Femme olympique - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

Nada Zeïdan

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Rencontre avec

Infirmière chef en chirurgie, championne de tir à l'arc et pilote de rallye, Nada Zaïdan, habitante du Qatar, incarne une nouvelle génération de Moyen-Orientales terriblement modernes... tout en gardant un oeil sur les traditions.

À 32 ans, élégante et talentueuse, elle navigue entre plusieurs mondes. Soignante et sportive professionnelle, célibataire et pratiquante, Nada Zeïdan reflète assez bien la splendeur bouillonnante et clinquante qui se dégage des grandes villes prospères du Golfe. Elle assume. Elle fait partie de cette nouvelle génération de femmes inscrites dans le sillage de l'énergique Sheikha Mosa, épouse de l'émir du Qatar : moderne, respectueuse des traditions et engagée.

Qui est vraiment Nada Zeïdan ? Née au Liban en 1976, elle a des racines yéménites du côté de son père, et turques de celui de sa mère. À quatre ans, sa famille fuit son pays, alors en guerre civile, pour gagner le Qatar. À huit ans, elle rêve d'entrer dans l'armée. Elle choisit finalement des études d'infirmière... et en parallèle, se lance à fond dans le sport. Nada obtient son diplôme d'infirmière en 2001 à l'université de Doha, la capitale du pays. « J'avais 19 ans et pendant mes études, j'avais commencé à travailler dans un service de chirurgie. Je devais laver un homme avant qu'il entre au bloc opératoire. Il n'a pas accepté car j'étais une femme. Je lui ai demandé de me considérer comme sa fille. À partir de ce moment-là, il voulait que ce soit moi qui m'occupe de tout : lui apporter ses repas, le bassin... Il est mort dans mes bras. »

Aujourd'hui, Nada consacre une partie de sa vie à l'hôpital Rumailah, où elle est infirmière en chef dans le service de chirurgie orale et maxillo-faciale. Mais dès qu'elle quitte la blouse, elle enfile sa combinaison de sport et s'installe au volant de sa Mitsubishi, qu'elle mène régulièrement à la victoire sur les routes des rallyes du Moyen-Orient. En 2004 et 2005, elle remporte la Coupe des dames à Dubaï, en Syrie et au Liban, son pays natal. Ce n'est pas tout. Elle est aussi la première femme qatarie à avoir participé (et par deux fois) aux épreuves de tir à l'arc aux Jeux asiatiques. Enfin, elle est l'ambassadrice que le comité de Doha 2016 avait choisie pour représenter sa candidature aux Jeux olympiques. D'immenses photos où elle tire à l'arc ont recouvert les panneaux d'affichage de Doha en 2008. Au Moyen-Orient, où qu'elle passe, on se retourne vers elle.

Tempérament « direct »

Son envie d'aider va de pair avec une forte exigence envers elle-même. « Je choisis toujours ce qui est le plus compliqué à atteindre. Souffrir pour réussir ses rêves est une belle sensation. Enfant, j'étais silencieuse, calme et discrète. Cela m'a peut-être permis d'observer et de réfléchir. Mes parents m'ont toujours parlé de la souffrance des autres peuples dans le monde. C'est d'ailleurs toujours ce qui me choque lorsque je voyage : la misère, la pauvreté, surtout celle des enfants... »

Ce qui lui plaît dans son métier d'infirmière ? « Essayer de rendre les gens heureux. » Elle dirige une équipe de quinze infirmières. Son rôle ? Organiser, expliquer, régler les problèmes, évaluer les besoins de chaque patient. Six jours sur sept, de 7 heures à 15 heures. « Si mon staff ne s'occupe pas bien des malades, je lui fais passer un sale quart d'heure... » Son pire défaut, c'est la colère. « Je n'aime pas être trop gentille car j'ai parfois l'impression que l'on se sert de moi. » Bien qu'elle essaie quand même de s'améliorer, elle ne peut pas s'empêcher d'être « directe ». Ni de se donner, à fond.

