La psychiatrie passe aux actes - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

avignon

Reportage

Depuis vingt ans, la troupe du Théâtre de l'Autre scène, créée au sein de l'hôpital psychiatrique de Montfavet, fait monter patients et soignants sur les planches. Cet été, ils jouaient Vol au-dessus d'un nid de coucou au festival off d'Avignon.

«On se croirait dans une maison de fous ! » Les rires fusent dans la salle, en cette chaude après-midi avignonnaise. Solidement campé dans sa robe de chambre en soie, l'acteur savoure son petit effet. Pour ses vingt ans d'existence, le Théâtre de l'Autre scène a choisi de présenter au festival off la pièce Vol au-dessus d'un nid de coucou (1). Sans filet puisque cette pièce sur les dérives de la psychiatrie est montée par une troupe mixte, composée de soignants et de patients « psy ».

L'Autre scène est l'un des sept ateliers de création que compte le centre hospitalier de Montfavet, à dix kilomètres d'Avignon. Un art de vivre, bien plus qu'une simple activité : tous les jours, quatre infirmiers ETP et une aide-soignante proposent à leurs patients de réapprivoiser leur corps, leur voix et le rapport aux autres. Créée en 1989 et placée sous la responsabilité médicale du Dr René Pandelon, l'activité est ouverte à tous. Patients bien sûr, anciens patients, mais aussi visiteurs ou simples voisins. Au final, sur les quatorze comédiens qui endossent les costumes de Vol, seulement quatre sont issus de l'équipe soignante. Qui est soigné, qui est soignant ? Qu'est-ce qui les a amenés à Montfavet ? La question s'envole lorsqu'on a la chance de voir évoluer la troupe, solide et solidaire, sur scène comme dans les coulisses.

« Tous des acteurs ! »

« On demande toujours aux comédiens professionnels de jouer avec leur vécu. C'est pareil ici. Mais attention : leur personnage reste un personnage. C'est bien clair pour tout le monde », souligne Pascal Joumier, metteur en scène. Pendant un an, chaque jeudi après-midi, ce professionnel du spectacle s'est rendu à Montfavet. Mais, à la différence des membres de l'encadrement des ateliers du reste de la semaine, Pascal Joumier n'est pas soignant. « Je pense que c'est un avantage : on travaille ainsi sans qu'il soit question de maladie ou de mal-être. Pour moi, ce sont tous des acteurs. Et eux, de leur côté, ne veulent pas décevoir leur metteur en scène », souligne-t-il. Il ne souhaite rien connaître de leur passé, ni de ce qui les amène ici. Seule importe l'envie de monter sur les planches. « Certains ont un passé très lourd et pourtant, ils sont là, avec des idées, des gueules, des regards extraordinaires. J'en apprends tous les jours. »

Pour rappel, la pièce Vol au-dessus d'un nid de coucou, écrite dans les années 1960 à l'époque des lobotomies et des électrochocs, raconte la révolte d'un homme contre l'infirmière en chef sadique d'un asile psychiatrique, miss Ratched. Amusant détail : la comédienne qui interprète avec talent ce rôle, Simone Hiely, est depuis vingt-sept ans, dans la vraie vie, infirmière. Après la pièce, elle se démaquillera à la hâte pour retrouver ses patients en service de nuit. Une personne à mille lieues du rôle qu'elle joue : « J'ai commencé à suivre l'atelier en 1999, et il y a deux ans j'ai joué le personnage de Marguerite dans Le Roi se meurt, de Ionesco. Dans la vie, je ne suis pas aussi sévère que les personnages qu'on me donne ! Traiter les patients de cette manière en hôpital psy, ce n'est plus imaginable, heureusement. Même si, à une époque pas si lointaine, on a connu cette froideur, qui était aussi palpable à l'école, à l'internat. Le danger, c'est qu'on y revienne. À force de faire de l'administratif derrière un ordinateur, on perd en humanité. Cette pièce tombe à point. »

