« Une négation du travail des soignants » - L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 253 du 01/10/2009

 

Alzheimer : La communication... et ses limites

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Début septembre, un spot de France Alzheimer a soulevé de vives critiques. Comment parler plus justement de cette maladie ? Pour Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique de l'AP-HP, un tel spot s'avère totalement contreproductif.

Que pensez-vous de ce spot de « sensibilisation » lancé par l'association, qui a finalement renoncé à sa diffusion télévisée (1) ?

On ne peut pas tout faire au nom de la communication. Cette maladie est devenue une affaire nationale et le fait d'être France Alzheimer ne donne pas le droit de s'emparer de la communication sur le sujet. Le message délivré par cette publicité est irrespectueux de la personne, péjoratif et dévalorisant. Lorsque vous communiquez sur une maladie neurodégénérative, il faut surtout éviter d'être caricatural. Or ce spot ne présente que des caricatures de l'humain, qui sont en plus dégradantes. Et les images trop terrifiantes ne font qu'engendrer un sentiment de rejet.

Que pensez-vous de l'accroche publicitaire qui conclut ce spot : « Heureusement, ils ne s'en souviendront pas » ?

Je suis choqué. L'association n'a-t-elle aucune connaissance de cette maladie ? Ils insinuent que les patients Alzheimer n'ont pas conscience de ce qu'ils vivent, or c'est exactement le contraire. Ce qu'il y a de plus déroutant pour ces patients, c'est qu'ils ont des moments de lucidité où ils se souviennent, ce qui rend leur vécu très douloureux. Avec ce spot, on avilit les patients et leurs sentiments. On nous présente ces personnes comme presque mortes. Vous pensez vraiment que ça va mobiliser le grand public ? Ces personnes malades ont une autre manière de vivre la réalité mais elles sont complètement vivantes. En plus, cette communication est une négation du travail colossal accompli par les soignants, et du soutien qu'apportent les familles. Pour moi, c'est un véritable travail de sape. Ont-ils pensé une seule seconde aux malades ? Comment vont-ils vivre cette vision qu'on leur donne de leur maladie ?

Quels éléments impliqueraient une communication « éthique » sur la maladie d'Alzheimer ?

Le premier point qu'il aurait fallu promouvoir était une solidarité face à des gens vulnérables, dont les droits doivent être respectés. La déclaration universelle des Droits de l'homme et la loi du 4 mars 2002 vont dans ce sens : le respect des droits de l'homme, de son humanité, peu importe son état ou sa maladie. Cette publicité est donc déphasée.

Il fallait respecter le malade. Et là, il perd sa dignité humaine. Il aurait aussi fallu valoriser les familles. Regardez la communication faite par l'Institut national du cancer pour sensibiliser à cette grande cause. Les malades étaient des « héros ordinaires », et leurs familles étaient présentées comme une force. Cette campagne a contribué à sensibiliser l'opinion, et à modifier l'image très sombre qui accompagnait le cancer. On peut informer sans blesser, sans dégrader la personne humaine. Pourquoi faire des images qui défigurent la condition humaine ?

1- Ce spot reste visible sur Internet (par exemple sur http://www.youtube.com/ watch?v=C8EWWCNhFao).

- Emmanuel Hirsch, philosophe, est également directeur du département de recherches en éthique de l'université de Paris-11.