elle revient au centre pour faire du Bird, un relaxateur de pression qui permet de développer et d'entretenir sa capacité res- piratoire. Sur un panneau recouvert de photos, on la voit petite fille, puis adolescente. Autonome, elle vient de réaliser une série de photographies sur lesquelles deux très belles femmes posent en pleine nature dans une chorégraphie orchestrée par sa chaise roulante : « Une manière de détourner l'évocation immédiate du handicap. »

Dans les couloirs, des fresques et des héros de BD sur les murs. Spiderman, Lucky Luke, Spirou... colorent la vie du service. À travers les fenêtres, on aperçoit les genêts et les pins maritimes. On entend le cri des mouettes. Une grande salle de lecture et de jeux est équipée d'ordinateurs connectés à Internet. Elle vibre toute la journée d'allées et venues, de discussions, notamment d'adolescents comme Cathy, 15 ans, hospitalisée depuis plusieurs mois : « J'ai été renversée à vélo par un camion. Mes deux poignets ont été cassés. »

Chacun son projet

Réadaptation, coordination et anticipation sont les trois maîtres-mots qui caractérisent le travail de l'équipe soignante, qui se réunit tous les lundis matins pour faire le point. Infirmière ou auxiliaire de puériculture sont référents. On les appelle « garants de projets ». Avec un éducateur, en binôme, ils mettent en place un projet personnalisé pour l'enfant et font le lien avec la famille et les différents intervenants. « Le côté éducatif relationnel est essentiel : ce n'est pas parce qu'ils sont malades que nos patients ne vont pas rester des enfants ou des ados », ajoute Hervé Le Mer.

En fin de matinée, Annie Jaouen, auxiliaire de puériculture, accompagne un petit groupe d'enfants pour quarante minutes de balnéothérapie. Le vestiaire est adapté aux chaises roulantes, avec des petits rideaux. Julien s'installe dans une chaise amphibie. D'immenses baies vitrées et une grande piscine d'eau de mer à 26,6 degrés. Des bains bouillonnants permettent de se relaxer. Il fait chaud : 32 degrés. Dans la piscine, des rambardes et plusieurs niveaux. « On utilise les hauteurs d'eau pour la reprise d'appui. C'est comme le principe d'Archimède. Ce qui est intéressant, c'est de marcher dans l'eau sans contraintes », s'enthousiasme Franck, maître-nageur sauveteur. Il se dirige vers le bassin à hauteur variable : une plaque est comme suspendue au-dessus du bassin, le patient s'y place et descend lentement dans l'eau. « Pour des patients de petite taille ou en chaise roulante, cette installation est idéale. »

Après le déjeuner, c'est l'heure des transmissions orales : l'équipe soignante est réunie au complet. Viennent ensuite les consultations. « Dans le monde des enfants, les relations sont particulières, ainsi que la façon de travailler. Les enfants parlent... ou pas. À nous de comprendre », explique Sylvaine Rumeur. Avec une file active d'environ 300 enfants par an, le service constitue une étape intermédiaire vers une certaine autonomie.

En dehors des soins et de la scolarité, des activités alternatives et créatives sont proposées aux petits patients. Dans la salle multi-sensorielle, on stimule les sens en fonction de la problématique de chacun. Dans la pénombre, une musique planante. De grosses bulles colorées grimpent le long des parois d'un tube vertical transparent. Sur le plafond, des étoiles se promènent. Owen a 6 ans. Infirme moteur cérébral, il a besoin d'être stimulé. Il est allongé sur un matelas vibrant et sourit. Corinne Potin, éducatrice, chuchote : « Les enfants sont sensibles à la relaxation, ils retrouvent une sensation de plaisir. Dans cette salle, je propose à Owen de bouger et de faire des choses qu'il ne fait pas naturellement. »

Dehors, le ciel est bleu outremer. Sur la plage, Nancy Gaffric, monitrice éducatrice, accompagne Luke, 7 ans, allongé dans une chaise roulante amphibie, capable d'aller dans l'eau et de rouler sur le sable. Luke, qui souffre d'une maladie neurologique dégénérative, est ébloui par le soleil. Il est contracté et comme arc-bouté dans son fauteuil. « Tu veux donner la main ? », lui demande Nancy en lui montrant des algues mouillées dans sa paume. « Quand c'est non, il ferme les yeux. L'important, c'est d'être le moins possible dans la chambre, de communiquer avec les autres, la vie, la mer », explique-t-elle. « Tu veux toucher le sable ? ». Elle lui met du sable dans la main. Il ferme les yeux. « Émotionnellement, c'est dur, parfois on pleure : alors on en parle avec l'équipe. » Elle prend son élan et plonge les roues du fauteuil dans l'eau, en riant. Luke a l'air content.

« Prendre ta douleur »

Dans un des couloirs, Sylvaine Rumeur accueille le petit équipage après la promenade maritime. « C'est une chance pour la survie de la famille que cette structure existe, insiste-t-elle. Son grand-frère est décédé de la même maladie il y a deux ans. C'est toujours très dur à vivre pour l'équipe. On n'est pas de glace. On soigne avec notre affect, ce qu'on est. On ne peut pas tout laisser au vestiaire. » Il est plus de 17 h 30, le rythme du service ralentit. Dans la salle de jeux, Cathy et ses copines papotent face aux ordinateurs, avant de faire leurs devoirs et de dîner. Elles reprennent, en murmurant, une chanson de Camille : « Je vais prendre ta douleur/ Je vais jouer au docteur... »

1- Contacts. Tél. : 02 98 29 39 39. Internet : http://www.perharidy.fr.