Concentration

Le sport, c'est son exutoire. « Quand j'ai commencé à travailler à l'hôpital, je me suis dit qu'il me fallait du temps libre. C'est important pour moi. C'est à cette époque-là qu'il est devenu possible pour les femmes de pratiquer le tir au Qatar. Il me restait ce rêve d'enfance de faire l'armée... je me suis donc inscrite à la fédération, et j'ai aimé ça. » Se concentrer sur une cible lui permet de ne pas penser. Elle jongle donc entre son poste d'infirmière et ses activités sportives. « Si je dois être au bloc le matin, l'après-midi je fonce faire du tir. En fait, je n'arrête pas, mais je sais aussi prendre le temps de rester seule avec moi-même pour penser. » Insatiable, elle pratique différentes disciplines sportives : tir, tir à l'arc, rallyes, compétitions de haut niveau en taekwondo. Et monte beaucoup à cheval. Mais c'est au tir à l'arc qu'elle atteint le meilleur niveau. Un sport qui requiert un corps solide et beaucoup de concentration.

Pour se ressourcer, ce que Nada Zeïdan préfère, c'est passer du temps avec les Bédouins. Sa grand-mère paternelle était bédouine. Elle se sent proche des nomades du désert. « Ils ne sont pas pauvres. Leur défi, c'est leur quotidien, leur propre vie au sens vital et essentiel. Ici, au Qatar, tout est facile : du téléphone à l'eau courante en passant par l'éducation, la santé, la sécurité... » Elle se pose souvent cette question : comment vivaient les gens avant nous, avant ce genre de vie que proposent les pays riches ?

Tenue adaptée

L'infirmière s'impose dans un monde de femmes à l'hôpital, et dans un monde d'hommes dans les clubs sportifs ou dans les stades. « Au début, les hommes de la fédération de tir voulaient que je m'en aille. C'est donc devenu un challenge pour moi. » Le temps et l'acharnement jouent en sa faveur. Elle y reste sept ans. Il faut dire que Sheikha Mosa, l'épouse de l'émir, très impliquée dans l'émancipation des femmes, a fait changer beaucoup de choses depuis une dizaine d'années : le droit de voter et d'être élue, le droit d'hériter de la terre. Elle a aussi ouvert des centres d'appels pour les femmes battues et largement investi dans l'éducation. « Mais je ne sais pas si les hommes apprécient que certaines femmes puissent les égaler ou les dépasser. »

D'ailleurs, comment fait-elle pour sa tenue de sport, dans un pays où l'islam est la religion officielle ? Surtout en été, où la température peut atteindre les 50 degrés ? « Les femmes arrêtent souvent de faire du sport pendant cette saison pour éviter de trop se dévêtir. Je me suis confectionné une tenue adaptée à la fois aux règles islamiques et au cahier des charges de la compétition sportive : un pantalon, une chemise ajustée et une veste par-dessus pour cacher mon corps. » Sans oublier une casquette spéciale pour se couvrir la tête. En Corée, en 2002, elle portait un voile qu'elle avait glissé dans sa chemise. Pourtant, elle ne porte pas le hijab. Ce qui ne contredit en rien ses convictions religieuses.

Depuis deux ans, elle eu quelques accidents. En 2005 d'abord, à Abu Dhabi, pendant un rallye, mais rien de grave. Et puis, en 2007, elle s'est blessée à l'épaule pendant une compétition de tir à l'arc. « Je me suis forcément remise en question. Mais ma carrière sportive continue : d'ailleurs, si je réunis suffisamment de sponsors, j'envisage de courir le prochain Dakar. J'aime appuyer sur l'accélérateur d'une voiture... Et puis, transpirer, être sous tension, oublier un temps que je suis une femme... »

moments clés

- 1976 : naissance à Beyrouth.

- 1980 : arrivée à Doha, Qatar.

- 1996-2001 : études à l'université de Doha, section infirmières.

- 2001 : diplôme d'État.

- Depuis 2001 : infirmière puis infirmière en chef dans le service de chirurgie orale et maxillo- faciale de l'hôpital Rumailah de Doha.

- 2002 : XIVes Jeux asiatiques, tir à l'arc, en Corée du Sud.

- 2004-2005 : en rallye, remporte la Coupe des dames, à Dubaï, en Syrie et au Liban.

- 2006 : XVes Jeux asiatiques, tir à l'arc, à Doha, au Qatar.