Un avis plus que partagé par le docteur Pandelon, venu assister à la première. « En cette période de montée du risque de renfermement psy, jouer une telle pièce s'apparente à un acte de résistance. C'est la première fois que nous présentons une oeuvre sur le thème de la psychiatrie au festival. D'abord, c'est une excellente pièce... Mais ça permet aussi de marquer nos vingt ans d'existence en soulevant un sujet important », explique-t-il. Il chasse de lui-même tout malentendu qui pourrait être entrainé par ce choix : « Notre objectif est de soigner les patients en leur permettant de s'inscrire dans un processus de création. On ne se positionne absolument pas comme une troupe de malades. » Son propre nom ne figure d'ailleurs pas dans le dossier de presse à la mention « psychiatre », mais bel et bien comme directeur artistique de la troupe.

Exigence artistique

Après la pièce, libérée du guichet de la billetterie qu'elle tient durant les trois semaines du festival, la cadre de soin Patricia Scapellini est encore plus vindicative. « On ne fait pas du patronage : les spectateurs paient leur place comme pour les autres pièces du off. L'exigence artistique doit donc être la même, sinon ce serait malhonnête. » Elle est fière de souligner que les représentations hors les murs du centre de Montfavet donnent aussi l'occasion aux autres ateliers d'exposer leur savoir-faire. L'atelier d'ergothérapie est notamment intervenu sur les décors. Un tableau idyllique ? Pas vraiment, car personne ici ne nie l'existence d'une certaine forme de jalousie émanant des autres services du CH, ceux qui dispensent du soin plus « basique »... « Parfois, l'atelier théâtre est encore perçu comme un loisir par certains collègues d'autres unités », ose glisser un soignant.

Ces répliques qui fusent sur scène avec une apparente facilité ne s'obtiennent pas non plus sans heurts. Pendant l'année, pathologies et traitements médicamenteux n'ont pas laissé tous les acteurs travailler en paix. Bien sûr, les soignants de l'atelier - qui ne figurent pas tous à la distribution - prennent une part active aux répétitions et sont en mesure de pallier les absences ponctuelles. Toutefois, « la gestion de l'absentéisme n'est pas très différente de celle que l'on a avec des professionnels. Et puis, pendant le festival, les acteurs sont portés par une dynamique qui limite ce genre de situations », tempère le metteur en scène.

Maladie ennemie

L'ennemi à dompter, c'est davantage la maladie elle-même. Comme le raconte Véronique Alla, infirmière au CH : « L'un des acteurs a senti sa mémoire vaciller. Il nous a donc sollicités pour que nous lui fassions davantage répéter son texte, en dehors des répétitions du jeudi. Attentifs à mieux décrypter leurs symptômes, ils nous alertent et on peut chercher des solutions ensemble. » Aujourd'hui, elle aide Yannick Sabatier à enfiler son pyjama bleu dans les coulisses de la Fabrik'théâtre. Les gestes lents, il arrive tout juste du centre d'aide par le travail où il a passé toute la matinée, avant d'endosser le rôle de Martini pour la représentation de 14 heures. Véronique devra encore souligner de khôl les yeux de Marc Rapp, alias le chef Bromden, avant de filer assurer le jeu des lumières. Demain, elle interprétera un rôle dans l'autre pièce jouée en alternance, Le Cimetière des éléphants, de Jean-Paul Daumas. « C'est un boulot de rêve, ces infirmiers vivent 100 % théâtre ! », s'enthousiasme le metteur en scène.

Les patients-acteurs sont conscients de la fragilité de cette bulle : « Ce que je redoute surtout, c'est la fin du festival et le mois d'août, quand tout va s'arrêter », glisse l'un des acteurs... Heureusement, les ateliers reprendront dès la rentrée, pour préparer le off de l'été 2010. Où Vol devrait se trouver à nouveau à l'affiche pour une seconde et dernière saison (2).

1- Le texte, signé Dale Wasserman, est tiré d'un roman de Ken Kesey, paru en 1962. Le film de Milos Forman date, lui, de 1975.

2- Prochaine date avant l'été 2010 : le 20 novembre sur la scène nationale de Cavaillon (84).