Ils dévalent les pistes pour remonter la pente - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

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Chaque hiver, des patients tétraplégiques ou paraplégiques s'en vont pratiquer le handiski à Formiguères, une petite station des Pyrénées. Une étape précieuse et motivante dans leur parcours de réadaptation.

Le handiski, une pratique de haut vol sublimée par d'anciens patients ayant réussi à surmonter leur handicap ? Bien sûr. Mais pas seulement. Un formidable outil thérapeutique aussi. Cadre coordinateur des activités physiques adaptées (APA) au centre mutualiste neurologique Propara de Montpellier, spécialisé dans l'accueil des blessés médullaires, Jean-Marc Barbin en a eu l'intuition dès 1985, date de l'introduction en France de ce nouveau sport adapté. Son idée : « Faire vivre le plus tôt possible à des patients tétraplégiques et paraplégiques souffrant de lésions de la moelle épinière une aventure extraordinaire, un moment-clé sur lequel ils pourront prendre appui dans leur parcours de réadaptation. »

Ce féru de montagne intègre l'équipe de soins de Propara en 1986, et à peine un an plus tard, avec l'aide d'un ami pharmacien fabriquant de matériel orthopédique, il tente l'expérience en proposant une initiation au ski assis à trois patients du centre. Réapprivoiser son corps traumatisé, le quotidien qui déboussole, en se confrontant justement à « l'extrême » des pistes enneigées... ce premier essai transformé permet très vite de mobiliser différents partenaires autour d'un projet pérenne : l'organisation chaque hiver de stages thérapeutiques handiski de cinq jours pour des patients et anciens patients de Propara.

étudiants bénévoles

Au coeur du projet, le centre lui-même, associé au Montpellier Club Handisport (soutenu par les comités départemental et régional handisport) et à l'UFR Staps (1) filière APA de l'université de Montpellier 1. Le premier accepte de détacher, le temps des stages, une infirmière, un brancardier et un responsable APA (Jean-Marc Barbin) ; le second s'engage dans l'achat de matériel adapté et dans l'organisation des séjours ; et une vingtaine d'étudiants en Staps, bénévoles, sont formés chaque année pour accompagner les patients sur les pistes. Encadrement sportif et médico-technique, au total près d'une quarantaine de personnes sont mobilisées. Et à chaque stage, une petite quinzaine de skieurs en situation de handicap - dont trois patients en cours d'hospitalisation - peuvent ainsi dévaler les pentes de la petite station de Formiguères, dans les Pyrénées-Orientales.

« Métamorphose »

Quelque vingt ans plus tard, la formule perdure, à raison de deux stages par an, en janvier et en mars. Elle s'est même ouverte, cette année, à des « petits nouveaux » : des patients récemment sortis du centre de médecine physique et de réadaptation (CMPR) de La Tour de Gassies, à Bruges (Gironde), emmenés par Johan Rouvillois, professeur en APA au sein de cette structure. Ayant goûté à l'aventure en tant qu'étudiant-encadrant en 2005, séduit au point d'intégrer l'équipe organisatrice des stages, le jeune homme, une fois en poste, a voulu faire profiter ses nouveaux patients de cette expérience unique. Il avait imaginé une coopération intercentres... mais celle-ci ne s'est pas faite. Pas découragé pour autant, il a fait appel au mécénat pour financer l'essentiel de son projet, posé deux semaines de vacances, et convaincu une amie infirmière au CHU de Bordeaux, Patricia Marchal, de l'accompagner. Résultat : six anciens patients de Gassies (trois par stage) ont pu partir pour Formiguères.

Une sacrée dose d'énergie déployée, certes ! Mais c'est que le jeune professeur avait vu combien ces stages pouvaient « métamorphoser les patients ». « Skier, c'est se centrer sur une dynamique d'apprentissage et relationnelle où le corps, sans nier sa déficience, redevient l'instrument de la réussite sportive, et ne représente plus un obstacle dans la rencontre avec l'autre », souligne-t-il. L'aspect exceptionnel du cadre montagnard et les sensations fortes procurées par la glisse constituent un « booster » exceptionnel en termes de réadaptation.

