Alzheimer en liberté - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

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à Berlin, huit personnes atteintes d'Alzheimer partagent une chaleureuse maison. Encouragées à vivre normalement et encadrées par un infirmier passionné, ces malades connaissent ensemble un quotidien plus serein.

Sur le perron d'une maison de ville d'un quartier populaire de Berlin, une vieille dame balaie avec application. Quand elle voit sortir un homme à la haute stature et au regard doux, elle s'avance vers lui avec effusion : elle croit reconnaître son père. Avec douceur et fermeté, l'homme lui rappelle qui il est : « Non madame, c'est Rainer. » Cette femme et sept autres personnes âgées ont en commun la maison et la maladie d'Alzheimer.

À l'intérieur de cette maison , quelques personnes débarrassent la table, en compagnie de l'aide ménagère, d'autres jouent au « Mann, ärgert dich nicht », l'équivalent de notre Monopoly. Rainer Stephan est l'infirmier de la maison communautaire depuis trois ans. Les colocataires et leur famille l'emploient, via une entreprise de soins et d'aide à domicile. L'association des Petits Frères des pauvres, qui a élaboré ce concept, coordonne le fonctionnement de ce logement. Elle assure le lien avec le propriétaire de la maison et facilite, si nécessaire, les relations avec les sociétés d'aide et de soins à domicile.

Les familles des personnes accueillies ont signé ensemble un contrat qui régit les règles de vie en commun et de partage de certaines des responsabilités. Comme pour toute autre colocation, le loyer et les frais du quotidien sont divisés. Or, tous comptes faits, le recours au logement communautaire coûte le même prix qu'un placement en maison spécialisée et les proches des personnes âgées sont soulagés de pouvoir maintenir leur parent à domicile en toute sécurité.

Après avoir travaillé auprès des jeunes handicapés, Rainer Stephan s'est spécialisé depuis une dizaine d'années dans le soin aux personnes âgées atteintes de démence. Quand il a découvert ce monde, il n'a plus voulu le quitter : « Ces personnes restent très mobiles, nous pouvons faire beaucoup d'activités avec elles. J'ai aussi appris à entrer dans un nouveau type de langage, de communication, qui dépasse celui que je connaissais. Et, j'ai découvert une nouvelle manière d'être ensemble. Sans cesse, je suis en questionnement. »

Brosse à dents

Une fois par mois, un généraliste examine les colocataires et est appelé en cas d'urgence. Tous les trois mois, un neurologue établit un bilan pour chaque habitant. Les colocataires, âgés de 65 à 90 ans, sont à des stades différents de la maladie. Le suivi quotidien de la santé des colocataires est, quant à lui, entre les mains de l'infirmier : Rainer Stephan surveille la glycémie des personnes diabétiques et garde un oeil sur la tension de chacun. En ce qui concerne la toilette, son intervention est particulière : « Comme ils sont en bonne forme physique, ils n'ont pas besoin que je fasse certains gestes à leur place. Mais je dois être présent pour leur rappeler les choses. Par exemple, s'ils oublient comment on se brosse les dents, je vais leur rappeler où est le dentifrice, la brosse à dents, et ce qu'ils vont faire avec. » Le maintien de l'autonomie fait partie intégrante du projet de vie communautaire.

Déjeuner partagé

Rue Albrecht, la vie se déroule de la manière la plus naturelle possible : tout est fait pour que chacun se sente chez soi et vive au mieux avec sa démence. Ainsi, les chambres sont louées vides et meublées au goût de chacun, dans l'entrée un tableau présente en photo les huit colocataires et, pour faciliter l'orientation, sur chaque porte est affichée la fonction de la pièce.

Le partage du repas du midi est la seule obligation imposée aux colocataires, qui se lèvent et prennent leur petit-déjeuner à l'heure de leur choix. Les habitants qui le désirent participent à l'élaboration du repas, en fonction de leurs possibilités, avec le concours de l'aide ménagère. Puis, après le café, moment de sociabilité important, vient l'après-midi, consacrée aux jeux.