Affronter, tétraplégique ou paraplégique, les pentes enneigées ne se fait certes pas sans appréhensions, précisent les responsables du stage. « Comment va-t-on voyager ? De quels vêtements aurai-je besoin ? Comment vais-je faire pour m'habiller ? Et pour mon sondage ? » Les patients ont beau être volontaires et avoir l'accord de leur médecin, les questions fusent avant le départ, souligne Johan Rouvillois. L'inquiétude est tout aussi forte que l'excitation face à ce nouveau cadre, cette nouvelle situation à gérer. Reflet, justement, de la force thérapeutique du projet. Loin du « cocon » que peut représenter le milieu hospitalier, les blessés médullaires participant aux stages gagnent à chaque instant en autonomie, contraints qu'ils sont de devoir gérer une foule de « petites choses », voire de s'adapter à l'imprévu : se lever, pour être à l'heure sur les pistes, et s'habiller - avec l'aide nécessaire - de façon à gérer le froid. Déjeuner suffisamment avant de partir, en veillant à bien s'installer sur son kart-ski ou son dual-ski pour prévenir les escarres.

Les infirmières veillent !

Tranquillisés par la présence des étudiants, en binôme le long des pentes et au départ et à l'arrivée du téléski, les participants apprennent à maîtriser leur motricité nouvelle, leur équilibre. Gare aux chutes ! La première qui fait peur. Les suivantes qui amusent, car elles se font en toute sécurité... et appartiennent aux joies du ski.

Peu à peu, chacun à son rythme, l'appréhension cède la place au plaisir. « D'autant que la présence de deux infirmières rassure, c'est vrai », souligne Thierry Jason, un jeune tétraplégique récemment sorti de La Tour de Gassies. Patricia Marchal et sa collègue de Propara sont présentes le matin pour aider au lever et à la toilette, le midi sur les pistes pour les soins de type sondage urinaire, le soir lors du coucher pour veiller notamment à la prévention des escarres. Et sur les pistes le reste de la journée, munies de talkies-walkies, elles sont là au moindre imprévu. Encadrement rassurant. Et émulation par les pairs, souligne Jean-Marc Barbin, qui note combien la rencontre entre blessés toujours hospitalisés et anciens patients permet aux uns et aux autres d'avancer. On s'échange conseils techniques pour maîtriser son kart-ski... et, au fil des discussions, on apprivoise le fait que oui, il y a une vie après le trauma, même grave.

Sensations retrouvées

« Le stage de handiski c'est aussi ça, insiste Patricia Marchal, rompre l'isolement, la tentation logique de repli sur soi, la perte de confiance. » D'ailleurs, précise Jean-Marc Barbin, « quand on demande aux patients ce qu'ils retiennent de leurs cinq jours, la plupart d'entre eux n'évoquent pas tant l'exploit sportif que la confiance retrouvée, l'autonomie réapprivoisée. » Thierry Jason acquiesce. Comme lui, quelque 700 tétraplégiques et paraplégiques, dont 150 patients en cours d'hospitalisation, ont bénéficié de ces stages depuis 1987. « Une bouffée d'oxygène incroyable ! commente-t-il. Skier, c'est retrouver des sensations, dans son corps, dans sa tête. Ce dont on n'a plus l'habitude quand on vient d'avoir un accident grave. C'est se sentir vivant. Et réapprendre à faire des choix et des projets. » Tout sourire, le jeune homme énonce les siens : repartir skier bien sûr ! Et s'inscrire dans un club de rugby, un club de voile, terminer sa formation professionnelle de dessinateur sur informatique. Avant, un jour peut-être, de regoûter au parapente qu'il pratiquait autrefois.

1- Staps : sciences et techniques des activités physiques et sportives.

contact

- Montpellier Club Handisport : 04 67 41 78 19.

- CMN Propara : 04 67 04 67 04.

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