Rainer Stephan prend plaisir à partager avec les locataires ces activités, qui ont un but thérapeutique : la stimulation par le recours aux souvenirs lointains. « Ici, nous chantons beaucoup. Et nous récitons des poèmes. C'est étonnant de voir comment ces personnes, qui échappent à beaucoup de réalités du quotidien, ont une parfaite mémoire des paroles et de la mélodie. Ils chantent ou récitent sans hésitation. Nous pouvons également jouer à retrouver des proverbes. » Au moment où il prononce ces paroles, un Frère Jacques repris à l'unisson s'élève de la salle à manger, sous la direction de la fille d'une des locataires, ancienne professeur de français. Des animateurs extérieurs organisent également des activités, comme l'atelier de musicothérapie. Les locataires, s'ils sont constamment libres de choisir ce qu'ils font, ne sont pour autant jamais livrés à eux-mêmes.

Se retirer de la vie

Dans la maison, se trouve aussi une bibliothèque avec quelques ouvrages de référence. Dans la conversation, Rainer fait régulièrement référence à Naomi Feil, mère de la méthode « de validation » : « Nous suivons de près les locataires. Ils ont tendance à retourner très souvent vers leur enfance. C'est important de s'asseoir à côté d'eux et de prendre le temps de les écouter. Cela demande beaucoup d'attention. Il n'y a que de cette manière que l'on peut savoir où ils en sont et ce dont ils ont véritablement besoin. Ils ont beaucoup de peurs qu'il nous faut prendre en compte. Si l'on n'écoute pas suffisamment les personnes atteintes de démence, elles se replient sur elles-mêmes et se retirent de la vie. » L'organisation de la maison communautaire permet disponibilité, surveillance discrète et échanges permanents.

La journée, trois personnes, employées de la société d'aide et de soin à domicile et volontaires de l'association, partagent le quotidien des habitants. Il n'y a pas de division du travail et les tâches se répartissent en fonction des besoins. La nuit, c'est un étudiant ayant une expérience de l'aide aux personnes âgées qui les relaie.

Un locataire s'approche de Rainer : il rôde près de la porte d'entrée depuis un moment. Rainer se penche vers lui et lui passe la main dans le dos : « Bientôt, monsieur, nous irons faire un tour, mais pas tout de suite. » Les sorties rythment la vie quotidienne et les accompagnants estiment que les habitants font partie du quartier et ne doivent pas vivre reclus.

Porte ouverte

Les sorties sont régulières, mais encadrées ; d'ailleurs, pendant la journée, la porte n'est pas fermée à clé, tout un symbole... Seule précaution, un système de piston la rend lourde à pousser et, quand un locataire semble insister, une astuce est souvent employée. « Comme beaucoup de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, explique l'infirmier, les locataires, et certains plus que d'autres veulent rentrer chez eux, regagner la maison de leur enfance. Pour qu'ils ne ressentent pas de contrainte, nous leur conseillons, s'ils désirent partir, de monter pour faire leur valise. Et au bout d'un moment, dans leur chambre, ils ont oublié ce projet... »

De manière générale, les sorties sont encouragées : chez le coiffeur ou pour les courses, les résidents sont invités à se confronter au monde. Ainsi, une fois par mois, la maison part s'amuser au café dansant du quartier...

Formations régulières

Rainer Stephan apprécie également de toujours devoir se tenir au courant des nouvelles découvertes au sujet des maladies neurodégénératives et de leur traitement, et il suit régulièrement des formations.

Près de lui et dans la maison de la rue Albrecht, les personnes âgées atteintes de démence, avec leurs différences, semblent heureuses. Cette maison propose un autre monde. Dans la grande salle à manger, une locataire repasse : elle a toujours été très attentive à la bonne tenue de son foyer.

L'infirmier, quant à lui, refait un café, en jetant un coup d'oeil vers l'entrée. Dans une petite demi-heure, il ira faire les courses avec le monsieur impatient.

en savoir plus

L'association des Petits Frères des pauvres supervise à Berlin le fonctionnement de sept logements communautaires pour personnes âgées atteintes de démence.

Site de l'association (en allemand) http://www.famev.de.

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